LÉOGÂNE, HAÏTI — Des agriculteurs se promènent dans des plantations de canne à sucre dans cette étendue reculée où le ciel et la terre donnent l’impression de se toucher à l’horizon.
Eh bien, des éclaboussures de rosée matinale font rage alors que leurs cabrouets remplis de sucre et tirés par des bœufs se dirigent vers les distilleries artisanales, appelées guildives, qui fabriquent du clairin qui, étant une boisson locale fortement alcoolisée distillée à l’image du rhum et connue pour son odeur âcre et sa saveur de canne, est propre à cette région.
Jean Jocelyn Camil, 60 ans, est propriétaire d’une guildive ici, à environ 40 kilomètres à l’ouest de Port-au-Prince, la capitale d’Haïti.
Les distilleries, dont près de la moitié ont été endommagées par le séisme de 2010, font face à des difficultés, faute de production suffisante de canne à sucre, mais demeurent toujours prometteuses pour l’avenir de l’économie haïtienne, affirme Camil. Haïti est, depuis longtemps, tributaire de l’aide internationale et des produits importés, mais Camil et d’autres propriétaires de distilleries créent des emplois et dynamisent l’économie locale par eux-mêmes, raconte-t-il.
Sa petite distillerie emploie 19 personnes qui labourent des champs de canne à sucre et transforment la canne à sucre en clairin. Il affirme que ses employés gagnent jusqu’à 500 gourdes par jour, soit un revenu nettement supérieur au salaire minimum journalier de 290 gourdes légalement requis.
« Nous pouvons produire quatre à cinq barils de clairin par jour », explique Camil.
Pourtant, notre travail ne se fait pas sans difficultés. La plupart des produits alcoolisés sont importés en vrac dans ce pays et vendus dans des supermarchés à moins de 2 dollars alors qu’une bouteille de 5 litres de clairin se vend à 7 dollars.
« On a du mal à écouler notre produit parce qu’ils offrent leurs produits à des prix très inférieurs au prix de notre spiritueux artisanal local », dit-il.
« Il y a deux sortes de guildives, et nous fabriquons deux types de clairin, le premier du nom de gros clairin avec un degré d’alcool de 22 pourcent et l’autre dit petit clairin qui contient 20 pourcent d’alcool. Nos clients choisissent en fonction de leur goût », explique Camil.
Le clairin, ce spiritueux distillé d’origine haïtienne, dépend de la production de canne à sucre. Ainsi, des pénuries fréquentes de canne à sucre à Léogâne et dans ses environs ne font que contribuer au ralentissement de la production du clairin. Pourtant, plus de 100 petites guildives de Léogâne demeurent les principaux créateurs d’emplois dans la région.
Eddy Labossiere, professeur d’économie et président de l’Association haïtienne des économistes, affirme que les guildives jouent un rôle inégalable dans l’économie haïtienne.
« Quand on prend les guildives dans l’ensemble de la chaîne de valeur, force est de constater qu’il faut veiller à ce qu’il y ait suffisamment de matières premières dans la contrée », souligne-t-il. « La matière première est la canne à sucre, mais avons-nous suffisamment de canne à sucre pour alimenter nos usines qui fabriquent du clairin et d’autres boissons » ?
Melour Civil, qui travaille à organiser les agriculteurs et les distillateurs depuis 10 ans, affirme que les producteurs de canne à sucre se heurtent à des problèmes qui ont des conséquences négatives sur l’industrie du clairin.
« Notre plus grand problème aujourd’hui, c’est que de vastes étendues de terres sur lesquelles on cultivait la canne à sucre sont envahies par des constructions », déplore-t-il.
Et on se heurte toujours à d’autres difficultés, déclare Labossiere.
« Pour arriver à augmenter la production, il nous faut moderniser nos usines », conseille-t-il, ajoutant que la majeure partie du processus de production de la canne à sucre se fait à la main.
Mais le travail dans les guildives peut être à l’origine de la prospérité.
Castnave Delouis, 34 ans, travaille dans une guildive depuis deux ans.
« Je ne vis que de la canne à sucre », confie-t-il. « Cela me permet de subvenir aux besoins de ma famille et m’aide surtout à aider d’autres jeunes à décrocher des emplois dans cette distillerie. Travaillant ici, je gagne ma vie avec dignité, et ceci est très important pour moi ».
Mais l’insuffisance de la production de canne à sucre reste à l’origine de la hausse des prix du clairin et entraîne des répercussions sur l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement, explique Janette Louis, 59 ans, vendeuse du clairin depuis 20 ans.
Les prix du clairin montent alors que les boissons alcoolisées importées demeurent bon marché, déclare-t-elle, ajoutant que le rythme de ses ventes ne cesse de fléchir à cause des importations d’alcool.
« On ne peut que compter sur des jours de fêtes et des périodes des festivités populaires pour vendre un peu de nos produits », révèle Louis.
Pourtant, le moral n’est pas pour autant en berne dans les guildives de Léogâne.
« Nous continuerons à contribuer au développement de notre pays en créant des emplois », déclare Camil. « Nous voulons simplement fabriquer du clairin et créer des emplois ».
Adapté à partir de sa version originale en français par Ndahayo Sylvestre, GPJ.