KISANGANI, RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO — Après des décennies de coupures et de pannes de courant prolongées, les gens d’ici espéraient qu’une alimentation électrique stable n’allait plus être hors de portée.
En octobre 2019, les autorités de la Tshopo – province au nord-est de la RD Congo – ont signé un contrat avec CAT Projects, une société de génie-conseil ayant son siège en Australie et offrant des conseils en matière de projets d’électricité et d’infrastructures. Les deux parties sont convenues de construire une centrale solaire photovoltaïque de 52 millions de dollars à Kisangani, capitale provinciale qui compte environ 1,3 million d’habitants.
Or, ce chantier d’une durée de 12 mois – dont le démarrage des travaux était prévu en janvier – n’a pas été épargné par ce même fléau qui fait la chasse aux humains, aux communautés et aux pays du monde : la pandémie de coronavirus.
« Tant que le pays et le monde entier devront lutter contre le COVID-19, le projet sera suspendu », dit Laurent Fidele Amacho, administrateur assistant chargé des ressources humaines chez CAT Projects Africa, à propos de la maladie causée par le nouveau coronavirus.
À la mi-janvier, les autorités ont annoncé qu’elles envisageaient la suspension de ce projet face aux craintes liées au coronavirus qui se propageait rapidement en Chine. Les autorités ont informé 400 travailleurs qui avaient été embauchées à cette centrale que leur emploi est pour l’instant interrompu. Au 23 mai, la RD Congo comptait 2,025 cas confirmés de COVID-19 et 63 décès.
Cela constitue un gros revers pour cette région de la RD Congo qui, connaissant une croissance soutenue, aurait largement pu bénéficier de ce nouveau coup de pouce à son alimentation électrique déficiente. Les autorités estiment que la Société nationale d’électricité (Snel), produit moins de 10 mégawatts d’électricité pour la région de la province de la Tshopo. Et pourtant, l’un des 11 barrages hydroélectriques que compte le pays se trouve non loin de Kisangani. Selon Félicien Aguzu, directeur financier au siège provincial de la Snel à Kisangani, la région de la Tshopo a besoin de 40 mégawatts pour répondre aux besoins de sa population en matière d’électricité. Il ajoute que la centrale électrique actuelle date de l’époque coloniale lorsque la province était moins peuplée qu’aujourd’hui.
« Pendant toutes ces années, il y a eu une détérioration des équipements, et le gouvernement n’a pas été en mesure de réhabiliter les infrastructures en raison de l’instabilité politique et sécuritaire dans le pays », s’alarme-t-il.
Une centrale photovoltaïque, également connue sous le nom de « ferme solaire », est un système de production d’énergie solaire à grande échelle qui sert à injecter l’énergie dans un réseau électrique existant. Selon les projections, cette centrale devait produire 40 mégawatts supplémentaires d’électricité pour la province de la Tshopo. Les équipements devant servir à la construction provenaient d’un partenaire chinois finançant le projet, explique Amacho, représentant de CAT Projects Africa.
Louis-Marie Walle Lufungula, gouverneur de la province de la Tshopo, a rassuré les habitants sur le fait que la nouvelle centrale augmenterait l’alimentation électrique actuelle. Mais lorsque les responsables de la santé publique en RD Congo ont commencé à élaborer une stratégie de lutte contre le coronavirus, tout projet tendant à expédier du matériel de construction à Kisangani a été interrompu.
« Au moment où le monde entier est en alerte, la population tshopolaise doit prendre leur mal en patience, car cette pandémie n’épargne personne. Cherchons d’abord à nous protéger contre cette fameuse pandémie, mieux vaut tard que jamais », conseille Walle Lufungula.
Ces précautions sur le plan de la santé publique sonnent le glas pour les ouvriers comme Kembo Madina, pour qui décrocher un job sur ce chantier après huit ans de chasse à l’emploi était un soulagement. À en croire Madina, ce gagne-pain aurait été un rêve devenu réalité.
« Je suis bouleversé parce que j’allais améliorer ma situation financière, mais me voici toujours en chômage à cause du coronavirus », s’insurge Madina.
Trente personnes embauchées pour préparer le chantier de construction en défrichant le terrain ont également été obligées de retourner chez elles en attendant le démarrage du projet. Aux dires d’Amacho, la crise du coronavirus ne pourra jamais compromettre le financement du projet, et certains habitants de la province de la Tshopo s’accrochent ainsi à cet espoir.
Mais pour des gens comme Diki Kasilembo, la promesse d’un avenir meilleur n’adoucit rien à la rudesse de la vie aujourd’hui.
« J’avais été recrutée pour faire le nettoyage et j’allais gagner 5 dollars par jour, soit 150 dollars par mois », révèle Kasilembo. « J’étais heureux de trouver ce travail, mais aujourd’hui je dois travailler comme aide-maçon pour recevoir 2 dollars [par jour] en attendant la reprise de l’entreprise ».