ÎLE D’IDJWI, RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO — L’île d’Idjwi vue de loin et des vagues du lac Kivu clapotant sur des collines verdoyantes s’offrent à vos yeux lorsque vous vous rendez au port de Bugarula.
Des bateaux en bois sont vus à l’horizon, avec à leur bord des pêcheurs occupés, faisant grossir leur butin ou vendant leurs prises aux passants.
Claude Bidiko, 53 ans, figure parmi ces pêcheurs. Membre de la tribu indigène pygmée locale, lui et sa femme ont à leur charge une famille de neuf enfants.
« Chaque jour à 4 heures du matin je viens ici pour pêcher. Quand la chance me sourit, je peux trouver quatre à cinq poissons, puis en vendre deux pour acheter de la poudre de manioc et rentrer avec trois autres pour que ma famille puisse manger », raconte-t-il.
Toutefois, Bidiko affirme qu’il ne peut compter uniquement sur des eaux au large d’Idjwi. Il mise sur le travail de poterie de sa femme et sur certains de ses enfants plus âgés pour faire vivre sa famille.
« Nous n’avons pas de terres pour cultiver pour pouvoir faire vivre une famille comme la mienne. Survivre est difficile pour nous les Pygmées vivant sur cette île », se désole-t-il.
Couvrant une superficie de 310 kilomètres carrés, l’île d’Idjwi est la plus grande île lacustre de la RDC et la deuxième plus grande île intérieure sur le continent africain. Il compte environ 298 237 habitants, selon les estimations de la Cellule d’analyses des indicateurs de développement. L’isolement de l’île lui a permis de rester à l’abri des conflits qui ravagent l’est de la RDC depuis des décennies, ce qui lui a valu le surnom d’« île de la paix ».
À plusieurs reprises, l’île d’Idjwi a été une terre d’accueil des réfugiés fuyant des violences, en particulier des Rwandais rescapés du génocide de 1994, mais les migrations et la surpopulation ont été à l’origine de la déforestation et de l’érosion des sols à grande échelle.
Deux communautés, à savoir la communauté pygmée minoritaire et la communauté bahavu, majoritaire, vivent sur l’île depuis plusieurs décennies. Pourtant, la petite taille de cette communauté pygmée, sa situation économique et son manque de contact avec le monde moderne font d’elle la cible de discriminations depuis longtemps.
Selon Mapaka Kibunde, 40 ans, représentant des Pygmées dans la chefferie de Rubenga, les Pygmées ont été les premiers occupants de l’île. Ils vivaient de la cueillette, de la chasse et de la pêche. À cette époque, ils pensaient que l’île était leur chasse gardée et que rien n’allait changer leur manière de vivre. Cela n’est hélas plus réalité depuis l’arrivée sur l’île de la tribu bahavu en quête de terres cultivables.
Les Pygmées ont été rapidement chassés de leurs terres, ne pouvant même pas revendiquer des titres de propriété. Aujourd’hui, les Bahavu représentent plus de 95% des habitants d’Idjwi.
Pauvre en ressources, peu instruite et sans expérience aucune quant à assurer sa propre subsistance dans une économie moderne, la société pygmée s’est retrouvée affaiblie.
Étant peu ou pas du tout instruits, nombre d’enfants pygmées ont moins de chances de trouver un emploi et sont moins à même de lutter pour l’égalité des droits et un traitement équitable au travail.
Souvent, les Pygmées sont obligés de faire le sarclage des champs et de porter de lourdes charges pour le compte des propriétaires fonciers bahavu qui les traitent avec mépris.
Mais, aux dires de certains membres de la communauté pygmée, les choses commencent à changer, car quelques leaders pygmées ont gagné le respect et ont servi d’exemples pour leurs concitoyens. Leur conviction est que l’éducation et l’autonomie peuvent leur permettre de se retrouver sur un même pied d’égalité que la majorité des membres de la communauté bahavu.
Néanmoins, environ 7 000 Pygmées îliens vivent dans des conditions très difficiles. Sa population totale ayant passé de 112 000 en 1996 à près de 300 000 habitants en 2019, l’île a connu une déforestation massive.
