MASISI, RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO — Justine Mwaka n’a eu d’autre choix que d’abattre ses caféiers.
Quoiqu’elle vive au cœur de l’une des régions productrices de café les plus réputées au monde, Mwaka affirme que cette culture ne lui permet pas de gagner l’argent nécessaire pour subvenir aux besoins de sa famille.
Pendant de longues années, elle a vendu ses cerises à crédit aux acheteurs issus des coopératives et des organisations qui se sont attirées des éloges à l’échelle internationale. Pourtant, à l’en croire, récupérer son argent auprès de ces clients demeure encore un rêve malgré l’engouement pour le café congolais qui ne cesse de croître partout dans le monde.
Aujourd’hui, Mwaka cultive des bananes.
« Il y a peu de peine pour une forte rentabilité », glisse-t-elle.
De nos jours, les petits producteurs de café vendent un kilo de café à 400 francs congolais, un prix qui ne peut même pas compenser le travail fourni. Aussi bizarre que cela puisse paraître, cela se passe lorsque toutes leurs ventes sont payées car, selon ces producteurs comme Mwaka, leur café a souvent été vendu à crédit mais le paiement n’a jamais été intégralement effectué.
Aux dires de Mwaka et d’autres producteurs, le prix requis par ces coopératives sur le marché d’exportation varie entre 1 et 4 dollars pour un kilo de café.
Dans certains cas, ils vendent à des prix plus faramineux que ça. Un groupe d’exportateurs de café à Goma, chef-lieu de la province du Nord-Kivu en RDC, à quelque 80 kilomètres au sud de Masisi où habite Mwaka, vend du café à Starbucks pour 6,20 dollars le kilo.
Ces coopératives ont joui d’une forte notoriété aux États-Unis et dans d’autres pays occidentaux où le café congolais et les coopératives qui aident à l’exporter bénéficient fièrement d’une publicité dans les magasins haut de gamme. De l’avis de Mwaka et de beaucoup d’autres producteurs, cette notoriété n’est pas méritée.
« Ils s’enrichissent sur notre dos », déplore Innocent Lunyere, 42 ans, père de huit enfants qui cultive du café au Sud-Kivu, province également réputée pour ses cultures de café.
Au nombre de ces coopératives qui vendent le café cultivé dans la région figurent les organisations SOPACDI et MUUNGANO dont les mérites sont vantées par l’USAID qui a contribué à la relance de l’industrie du café dans l’est de la RDC. Bien des sociétés de café occidentales achètent des cerises auprès de ces coopératives et d’autres pour les revendre aux États-Unis et sur d’autres grands marchés. Selon Mwake, elle a vendu ses cerises à la SOPACDI.
Et pourtant, la SOPACDI et d’autres coopératives restent avares de leurs gains au grand dam des producteurs, déplorent Mwake et d’autres producteurs de café.
Contactée, la SOPACDI s’est refusée à tout commentaire. Les représentants de MUUNGANO ont à leur tour refusé de commenter leurs prix de revente. Aussi deux coups de fil passés à Starbucks à travers son centre de presse de la division Afrique sont-ils restés sans réponse.
Des messages laissés à Beth Ann Caspersen, responsable qualité chez Equal Exchange, une société de café basée aux États-Unis qui se labellise comme « commerce équitable » sont eux aussi restés sans réponse. Equal Exchange achète le café auprès de la SOPACDI. Les représentants d’Equal Exchange ont déclaré à GPJ que Caspersen assure la gestion des relations de la société en RDC.
Le café est la culture la plus répandue dans l’est de la RDC. Souvent, il arrive que l’on trouve des habitations, allant de petites maisons modestes d’agriculteurs ordinaires aux demeures cossues des barons du café aisés, nichées dans les zones autrefois occupées par des plantations de café. Quoique la caféiculture soit une tradition qui remonte à l’époque coloniale, les populations locales la considèrent toujours comme une activité recelant un potentiel de luxe.
Au début des années 1980, le café était, en termes d’importance, le deuxième produit d’exportation de la RDC après le cuivre. Et dans les années 1970, le café représentait une source de revenus essentielle pour le budget national dans les années 1970, quand le Zaïre était encore le nom porté par le pays.
Pourtant, selon les données de l’Organisation internationale du café, les caféiculteurs congolais n’ont droit qu’aux prix de misère, et ce, contrairement à d’autres producteurs dans le monde entier. Entre 1995 et 1998, les producteurs congolais pouvaient gagner en moyenne environ 1 100 francs congolais pour environ un demi-kilo de café arabica. Pour comparaison, les producteurs cubains avaient, au cours de cette même période, droit à 3 038 francs congolais pour un demi-kilo de ce même type de café.
Selon l’Organisation internationale du café, la RDC a produit 82,8 millions de kilos de café exportable au cours de la saison 1990/91, saison à laquelle remontent les premières données rendues facilement accessibles par cette organisation. Ce volume était juste supérieur à la production mondiale moyenne par pays pour cette saison. Quoique la production mondiale par pays ait augmenté depuis les années 1990, la production de la RDC a chuté, avec le niveau de production indiqué pour la saison 2017/18 dépassant à peine 8 millions de kilos.
Certains agriculteurs en quête de meilleurs prix ont essayé d’introduire clandestinement leurs cerises au Rwanda pour les vendre sur le marché étant étiquetées comme café rwandais. Le contrôle de la quantité de café congolais vendu comme cerises produites au Rwanda n’est pas chose aisée. Mais, selon les producteurs de café congolais, cette pratique est monnaie courante.
Alors que les exportations de café officielles de la RDC ont chuté, certains experts déclarent que la production de café est demeurée constante, sa plus grande partie étant vendue au Rwanda ou même en Ouganda.
Il est difficile de déterminer avec précision la quantité du café réellement cultivé par les producteurs congolais. Selon le rapport rendu public par l’USAID en 2017, la plupart des producteurs cultivent moins d’un hectare, produisant entre 100 et 400 kilos.
Aux dires de certains représentants des coopératives, ils n’ont pas grand-chose à faire pour aider les producteurs de café.
« Nous produisons le café dans des conditions extrêmement difficiles étant donné que la situation à la base ne s’est pas améliorée depuis des années », explique Gilbert Makelele, représentant de la Coopérative des planteurs et négociants du café au Kivu.
Il n’y a pas de banque agricole pouvant financer les producteurs en vue de les aider à acheter de meilleurs équipements ou des terrains ou à engager davantage de travailleurs, explique Makelele. Et comme si cela ne suffisait pas, ajoute-t-il, acheminer le café vers le marché est parfois impossible car les axes routiers sont parfois bloqués par des milices armées. Aussi y-a-t-il des fois où les routes sont impraticables en raison des pluies.
Selon Jules Mpalume, chef de la section provinciale de l’Office national du café au Nord-Kivu, tous les acteurs de la chaîne d’approvisionnement du café doivent s’accorder sur des prix minimums acceptables.
« Nous devons nous offrir l’occasion de réfléchir sur les prix équitables et sensibiliser le grand public sur la situation des petits producteurs de café, car ils doivent vivre dignement de leur production », conseille-t-il.
Toutefois, il faudra des années pour augmenter suffisamment les prix du café pour que la caféiculture soit rentable pour de nombreux producteurs congolais.
Pour Mwake, la culture des bananes s’avère la meilleure des options.
« Nous nous sommes aperçus que ceux qui cultivent la banane sont plus prospères que nous les cultivateurs du café », confie-t-elle.
Adapté à partir de sa version originale en français par Ndahayo Sylvestre, GPJ