Haiti

Haïti fermant les portes du secondaire aux élèves sur-âgés, une école se mue en solution

À Haïti, des élèves âgés de plus de 13 ans se voient refuser l’entrée au secondaire. Aux yeux des groupes de défense, nombreux sont les élèves qui jettent l’éponge après la sixième année à cause de la politique en matière de sur-âgés. Mais outre la formation professionnelle, l’École de la Réussite dispense des cours classiques pour offrir une seconde chance aux élèves plus âgés.

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Haiti Bans Overage Students From Secondary Education, but One School Has a Solution

Marie Michelle Felicien, GPJ Haïti

Ashley Parinis demande à ses camarades de classe, tous trop âgés pour être admis dans une école secondaire publique, de travailler sur un projet de ferraillage. Les élèves sur-âgés représentent 72 pourcent des effectifs scolaires au cycle primaire à Haïti.

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PORT-AU-PRINCE, HAÏTI — Cassandra Théodore, 17 ans, fait partie des quelque 150 élèves qui fréquentent l’École de la Réussite, dans la capitale haïtienne.

Pourtant, c’est une école secondaire pas comme les autres. Ses élèves apprennent des métiers comme la plomberie, le carrelage, la maçonnerie et l’hôtellerie et, en outre, des cours classiques.

L’école ouvre ses portes à ces élèves pour qui, étant trop âgés, l’entrée aux écoles secondaires publiques d’Haïti est pure utopie.

« Mes parents et moi étions dans l’inquiétude chaque fois que nous pensions à mon admission au cycle secondaire vu mon âge trop avancé pour être admis dans une école publique », explique Cassandra.

À Haïti, l’admission à l’école secondaire publique est loin d’être un acquis. Et pour être admis en septième année, autrement dit la première année du secondaire, il faut être âgé de 12 ou de 13 ans. Et pourtant, la pauvreté pousse beaucoup de jeunes à commencer l’école primaire tardivement. Soit un enfant peut être appelé à aider sa famille dans des travaux agricoles, soit les parents ne peuvent se permettre les frais de transport ou de scolarité. Voilà en partie pourquoi la scolarisation à l’âge de 6 ans reste impossible pour certains enfants. À en croire les enseignants et les groupes de défense, l’inflexible exigence quant au maximum d’âge requis pour poursuivre les études au-delà de la sixième année dans les écoles publiques est en partie responsable de l’incapacité de bien des Haïtiens à dépasser le cycle primaire.

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Marie Michelle Felicien, GPJ Haïti

Étant trop âgée, Cassandra Théodore, 17 ans, s’est vue refuser l’accès à l’école secondaire publique à Haïti. Aujourd’hui, elle apprend un métier à l’École de la Réussite dans la capitale d’Haïti.

Pour Cassandra, élève ayant terminé sa sixième année mais trop âgée pour passer en septième année, elle passionnée par son cours de carrelage, car ce dernier lui permet de flairer ses revenus dans l’avenir. Outre le carrelage, il lui est proposé des cours classiques qui l’aident à satisfaire aux conditions d’entrée au secondaire dans les écoles privées dans lesquelles l’admission se fait sans égard à l’âge.

« Aujourd’hui, je ne négocie pas mes weekends, car j’espère que très bientôt je serai une fille très formée sur le marché du travail », assure-t-elle. « J’espère pouvoir être autonome après cette formation ».

Ayant vu le jour en 2012, l’École de la Réussite se fixe comme objectif d’aider les élèves sur-âgés à acquérir des compétences professionnelles avec l’apprentissage des concepts nécessaires à leur admission dans les écoles secondaires privées.

Les élèves sur-âgés représentent 72 pourcent des effectifs scolaires au cycle primaire à Haïti.