« À présent, les Pygmées n’ont plus d’endroit où ils appellent chez eux et n’ont pas de terres pour cultiver. Et comme il n’y a plus de forêts, leur capacité à chasser et à récolter a pratiquement disparu », explique le Dr Barry Wecker, 66 ans, un Canadien qui travaille pour le Programme international des laïcs pour la santé, un organisme sans but lucratif qui vise à améliorer les conditions de vie sur l’île et au Nord Kivu. Le groupe se concentre sur les Pygmées et les orphelins.
Plus inquiétant encore, de nombreux Pygmées ne sont jamais allés à l’école.
« Leurs enfants ne vont pas à l’école, car les parents n’ont pas d’argent pour acheter des uniformes et des fournitures scolaires », explique Wecker.
L’accès aux soins médicaux, lui aussi, s’érige en dilemme pour cette communauté autochtone.
« Ils n’ont pas de soins de santé car, encore une fois, ils n’ont pas les moyens de les payer », ajoute Wecker.
Avec l’aide de Valeur Bendera, le seul agronome pygmée sur l’île, PROLASA a récemment acheté quatre hectares de terres pour aider les Pygmées à apprendre à ne compter que sur eux-mêmes.
« Aussi loin que je me souvienne, je suis le seul Pygmée qui ai poursuivi mes études jusqu’à ce niveau, et cela m’a donné la force de continuer malgré les obstacles », témoigne Bendera.
Ses parents ne pouvaient pas se permettre de l’envoyer à l’école, et il affirme que le soutien de bons samaritains qui ont payé ses frais de scolarité, l’ont habillé et hébergé a contribué à changer sa vie.
« J’ai eu la chance de rencontrer des gens avec un bon cœur qui m’ont permis de terminer les études. Malheureusement, il n’y pas beaucoup de mes semblables ayant eu une telle chance », regrette-t-il.
Bendera espère que ses connaissances permettront aux Pygmées autochtones de surmonter les défis économiques grâce à l’agriculture.
« Ici, j’exerce ce que j’ai appris à l’université, j’apprends aux autres à pratiquer l’agriculture moderne et j’ai la conviction que la productivité sera meilleure », fait-il savoir. « J’ai la fierté de pouvoir contribuer au développement de mon peuple afin qu’il soit autonome et ne fasse plus face à la discrimination ».
Aujourd’hui, les parents pygmées essaient de tout faire pour envoyer leurs enfants à l’école.
Hilaire Bwumvikane, 50 ans, est le chef du camp Muculo sur l’île d’Idjwi, une communauté où la plupart des habitants sont des Pygmées. Père de 11 enfants, il a été formé par Bendera. La pêche est son métier aussi et, quoique vivant au jour le jour, il parvient à nourrir sa famille et à envoyer tous ses enfants à l’école.
« Mon souhait est de les voir terminer leurs études et devenir comme Valeur », dit-il en souriant.
Lorsqu’elles ne sont pas dans les champs, les femmes fabriquent des pots et des vases en argile pour payer les frais de scolarité.
Buzima Mwabidiko, 40 ans, est mère de neuf enfants, dont le plus jeune a 6 mois. Pour survivre, elle doit fabriquer environ 10 cruches en argile chaque jour.
« Par jour, je peux gagner entre 1 000 et 1 500 FC, avec quoi je dois m’arranger pour nourrir ma famille, et trouver une ou deux culottes pour les étudiants », dit-elle à propos de la responsabilité supplémentaire d’habiller ses enfants.
Des rôles-modèles comme Kibunde et Bendera servent de source de motivation et d’inspiration pour d’autres Pygmées. S’il n’a pas terminé l’école primaire, confie Kibunde, c’est à cause de la discrimination. Il espère toutefois apprendre à devenir un agriculteur professionnel grâce à Bendera.
« J’ai été renvoyé de l’école à l’âge de 10 ans à cause de la pauvreté. À mon époque, aucun Pygmée ne pouvait aller jusqu’à l’école secondaire », s’indigne-t-il. « Mais, j’aimerais me rattraper afin d’être quelqu’un d’important dans ma société ».
Adapté à partir de sa version originale en français par Ndahayo Sylvestre, GPJ.