Haiti

Nouvelles techniques de récolte : une lueur d’espoir pour des producteurs de vétiver à Haïti

À Haïti, la culture du vétiver s’érige en source de revenus indispensable pour moult petits agriculteurs. Des pratiques agricoles traditionnelles étant pourtant d’usage, l’érosion et les faibles rendements se font jour. Renverser cette tendance, tel est le pari des coopératives locales.

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New Harvesting Techniques Bring Hope to Haiti’s Vetiver Farmers

Marie Michelle Felicien, GPJ Haïti

Georges Edouard Elie, l’un des trois co-fondateurs de l’UniKode, montre comment l’huile de vétiver est distillée dans une chaudière dans une usine de production aux Cayes, à Haïti. Étant une usine de production d’huile de vétiver locale, l’UniKode produit 20 tonnes d’huile chaque année.

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TRICON, HAÏTI – Pierre Sonore s’en remet à son labeur dans des champs de verdure vallonnés en milieu rural à Tricon pour s’assurer un revenu.

Depuis des décennies, de petits agriculteurs de cette région des Cayes, l’une des communes du sud d’Haïti, cultivent le vétiver, premier produit agricole d’exportation du pays. S’étant lancé alors qu’il n’avait que 17 ans, Sonore a vite fait de constater que la culture de cette plante vivace réputée pour son huile parfumée de haute qualité était une activité à forts enjeux.

Selon lui, le vétiver se récolte par le déterrement de toute la plante, ce qui a eu pour conséquence la dégradation et l’érosion des sols au fil du temps.

La riche couche arable étant arrachée, des producteurs de vétiver des versants du sud-ouest d’Haïti s’inquiètent de ne plus pouvoir produire et vendre cette plante pour nourrir leurs familles. L’UniKode, l’un des principaux producteurs d’huile de vétiver au pays, travaille avec 13 coopératives agricoles pour améliorer le processus de récolte.

Sonore, à peine âgé de 30 ans aujourd’hui, est membre de l’une de ces coopératives. À l’en croire, les membres de la Coopérative des producteurs de vétiver de Tricon (COPVET) apprennent aujourd’hui à se servir des barrières anti-érosion naturelles pour transformer ces terres qui furent longtemps arides et défoncées en terres fertiles grouillant de grandes mottes d’herbe de vétiver brun-vert.

Quoique de petits agriculteurs peinent à approvisionner la population en produits vivriers de base, le pays essaie de se positionner en tant que premier acteur mondial dans le commerce et la production des huiles essentielles. Avec l’exportation des huiles essentielles, Haïti a encaissé 32 millions de dollars en 2016, affirme l’Observatoire de la complexité économique du Massachusetts Institute of Technology.

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Marie Michelle Felicien, GPJ Haïti

Un camion livre à l’usine UniKode dans les Cayes, à Haïti, 350 ballots de vétiver en provenance des exploitations agricoles de la région. Chaque ballot se vend à 2 000 gourdes haïtiennes.

Selon le groupe ETC, la production des agriculteurs haïtiens représente chaque année 50 pourcent des 120 à 150 tonnes d’huile de vétiver produites dans le monde. Œuvrant en faveur du développement de nouvelles technologies agricoles, cette organisation internationale reconnaît à quelque 30 000 agriculteurs du sud-ouest du pays le mérite de réaliser des niveaux de production élevés.

Malgré cela, la production d’huile de vétiver ne bouge pas d’un iota. La production annuelle s’est établie à 400 bidons dans les années 1980 et 1990, contre 700 dans les années 1970, lit-on dans un article de recherche de l’Université Columbia. Un bidon contient environ 200 litres d’huile de vétiver. Toujours aux dires des agriculteurs de Tricon, les niveaux de rendement sont inférieurs à ceux d’il y a quelques années.

