KISANGANI, RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO — Il est 19 heures, et voici Stéphane Natho, 35 ans, à genoux, mains appuyées sur le sol, derrière la maison de son voisin dans le quartier de Kabondo à Kisangani, troisième ville de la RDC.
Couvert de poussière et apparemment inconscient du danger de manipuler un câble électrique dénudé, Natho creuse et tire. Il tente de raccorder sa maison à l’électricité à partir de celle de son voisin.
Non loin de là, d’autres voisins armés de houes sont affairés à creuser des tranchées, essayant d’enterrer les câbles qu’ils ont utilisés pour le raccordement frauduleux de leurs maisons.
« Je n’ai pas d’autre choix que de recourir au raccordement frauduleux », explique Natho, ajoutant que la Société nationale d’électricité (SNEL) applique des régimes de paiement auxquels les habitants ont du mal à s’adapter.
La distribution de l’électricité par la SNEL à Kisangani se fait sous deux régimes. Des usagers ayant des maisons équipées de compteurs sont facturés en fonction de leur consommation. Aussi la SNEL propose-t-elle un tarif forfaitaire pour ceux qui sont desservis par des compteurs de groupe ou de quartier, ce qui implique que ceux qui n’ont pas de compteurs chez eux doivent mutualiser les coûts de la consommation de l’électricité. Ce régime reste de plus en plus hors de prix du fait que davantage d’habitants s’adonnent au piratage de l’électricité.
Pierrot Kanyeba, ingénieur de la section locale de la SNEL, affirme que le piratage de l’électricité devient de plus en plus monnaie courante aux quatre coins de la ville, notamment du fait que le processus d’installation d’un compteur s’avère chronophage et hors de prix. Le tarif de raccordement de 500 dollars reste prohibitif pour nombre d’habitants de la ville.
Natho partage cet avis.
« Il y a tout juste cinq ans, je déposais ma demande à la SNEL pour le raccordement à l’électricité », déplore Natho. « Jusqu’à présent, je n’ai reçu aucune réponse. Même en cas de réponse, je ne peux pas me permettre le tarif de raccordement. Voyez-vous, je n’ai pas d’autre choix que de recourir au raccordement frauduleux ».
Des locataires, eux aussi, ont du mal à se raccorder, car seuls les propriétaires peuvent déposer la demande d’installation de compteurs.
« Ceux qui n’ont pas de terres, pas même un seul mètre carré, et qui passent le reste de leur vie à vivre dans des maisons louées n’ont pas accès à l’électricité. Et pourtant, ils ont besoin d’utiliser leurs appareils ménagers et électroniques », s’indigne Natho.
Selon la SNEL, seuls 15 pourcent de la population du pays ont accès à l’électricité et l’approvisionnement reste irrégulier dans la plupart des cas. Selon le Bureau de la statistique de la SNEL, Kisangani compte environ 33 000 clients de la SNEL alors que près de 7 000 foyers recourent au piratage de l’électricité.
Selon Dieudonné Djuma, technicien de terrain de la SNEL, les conséquences du piratage électrique sont graves. Ainsi, 25 cas d’électrocution et quatre incendies causés par des tentatives de raccordement frauduleux ont été enregistrés au cours des deux derniers mois.
Se faire prendre en train de pirater l’électricité devient passible d’une amende de 500 dollars, annonce Djuma.
Le piratage de l’électricité suscite des réactions mitigées de la part des habitants de Kisangani.
Séraphin Bonyafala, habitant du quartier de Tshopo, affirme s’être opposé aux raccordements frauduleux depuis qu’il a vu son voisin mourir électrocuté il y a quelques mois.
« Il s’est électrocuté en marchant sur un fil dénudé desservant une boutique raccordée frauduleusement qui se trouvait sur ma parcelle », déclare Bonyafala. « La nouvelle de sa mort a été un grand choc pour tout le monde ».
Peu importe le temps que cela prend, affirme-t-il, ses voisins doivent demander leurs propres compteurs pour éviter qu’une telle tragédie se reproduise dans le quartier.
« Je pense que cela permettra de sauver des vies et de protéger des biens », assure Bonyafala.
Pourtant, d’autres qui sont conscients du danger et de l’illégalité de cette pratique affirment que la longue attente et les tarifs prohibitifs ne laissent aucun autre choix.
« Je donne raison à ceux qui s’adonnent aux raccordements frauduleux parce que la SNEL n’honore pas ses engagements envers ses abonnés », explique Trésor Bulaya, qui a un compteur chez lui. À l’en croire, l’approvisionnement reste toujours irrégulier.
Georges Mwetu, directeur commercial de la SNEL ici, reconnaît que certaines zones sont le plus soumises au délestage, une pratique qui veut que certaines zones soient parfois privées de l’électricité. Il ajoute toutefois que les zones dans lesquelles les raccordements frauduleux ont pris de l’ampleur sont plus exposées à un approvisionnement irrégulier en raison de la taxe applicable aux lignes électriques.
David Yofemo, président de la Société civile forces vives de la province de la Tshopo, affirme que les deux parties se doivent de travailler main dans la main pour trouver une solution.
Quoique son organisation dénonce le piratage de l’électricité, Yofemo estime que la SNEL doit déployer davantage d’efforts pour résoudre les plaintes de ses clients.
« Que la SNEL organise des émissions publiques pour sensibiliser les gens sur les procédures à suivre pour le raccordement à l’électricité et alerter sur les dangers qui guettent ceux se raccordent frauduleusement », déclare Yofemo.
Adapté à partir de sa version originale en français par Ndahayo Sylvestre, GPJ.