PORT-AU-PRINCE, HAITI —La première réunion de l’ASHAMO s’est tenue en 1998.
L’Association des handicapés en mouvement (ASHAMO) a vu le jour en réponse à un sentiment d’intense frustration suscitée par l’absence d’opportunités et à l’ampleur de la discrimination à l’égard des Haïtiens handicapés.
Aujourd’hui, la salle de réunion est pareille à un lieu de retrouvailles d’anciens amis. Les participants ont traversé pas mal d’épreuves et connu, au cours des dernières années, quelques succès.
Lors de la réunion, Stevenson Pierre Louis, avocat de 25 ans, relate à nouveau le récit des circonstances dans lesquelles il a perdu son bras droit à l’âge de 17 ans.
« Ma vie était chamboulée par la perte de mon bras droit », déplore Pierre Louis, ajoutant que la discrimination au sein de la société et sur le lieu de travail était un mal tenace. « Tu sais quoi, je suis allé au-delà de ce que pouvait penser la société ».
Il a pu poursuivre la profession d’avocat et réussir dans la vie, en partie grâce au changement important de la culture des personnes handicapées après le séisme de 2010.
En date du 12 janvier 2010, cette petite nation s’est vue secouer par un séisme de magnitude 7,0 qui a laissé sur son passage 250 000 morts et des milliers d’handicapés. À vrai dire, le nombre exact de morts ne sera jamais connu.
Selon une enquête sur le handicap réalisée à Haïti en 2015, on estime à 440 000 le nombre de personnes handicapées dans le pays. Selon la même enquête, le séisme est l’une des principales causes d’handicap à Haïti.
Fait paradoxal, le séisme a provoqué un sourie sur le visage des Haïtiens handicapés. Avant que le séisme ne frappe la nation, ces personnes handicapées étaient généralement considérées comme pauvres et non qualifiées. Mais après coup, c’est devenu chose courante de voir des médecins, des avocats, des gens de la classe moyenne et d’autres professionnels respectés privés de leurs membres ou en fauteuil roulant.
« Aujourd’hui, je suis avocat », rappelle Pierre Louis, ajoutant qu’il s’acharne à combattre la stigmatisation entourant le handicap ici. « Je ressens une certaine fierté d’avoir survécu à la secousse sismique et faire preuve de ferveur intacte. Être handicapé n’est jamais un facteur de choix pour quiconque. C’est pourquoi chaque individu doit être conscient du problème et aider son prochain à le surmonter ».
Gerald Oriol Jr., Secrétaire d’État haïtien à l’intégration des personnes handicapées, dit que le handicap est un enjeu complexe mais qu’Haïti fait des progrès aujourd’hui.
« Notre plus grand défi aujourd’hui est d’apporter notre contribution à la construction d’une société véritablement inclusive qui garantisse les droits de toutes les catégories de notre peuple », annonce-t-il.
Selon les membres de l’ASHAMO, la situation s’est améliorée depuis le séisme de 2010.
Josué Jean Baptiste, 43 ans, père et psychologue, travaille au Ministère de la Jeunesse, des Sports et de l’Action civique (MJSAC) qui supervise l’ASHAMO. Il a été handicapé de ses deux bras après avoir été électrocuté en 1997.
« Notre peuple n’a pas été éduqué à se soutenir mutuellement, et c’était chacun pour soi », dit-il de la vie avant le séisme.
La prochaine génération d’Haïtiens grandira, sachant que même des gens importants peuvent être des handicapés, explique Marie Chantale Pierre, enseignante au primaire.
« En tant qu’institutrice, je m’engage à aider les plus petits à comprendre l’importance de ne pas juger des personnes par leurs apparences. Et plus tard, je l’espère, on aura une société plus équilibrée où chacun a sa place », estime-t-elle.
Pourtant, dans une nation en proie à la pauvreté, les personnes handicapées ont souvent du mal à gagner leur vie à moins qu’elles ne reçoivent l’éducation tôt dans la vie.
Darline St. Victor, 24 ans, est en situation de handicap depuis sa naissance. Elle dit que ces changements se font à un rythme insuffisant.
« Vous savez, des fois il m’arrive de regretter le jour où je suis née chaque fois que je me souviens que j’ai été forcée d’abandonner mes études à cause des mauvais moments que mes camarades me faisaient subir », confie St. Victor.
Le changement ne se fait pas du jour au lendemain, souligne Pierre Louis, ajoutant toutefois qu’il y a plus de gens que jamais qui s’engagent en faveur de la défense des droits des personnes handicapées.
« L’objectif principal n’est pas de monter les personnes handicapées contre les personnes sans handicap, car nous ne sommes pas ennemis », révèle-t-il. « Au lieu de cela, nous devons développer chez les Haïtiens une nouvelle culture qui est de se soutenir mutuellement ».
Adapté à partir de sa version originale en français par Ndayaho Sylvestre, GPJ.