Haiti

L'éducation des enfants est en souffrance alors qu’une crise de carburant paralyse Haïti

Dans le nord d'Haïti, les écoles sont restées fermées pendant des mois pendant que le pays subissait une crise de carburant qui dure encore. Les cours ont repris, mais de nombreux étudiants ont du mal à arriver à l’école – et les psychologues prédisent des conséquences désastreuses.

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Haiti’s Fuel Crisis Is Having a Devastating Effect on Children’s Education

Verlande Cadet, GPJ Haiti

Mirlande Bolivard aide sa fille à faire ses devoirs tout en s'occupant de son plus jeune enfant dans leur maison du Cap-Haïtien.

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CAP-HAÏTIEN, HAITI — Lorsque l’école a rouvert pour les trois enfants d’Esther Paul en janvier, ce fut un moment de soulagement bien mérité pour la mère célibataire, qui était seule à la maison avec ses enfants depuis six mois. Mais cela posait aussi un problème.

« L’année dernière, le prix des motos à trois roues était de cinquante gourdes [haïtiennes], [33 centimes] » dit-elle, se référant au coût du transport pour emmener ses enfants à l’école. « Cette année, le prix a doublé. Qui sait si l’année prochaine le prix ne va pas monter encore. »

Paul n’a plus les moyens de payer le transport d’école de ses enfants et fais maintenant le trajet à pied, soit une heure de marche par jour pour l’aller et retour. Certains jours, le parcours est trop lourd pour ses deux plus jeunes enfants, âgés de 3 et 4 ans.

« Je dois me dépêcher chaque jour pour ne pas être en retard, sinon les enfants vont être punis, » dit Paul. « Ce n’est pas facile pour moi car mes deux derniers enfants sont trop petits pour marcher très vite. Quand le temps presse, c’est ma fille aînée qui m’aide à porter les enfants sur le dos. »

En septembre dernier, le gouvernement a annoncé la fin de 400 millions de dollars de subventions de carburant. Les prix de carburant ont doublé, déclenchant des manifestations, parfois violentes, alors que le pays faisait face à une crise économique qui continue de s’aggraver. Les gangs ont également bloqué l’accès au terminal principal de Varreux, qui reçoit la plupart du carburant importé du pays, et ont exigé la démission du Premier Ministre Ariel Henry. Les écoles et les entreprises ont fermé et les manifestants ont bloqué les routes. Mais bien que les enfants du Cap-Haïtien puissent désormais retourner en classe après une interruption de six mois dans certaines régions, avec la crise de carburant, de nombreux parents ont beaucoup de difficultés pour emmener leurs enfants à l’école.

En août, Mirlande Bolivard avait déjà payé une partie des frais de scolarité de ses enfants dans un école privée lorsque le gouvernement a annoncé sa décision de reporter la rentrée scolaire après les vacances d’été. Le ministère de l’Éducation nationale et de la Formation professionnelle a annoncé le report d’un mois, sans donner de raison, quelques jours seulement avant la date de rentrée prévue du 5 septembre. Pourtant, les écoles n’ont commencé à rouvrir à Cap-Haïtien qu’en décembre, et finalement, tous les enfants sont rentrés en classe en janvier. Lorsque les enfants de Bolivard, âgés de 10 et 12 ans, sont retournés en classe, les responsables de l’école ont demandé aux élèves de ne pas porter leur uniforme de peur qu’ils se soient ciblés par des manifestants en colère que les écoles reprennent alors que leurs demandes n’avaient pas été satisfaites.

Bolivard dit que son mari amène leurs enfants à l’école en voiture, mais c’est elle dépend d’un moto-taxi pour les ramener à la maison. Cela lui coûte 500 gourdes ($ 3,33) par jour.

« J’ai du mal à tirer un revenu suffisant de mon entreprise en raison de l’instabilité du pays, » explique Bolivard, qui a ouvert une entreprise d’événements et de restauration en 2022 après avoir démissionné de son emploi dans une banque pour rester à la maison avec son plus jeune enfant. « Quant à mon mari, il fait face à des défis en tant qu’avocat dans une ville où l’instabilité paralyse également le système judiciaire. »

La police a repris le contrôle du terminal de carburant de Varreux en novembre, mais les stations-service de la deuxième plus grande ville du pays restent largement vides, ce qui force la plupart des habitants à acheter du carburant sur le marché noir, initialement à environs
1 500 gourdes ($10) le gallon, puis le prix est passé à 1 000 gourdes ($6.40).