Quoique l’herbe de vétiver soit utilisée dans le monde entier pour lutter contre l’érosion des sols, ceux qui la cultivent pour la production de l’huile affirment qu’elle emporte la couche arable et craignent que leurs terres agricoles risquent de disparaître bientôt.

« Pas un seul centimètre de terres pour faire pousser du vétiver, et encore moins du maïs, n’a été épargné », déplore Joseph Bateau Thès à propos d’une saison des récoltes où de fortes pluies ont emporté ses récoltes.

Thès, producteur de vétiver depuis quatre ans, avait l’habitude de récolter la plante en la déracinant complètement, laissant ainsi le sol précieux à nu. Or aujourd’hui, il est membre de la Coopérative des planteurs de vétiver de Manceau (COPLAVEM), une autre coopérative agricole, et a pu limiter la fureur de l’érosion contre sa plantation de vétiver grâce à l’UniKode.

Quelque 30 000 agriculteurs au sud-ouest d’Haïti sont tributaires de la production du vétiver baptisé « super-culture » du pays.

Thès et d’autres producteurs de vétiver se servent des « rampes », piles de résidus de récolte placées le long d’un contour pour empêcher l’érosion et la dégradation des sols. L’UniKode les aide à ériger ces barrières naturelles.

Selon Jean Maxon Personna, président de la COPVET, ce groupe créé en 2012 et composé de 86 membres exploite 96 hectares de vétiver, réalisant chaque année entre 30 et 60 millions de gourdes haïtiennes.

Des producteurs de vétiver à Haïti ne sont pas toujours au courant des dégâts pouvant résulter du déterrement de la plante, déplore Personna.

« C’est pour cela que nous, autres gens de Tricon, avons fait de notre mieux pour protéger nos terres, clé de notre survie économique », fait-il savoir, ajoutant que l’usage des rampes profite aux membres de sa coopérative.

« Nous travaillons avec beaucoup de coopératives en les encourageant à laisser les rampes de vétiver dans leurs jardins, avec un espacement de 5 mètres entre rampes sur la ligne, en fonction de la taille du jardin cultivé », explique Jerry Jean Joseph, agronome auprès de l’UniKode. Son usine travaille avec la COPVET depuis quatre ans pour augmenter le rendement et réduire l’érosion.

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Marie Michelle Felicien, GPJ Haïti

Fritz Pierre François Jean Baptiste, ouvrier à l’usine Unikode dans le sud d’Haïti, stocke des ballots de vétiver dans un hangar.

Amener des agriculteurs à se servir des rampes n’est pas chose facile, car il s’agit d’une méthode agricole à laquelle beaucoup d’entre eux ne sont pas habitués, ajoute Joseph. Mais, affirme Joseph, l’UniKode encourage les producteurs de vétiver de toute la région à se tourner vers les rampes.

« Nous ne nous contentons pas seulement d’acheter auprès des producteurs. Nous vérifions également que les producteurs ont récolté en laissant les rampes dans le sol chaque fois que nous achetons », confie-t-il.

Avec des rampes et d’autres pratiques agricoles durables, Haïti pourrait développer son industrie des huiles essentielles pour approvisionner encore plus d’aromathérapeutes à travers le monde, explique Mirline Delva, économiste.

« Les producteurs doivent se conscientiser sur la nécessité de faire de leur mieux pour protéger cet agrégat », déclare M. Delva.

Pour l’heure, des agriculteurs de Tricon affirment l’efficacité des rampes.

Thès se sert de vielles herbes de vétiver pour faire ses rampes. « Ma production de vétiver a repris son souffle ».

Aussi Sonore affirme-t-il avoir vu ses profits augmenter. Avant d’utiliser les rampes, il gagnait 150 000 à 200 000 gourdes par an en vendant sa récolte de vétiver à des producteurs d’huiles essentielles. Aujourd’hui, il gagne 400 000 gourdes par an, vendant sa récolte de vétiver à l’UniKode.

Adapté à partir de sa version originale en français par Ndahayo Sylvestre, GPJ.