Les conditions d’âge ont été introduites dans les années 80 dans la foulée de la réforme du système éducatif haïtien qui a mis sur pied un moyen d’étaler l’éducation de base sur neuf ans. De l’avis des enseignants, la gestion des classes n’est pas sans difficultés quand des élèves d’âges différents se retrouvent dans une même classe. Il ressort également des recherches réalisées par l’UNESCO, l’UNICEF et autres que le système des sur-âgés engendre des de nombreuses conséquences néfastes.

Ainsi, on reproche à ce système de limiter l’accès à l’éducation pour la majorité des jeunes haïtiens. La politique en matière de sur-âgés figure parmi les causes premières du taux élevé d’abandon scolaire à Haïti, lit-on dans un rapport de l’UNESCO.

Selon la Banque mondiale, près de la moitié des élèves haïtiens décrochent de l’école. Si des élèves doivent redoubler ou suspendre leurs études pour aider leur famille à travailler ou à cultiver, ils ne sont guère motivés à reprendre le chemin de l’école sachant qu’ils ne peuvent jamais dépasser la sixième année à cause de leur âge et que l’option d’entrer dans une école privée reste infaisable, faute de moyens financiers.

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Marie Michelle Felicien, GPJ Haïti

Environ 150 élèves de l’École de la Réussite apprennent des métiers comme la plomberie, le carrelage, la maçonnerie et l’hôtellerie ainsi que des cours classiques.

« Je crois qu’aucun sur-âgé n’a choisi de l’être », déclare Nadège Joachim, ancienne adjointe au maire de Port-au-Prince et fondatrice de l’École de la Réussite. « Ces élèves sont victimes du mauvais fonctionnement de la machine haïtienne qui se reflète dans la pauvreté des parents, le travail domestique des enfants et le manque d’accès à l’éducation dans les provinces reculées ».

En dépit de ces défis, ajoute-t-elle, les élèves qui fréquentent l’école ont une forte motivation pour apprendre. La formation professionnelle ajoutée à leur préparation à l’intégration dans les écoles privées joue un rôle important.

Ashley Parinis, 17 ans, n’a pas pu dépasser la sixième année à cause de son âge.

« Avant, je passais mon temps à fréquenter mes amis, à jouer au foot et à flâner dans le quartier », se remémore-t-il. « L’école m’aide à prendre l’apprentissage plus au sérieux ».

Aujourd’hui, il apprend des techniques de ferraillage.

« Aujourd’hui, les gens de mon quartier commencent à me voir différemment et n’hésitent pas à recourir à mes services pour de petits boulots ayant trait à mon métier », déclare-t-il.

Les élèves sur-âgés représentent 72 pourcent des effectifs scolaires au cycle primaire à Haïti.

Cela est fréquent, annonce Joachim.

« L’encadrement professionnel les aide à avoir quelque chose en main leur permettant de payer leur écolage et de ne plus dépendre de leurs parents pour aller dans des écoles privées », raconte-t-elle.

Evens Monpremier, électricien âgé de 36 ans, enseigne à l’École de la Réussite.

« Je forme ces pépinières depuis 2012 », explique Monpremier. « Je trouve l’initiative louable parce qu’elle va permettre de réduire les taux de délinquance et de grossesse précoce parmi nos jeunes élèves. Ces derniers pourront enfin prendre en main leur destinée et ainsi devenir des citoyens utiles de demain ».

Rose Michelle Kettyna Bellabe, adjointe au maire de Port-au-Prince, nourrit l’espoir de voir les jeunes enrayer les préjugés à l’égard de la formation professionnelle et des métiers.

« Nous espérons déraciner ce complexe présent chez des jeunes Haïtiens, les poussant à minimiser les métiers manuels », affirme-t-elle.

Ainsi, l’École de la Réussite existe pour ouvrir une nouvelle ère pour Haïti, affirme Joachim.

« De cette façon, nous pourrons éradiquer la marginalisation dans les écoles dans tout le pays », rassure-t-elle. « Et chacun selon son niveau pourra apporter sa pierre au changement en vue d’un nouveau Haïti ».

Adapté à partir de sa version originale en français par Ndahayo Sylvestre, GPJ.