PORT-AU-PRINCE, HAÏTI – En cette journée estivale à Haïti, il fait une chaleur atroce et chacun des 70 diplômés du secondaire rassemblés dans cette salle de classe archicomble dans le quartier de Carrefour n’a qu’un seul objectif : réussir le concours annuel d’admission à l’Université d’État d’Haïti, l’université la plus prestigieuse du pays.
Pendant un mois et demi, et ce, du lundi au vendredi de 7h à 17h, les participants au programme PREFAC Gratis consultent les concours d’admission des années antérieures avec l’aide des coaches d’une organisation dénommée CHAPEAU, lesquels sont tous aujourd’hui étudiants à l’université.
Sargine Lorreus, 19 ans, suit ce programme. Fraîchement diplômée du secondaire, elle veut poursuivre ses études supérieures en administration et en gestion. L’enjeu, lui, est de taille : elle n’a pas les moyens de fréquenter une université privée, et encore moins d’étudier à l’étranger.
« Connaissant les moyens économiques de mes parents, je dois passer le concours pour rentrer à l’Université d’État », fait-elle savoir. La pression reste énorme pour un élève dans sa situation, glisse-t-elle. « Si on ne travaille pas pour réussir le concours d’admission, c’est comme si on a passé toutes ces années pour rien ».
Lorreus doit faire face à une concurrence effrénée. Selon Hérold Toussaint, vice-recteur aux affaires académiques, la capacité de l’université est complètement dépassée par la demande. À l’en croire, les demandes reçues par l’université chaque année vont jusqu’à 55 000 alors que sa capacité totale n’est que de 6 000 étudiants répartis dans 11 facultés.
« Les ressources financières qu’octroie l’État haïtien sont très faibles, on aimerait accueillir plus d’étudiants, mais nos moyens sont limités », déclare Toussaint.
CHAPEAU est l’acronyme de « Cercle des Hédonistes avisés et progressistes pour l’émancipation et l’action universitaire ». Macilio Appolon, coordinateur du projet, a fondé l’organisation en 2017 avec huit autres étudiants de l’université. Leur objectif était d’accroître les chances des postulants dans toute la capitale, y compris de Carrefour, qui sont confrontés à d’importants défis lors de leur demande d’admission à l’université.
« On est dans une zone défavorisé », se désole Kysmide Joseph, responsable des relations publiques chez CHAPEAU et étudiante en dernière année de psychologie à l’université. Dans le passé, déclare-t-elle, « les jeunes de cette communauté n’ont pas pu avoir la chance de réussir les concours d’admission ».
Une partie du problème, c’est que les questions que comporte le concours d’admission ont peu de choses en commun avec les matières apprises par les élèves à l’école. En classe, affirme Appolon, les élèves apprennent les maths, les sciences sociales et la philosophie. Et pourtant, ajoute-il, le concours porte sur des connaissances générales, la culture, les sports et l’actualité.
Le CHAPEAU assure le coaching de ces élèves et se sert des concours des années antérieures et des stratégies d’examens de culture générale pour aider les élèves à comprendre ce qui leur est demandé pour lorsqu’ils passent le concours d’admission.
Vanessa Rodney, étudiante en deuxième année de droit à l’université, explique que ces stratégies l’ont aidée à réussir le concours.
Grâce à l’aide du CHAPEAU, confie-t-elle, elle a appris à répondre aux questions dont elle connaissait bien les réponses, au lieu de s’étendre inutilement sur celles qu’elle ne connaissait pas.
« Je n’étais pas préparé », affirme Rodney. « C’est grâce aux jeunes de cette organisation qui m’ont vraiment aidé. Tout d’abord, on m’a donné les meilleures techniques ».
Aux dires de Joseph, les résultats ont aidé beaucoup d’autres, comme Rodney, à entrer à l’université. « Pendant les deux années antérieures, on a eu 44,4% des étudiants de la zone qui ont intégré l’université d’État. On compte en faire plus pour le bien de la communauté et pour le pays tout entier », assure-t-elle.
Jude Edouard Pierre est maire de la commune de Carrefour. Chaque année, il donne un discours de motivation au début du programme. « En tant que maire et citoyen de la commune, ma participation est un devoir », précise-t-il.
Mais le CHAPEAU ne peut desservir l’ensemble des milliers d’élèves étudiants aspirant à aller à l’université dans un pays où plus de la moitié de la population a moins de 25 ans.
« Le pays a un potentiel de jeunes, mon souhait c’est qu’un jour on puisse avoir beaucoup plus d’universités », dit Lorreus.
Lorreus, quant à elle, attend toujours de passer le concours. L’instabilité politique a interrompu le processus d’admission pour cette année, ce qui est bel est bien un autre obstacle à l’éducation au grand dam d’un jeune haïtien.
Adapté à partir de sa version originale en français par Ndahayo Sylvestre, GPJ.