En plus de l’augmentation des coûts, il y a moins de taxis-motos disponibles pour le transport, ce qui rend les déplacements difficiles, même pour les gens qui peuvent payer le prix.

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Verlande Cadet, GPJ Haiti

Une pompe à essence hors service au Cap-Haïtien, Haïti. Malgré que le prix du carburant sur le marché noir ait diminué de moitié cette année à mesure que l’approvisionnement a repris timidement, le carburant est encore trop cher et rare pour que de nombreux opérateurs de transport puissent gagner leur vie.

Duderot François, qui conduisait un taxi-moto à trois roues, un mode de transport public spécifique à itinéraires fixes qui peut transporter jusqu’à cinq passagers, a été forcé d’arrêter de travailler après la flambée des prix du carburant. Il dit que même si le prix du carburant sur le marché noir a diminué de moitié cette année avec la reprise de l’approvisionnement, le carburant est encore trop cher et rare pour qu’il puisse gagner sa vie. Il a été témoin de nombreuses bagarres pour de l’essence dans les pompes.

« C’était très difficile de se procurer de l’essence à cette époque. Il y avait toujours une longue ligne d’attente et des querelles, » dit François. « Parfois je passais toute la journée dans une ligne d’attente et la station fermait sans que j’aie eu le temps d’en acheter. »

François dit que le carburant n’est pas arrivé dans la station de sa région, donc à moins qu’il n’ait de l’argent pour l’acheter sur le marché noir, il n’a pas de carburant.

Alors qu’il faut du temps pour que le carburant atteigne les pompes dans le nord d’Haïti, la région a également mis du temps à rouvrir les écoles. En décembre, Nesmy Manigat, le ministre de l’Éducation, a signalé que plus de 50% des écoles étaient ouvertes dans huit des 10 départements d’Haïti. Dans le département du Nord, où se trouve Cap-Haïtien, seulement 17% des écoles étaient ouvertes, alors que dans le Nord-Est, c’était 27%. Toutes les écoles ont depuis rouvert dans la ville côtière du nord, et tous les enfants y vont en uniforme, indique Marie-Carmelle Cothière, de la Direction départementale de l’éducation du Nord, mais l’accès à l’éducation ainsi que les cours que les enfants ont manqués préoccupent encore certains.

Steevelyne Pierre, pédopsychologue au Collège le Phare à Cap-Haïtien, affirme que ne pas fréquenter l’école pendant une longue période pourrait affecter négativement le développement intellectuel et le bien-être mental des enfants, surtout s’ils ne sont pas stimulés intellectuellement à la maison. Elle dit que les enfants sont susceptibles d’oublier beaucoup de choses apprises à l’école.

« Cette fermeture ne fait qu’aggraver l’éducation des enfants qui est en décadence depuis plusieurs années, » a déclaré Pierre

Bolivard est soulagée que ses enfants puissent poursuivre leurs études, mais elle doit faire des sacrifices pour payer le transport – à un moment où elle n’a pas de revenu stable et où les bénéfices de son mari diminuent. Elle croit que ce n’est que si le carburant devient plus disponible et que le prix baisse que sa situation s’améliorera.

Paul est également prête à faire le sacrifice chaque jour pour le bien de l’éducation de ses enfants. Après avoir marché et souvent porté ses enfants à l’école, elle passe la journée à travailler dans leur école, s’occupant des plus jeunes élèves. Elle accepte de faire ce parcours exténuant mais n’a aucun espoir que les frais de transport baissent.

« Honnêtement je ne crois pas que cela va changer, » dit-elle, « surtout avec cette instabilité qui règne dans le pays. »

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Verlande Cadet, GPJ Haiti

Esther Paul marche pendant une heure de temps pour amener ses trois enfants à l'école chaque jour. Le coût du carburant a fait flamber les prix des transports publics à un niveau qu'elle ne peut plus se payer.

Verlande Cadet est journaliste à Global Press Journal en Haïti.


NOTE À PROPOS DE LA TRADUCTION

Traduit par Soukaina Martin, GPJ.