Haiti

Après la grève, seul reste le désespoir pour les salariés du textile face à la paye toujours faible et à l’envol des dépenses scolaires

À Port-au-Prince, capitale haïtienne, moult cas d’enfants déscolarisés ou envoyés à l’école sans matériel de base sont légion. Leurs parents ne peuvent se permettre les coûts. L’an dernier, des travailleurs du textile se sont mis en grève dans toute la ville pour revendiquer la hausse du salaire minimum, mais sans succès.

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After Strikes, Haitian Textile Workers Despair As Salaries Stay Low, School Costs Rise

Lily Padula, GPJ

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PORT-AU-PRINCE, HAÏTI — À Haïti, les fournitures scolaires de base comme les cahiers, les stylos, les sacs à dos et les uniformes scolaires restent coûteuses, venant s’ajouter au minerval.

Pour Marjorie Théodore, 39, mère de trois enfants, l’aube d’une nouvelle année est de mauvais augure pour elle.

Depuis sept ans, elle se lève tôt chaque matin pour aller bosser pour une usine de textile à Port-au-Prince, capitale haïtienne.

Son salaire journalier est de 335 gourdes, le minimum légal. Pour elle, il s’agit d’un salaire de misère qui est à peine suffisant pour nourrir ses enfants, et encore moins pour se permettre le minerval et le matériel scolaire.

« C’est en fait un miracle que nous puissions joindre les deux bouts », déplore-t-elle. « Avec mon salaire mensuel, nous avons à peine de quoi survivre. M’endetter est le seul moyen pour moi d’envoyer mes enfants à l’école ».

L’été dernier, des travailleurs du textile comme Théodore sont descendus dans les rues de toute la capitale pour réclamer des hausses salariales, espérant ainsi se frayer un passage hors de la pauvreté. Mais la situation n’a guère changé dans les mois qui ont suivi.

« J’ai du mal à boucler les fins de mois. Jamais je ne peux rêver d’épargner », confie-t-elle.

Partout à Haïti, la rentrée des classes se fait en janvier. Et pourtant, pas mal de pupitres risquent d’être vides, et plusieurs autres élèves arrivent sans matériel, révèlent les enseignants.

« Chaque année, nombreux sont les enfants à Haïti qui abandonnent l’école et finissent par se retrouver dans la rue et se tourner vers le banditisme », explique le directeur d’une école locale, préférant rester anonyme de peur des représailles des autorités. Les responsables de l’école ne sont pas autorisés à parler aux médias.

Quoique le nombre d’élèves inscrits ne soient pas déclaré à un organe central, les enseignants dans plusieurs districts affirment que les pupitres sont vides pour cause d’incapacité des parents à payer le minerval qui varie entre 250 gourdes dans les petites écoles communautaires et 750 gourdes dans les écoles publiques.

Au dire de Théodore, si elle a réussi à payer le minerval à l’automne, elle a dû envoyer ses enfants à l’école sans aucun matériel. Et maintenant, un nouveau trimestre toque à sa porte.

« Je suis folle d’inquiétude quant au fait que mes enfants seront bientôt chassés de l’école, car je n’ai pas encore trouvé le minerval pour ce troisième trimestre », annonce-t-elle.

La pauvreté est généralisée à Haïti: 59 pourcent des Haïtiens vivent en dessous du seuil national de pauvreté, gagnant 2,41 dollars par jour, tandis que 24% vivent sous le seuil national de pauvreté extrême de 1,23 dollar par jour.

Nombre d’enfants sont déscolarisés ou arrivent à l’école sans matériel de base, et un doigt accusateur est pointé vers la faible paye. Selon les données publiées en 2017 par l’Organisation internationale du Travail, 13,4 pourcent de la population haïtienne active est au chômage. L’économie informelle représente 80 pourcent de tous les nouveaux emplois.

L’emploi dans l’industrie textile est chose ordinaire ici. Depuis des années, les salariés du textile organisent des mouvements de grève et de protestation pour revendiquer la hausse des salaires minima conventionnels, lesquels mouvements n’ont débouché sur rien. En juin 2017, la police nationale d’Haïti a utilisé des gaz lacrymogènes pour disperser des manifestants à Port-au-Prince. De telles protestations n’ont pas repris depuis.

Le Conseil supérieur des salaires, organe qui fixe et approuve les salaires, recommande que les salariés du textile et ceux d’autres industries manufacturières fabriquant des produits destinés à l’exportation soient payés un salaire minimum journalier de 335 gourdes, mais les syndicats persistent et signent : il faut 800 gourdes.

Gerard Désulmé, 42 ans, travaille pour Shodecosa, une usine textile locale, depuis plus de 10 ans. Il précise que son salaire lui suffit à peine pour nourrir sa famille, et encore moins pour envoyer ses enfants à l’école avec des fournitures.

« Quand la rentrée scolaire arrive, je n’ai pas d’autre choix que d’envoyer mes enfants à l’école sans matériel. Et pourtant, ils en ont besoin pour pouvoir apprendre », fait-il savoir.

Selon Désulmé, l’envoi de ses enfants à l’école sans nouvelles chaussures ni fournitures lui brise le cœur.

« Je suis mal payé et je reste sans sou après avoir payé pour la nourriture de base de ma famille et mon transport », dit-il. « Les factures de la rentrée scolaire sont toujours pénibles aussi bien pour moi que pour mes enfants – ça nous rend fous ».

Andremise Vilma, 38 ans, mère de trois enfants, affirme redouter la rentrée scolaire. Son mari travaille pour une société de textile qu’elle a choisi de ne pas révéler. Elle dit que, après cinq ans dans cette société, elle gagne 365 gourdes par jour. Cette faible paye laisse les parents perplexes lorsque vient le temps de la rentrée scolaire pour leurs trois enfants.

« Étant le seul gagne-pain de notre famille, mon mari doit lutter », dit-elle, ajoutant qu’elle est une vendeuse de fruits. « Je peux gagner de l’argent en vendant des fruits comme des mangues et des oranges. Aujourd’hui, pourtant, ce n’est pas la saison des récoltes de fruits ».

« Et comme si cela ne suffisait pas, les coûts de l’éducation s’envolent assez rapidement chaque année », s’alarme-t-elle.

Roberta Salomon, 40 ans, travaille également chez Shodecosa. Au cours des neuf dernières années, dit-elle, j’ai eu du mal à survivre avec le salaire payé par la société.

« Avec notre faible salaire, nous avons du mal à réaliser nos rêves », avoue-t-elle.

 

Adapté à partir de sa version originale en français par Sylvestre Ndahayo, GPJ.