RUTSHURU, RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO — La mère de Salima Salumu s’est éteinte, laissant derrière elle une large portion de terre au profit de ses enfants et créant ainsi un conflit qui n’est pas rare ici dans la province du Nord-Kivu.
Alors que la loi congolaise prévoit qu’un héritage se répartit à parts égales entre tous les enfants, les trois frères aînés de Salumu se sont réservé le privilège exclusif de 40 hectares de terres familiales au grand dam de leur sœur. Salumu étant mariée, il demeurait chez ses frères l’idée qu’elle avait déjà bénéficié d’une portion des biens de sa belle-famille par l’intermédiaire de son mari et qu’elle n’avait pas ainsi le droit de recevoir sa part successorale.
Tout comme les frères de Salumu, bien des hommes à Rutshuru se refusent à souscrire à l’idée selon laquelle la succession doit revenir par parts égales aux enfants y compris des femmes mariées. Nombreux sont des hommes et des femmes qui ne savent pas que cette tradition égoïste est incompatible avec la loi en vigueur. Pire encore, ces conflits fonciers entre les enfants du défunt attisent les divisions au sein des familles.
Pour éviter ces divisions, certaines femmes choisissent de garder le silence face à cette privation de leurs droits. Certaines se plient à ce sort car elles ignorent leurs droits et leur connaissance se limite à la seule tradition qui a longtemps tourné à l’avantage de leurs frères.
Mais d’autres, comme Salumu, commencent à défier leurs frères et à revendiquer leurs droits, en portant leurs affaires successorales devant les autorités locales, les chefs des quartiers et les associations de défense des droits de l’homme.
L’une de ces associations est Hommes visionnaires pour la nature. Elle est née de la volonté de sensibiliser les populations locales aux droits fonciers et d’aider des individus à faire valoir leurs droits fonciers en vertu de la loi congolaise.
«Nous avons créé cette association parce que nous ne pouvions pas croiser les bras devant la recrudescence des conflits liés à l’héritage des biens fonciers,» confie Bujiri Georges, coordinateur du groupe qui offre des services de médiation au profit des femmes mariées qui revendiquent leurs droits en vertu de la loi congolaise.
Cette sensibilisation se fait par des émissions publiques radiodiffusées et télévisées et des conférences-débats dans différents quartiers et même des campagnes de porte-à-porte.
Salumu affirme que les activités du groupe ont permis de la convaincre de revendiquer ses droits prévus par la loi.
«Au début, je pensais que je n’étais pas faite pour avoir le droit à l’héritage laissé par notre défunte mère», révèle Salumu. «Et figurez-vous, c’est aujourd’hui que je me rends compte que mes frères avaient tort».
Cette association travaille en partenariat avec le gouvernement et arrive à régler chaque mois 15 à 20 conflits liés à l’héritage. Lorsque l’association ne parvient pas à régler un conflit, ce dernier est renvoyé pour d’autres voies de droit.
Le conflit foncier impliquant Salumu est l’un des 15 conflits qui ont été traités en avril. Lorsque le bureau est saisi d’une plainte, le coordonnateur de l’association fait vite de dépêcher deux de ses six médiateurs pour recueillir des témoignages, et ce, sans faire payer les parties au conflit.
Les frères de Salumu ont souvent refusé de prendre des appels téléphoniques des médiateurs, refusant ainsi d’aider aux différentes étapes du processus de médiation. Mais le conflit a fini par être réglé: elle a reçu une portion de la terre de sa défunte mère.
Rémy Rubomboza Mangnat, chef de la cellule juridique du bureau des contentieux fonciers à Rutshuru, affirme que les droits d’héritage de Salumu comme ceux d’autres femmes sont prévus aux articles 755 à 800 du Code de la famille de la RDC. La loi stipule que la succession est partagée à parts égales entre tous les enfants – garçons et filles, qu’ils soient issus du mariage ou nés hors mariage.
«La loi est au-dessus de la coutume et non l’inverse», déclare-t-il.
Et les femmes ont toujours fait les frais de la tradition par la privation de leurs droits. Muyaga Abubakale, 72 ans, affirme que du vivant de ses grands-parents, une femme n’avait pas droit à l’héritage foncier et ne pouvait jouir des droits qu’en se mariant dans une autre famille, recevant ainsi des terres et une maison de la part de sa belle-famille. Il ajoute que dans son village de Nyarutshuru, lorsqu’une femme perd ses parents, elle n’a droit qu’à un pagne appelé «kikwembe ya machozi» en kiswahili, ou «le pagne pour noyer la douleur», en guise de soulagement.
Mais la situation est en train de changer. Aujourd’hui, le frère aîné de Salima Salumu, Jacques, reconnaît avoir mal agi en écartant sa sœur de l’héritage. Ses arguments, avoue-t-il, étaient fondés sur la coutume, et non en droit.
«Je n’avais aucune idée de l’existence d’une telle loi, et encore moins son contenu», lâche-t-il. «Mais avec la campagne de sensibilisation de l’association, j’ai compris que si le défunt laisse des enfants, la succession revient à tous les enfants par parts égales».
Adapté à partir de sa version originale en français par Ndayaho Sylvestre, GPJ.