HARARE, ZIMBABWE — Memory Kuzonyei, 28 ans, est assise dans une petite pièce louée entourée de trois bols en bois remplis de sel, de tabac à priser et d’eau. Un poignard est posé sur l’un des bols. Elle est enveloppée dans le tissu rouge, blanc et noir qu’elle porte lorsqu’elle se connecte à son esprit ancestral.
Le poignard est utilisé pour détruire les gobelins – qui sont considérés comme des esprits maléfiques composés de parties du corps humain et d’herbes – et les serpents, dit-elle. Kuzonyei dit qu’elle a détruit des gobelins et des serpents plusieurs fois.
Kuzonyei garde un autre tissu blanc, qui symbolise la pureté, caché dans la petite pièce lorsqu’elle a besoin de se connecter avec son esprit de sirène.
À l’extérieur de la pièce se trouve une file de gens assis sous le soleil brûlant, et ils attendent tous Kuzonyei. Elle guérit les personnes malades et stériles ici depuis 2011, et elle est également connue pour le solutionnement de problèmes conjugaux et financiers.
Kuzonyei est une guérisseuse spirituelle traditionnelle, une profession réglementée par le gouvernement Zimbabwéen. Ici, il est courant que les gens recherchent la guérison et l’intervention spirituelle pour des malheurs que les médecins sont incapables de guérir ou de détecter.
Les affaires de Kuzonyei sont en plein essor, mais alors que la nation subit une économie de plus en plus sombre, d’autres guérisseurs disent que leurs nombre de patients est en baisse.
“Les gens ne viennent plus comme avant, à cause des conditions économiques difficiles, et ils se tournent plutôt vers l’église pour chercher de l’aide, parce que là ils ne paient aucun frais pour les consultations”, explique Sophia Machaka, une guérisseuse.
Les guérisseurs acceptent généralement diverses formes de paiement, y compris des chèvres et d’autres animaux.
Les guérisseurs traditionnels sont régis par la loi de 1981 sur les médecins traditionnels du Zimbabwe. Plus de 80 pour cent des Zimbabwéens consultent des guérisseurs traditionnels, selon le rapport de 2010 du comité de la santé du Parlement.
Il y a environ 55 000 guérisseurs traditionnels dans le réseau national de ZINATHA. ZINATHA n’a pas de statistiques officielles concernant le nombre de personnes traitées par ces guérisseurs, mais Prince Sibanda, secrétaire à l’éducation de ZINATHA, affirme que les guérisseurs voient en moyenne 50 personnes par jour.
Certains pasteurs et prophètes pentecôtistes, qui dirigent un mouvement religieux croissant au Zimbabwe, mettent en garde les membres de leur église d’éviter les guérisseurs traditionnels, qu’ils associent aux mauvais esprits. Cela a entraîné une diminution du nombre de personnes qui visitent les guérisseurs spirituels, selon les membres de ZINATHA.
Pendant ce temps, certains pasteurs disent que de plus en plus de gens remplissent les bancs des églises pour y chercher la guérison au lieu de passer par les guérisseurs traditionnels. Mais cela ne veut pas dire qu’ils sont des chrétiens fidèles, disent certains.
Nicholas Nyahora, un diacre de Winners Chapel International, une église pentecôtiste à Harare, compare les guérisseurs traditionnels à Elymas, un sorcier de la Bible qui a accompli des miracles en utilisant des pouvoirs maléfiques.
« Les gens qui vont [chez les guérisseurs traditionnels] ne sont pas des chrétiens, mais simplement des gens qui fréquentent l’église, car les chrétiens savent où aller quand ils ont besoin d’une guérison spirituelle », dit Nyahora.
On estime que 84% des Zimbabwéens se disent chrétiens, mais les guérisseurs traditionnels disent que beaucoup de ces personnes sollicitent toujours leurs services. Tichakunda Bote, un guérisseur traditionnel, dit qu’il travaille tard parce que les chrétiens lui rendent visite sous couvert de l’obscurité. Que ce soit à l’église ou chez un guérisseur, dit Bote, le Dieu qu’ils recherchent est le même.
“Nous croyons aussi en Dieu, mais ce qui est différent des chrétiens, ce sont les méthodes que nous utilisons pour atteindre Dieu”, dit-il.
Officiellement, les professionnels de la santé découragent les patients de consulter les guérisseurs traditionnels, en partie pour des raisons pratiques.
Le Dr Virginia Masunda, qui est basée à Harare, affirme que les herbes et les traitements, tels que les incisions, d’un guérisseur traditionnel pourraient interférer avec les médicaments conventionnels. Mais elle reconnaît que les guérisseurs traditionnels peuvent compléter le travail des médecins formés en Occident, en particulier pour les malades mentaux.
“Quand ils vont chez un guérisseur traditionnel qui aborde leurs problèmes centrés sur leurs croyances culturelles, et qu’ils y croient, cela en soi peut les aider psychologiquement à devenir un peu stables, car les esprits ont été apaisés”, dit-elle.
Kuzonyei, la guérisseuse qui prétend avoir un esprit de sirène, dit que ses affaires sont en plein essor et que certains de ses patients sont des leaders d’église.
Lors de ses journées les plus chargées, dit Kuzonyei, elle voit 150 personnes, généralement pendant quelques minutes chacune. La plupart des jours, dit-elle, elle voit environ 40 personnes. Elle ajoute du tabac finement moulu à l’eau et dit aux clients de s’y baigner pour chasser les mauvais esprits. Elle ajoute des œufs à l’eau et dit aux clients de se baigner avec eux, puis de les faire bouillir et de les manger sans sel. Ce processus élimine la malchance qui empêche une personne de se marier, dit-elle.
“Beaucoup de gens de différents horizons viennent chercher mes services, et parfois je suis dépassée par le nombre de personnes”, dit-elle. “Même les chefs d’église viennent me voir pour obtenir plus de pouvoir afin que plus de gens viennent dans leurs églises.”
Les frais de consultation de Kuzonyei sont de $ 3 , mais certains problèmes intenses nécessitent un paiement de $ 50 . Elle consulte même par téléphone des personnes vivant à l’étranger, dont la plupart envoient des cadeaux en guise de remerciement.
Kuzonyei dit qu’elle a commencé à cultiver ses pouvoirs de guérison à l’âge de 10 ans, lorsque des sirènes l’ont emportée du bord d’une rivière où elle allait chercher de l’eau près de sa maison rurale. Elle dit avoir vécu avec les sirènes, dans le monde marin, pendant cinq ans.
“Ma mère m’avait envoyée chercher de l’eau, et un tourbillon est venu et m’a emporté mon bidon, et après ça, je me suis vue tout d’un coup sous l’eau, et je ne savais pas trop comment j’y étais arrivée”, raconte-t-elle.
Maintenant, dit Kuzonyei, elle a deux esprits qu’elle utilise indistinctement pour aider les personnes ayant différents problèmes. Son esprit de sirène s’appelle shavi renjuzu en langue shona, et son second esprit, celui de son arrière-grand-père, s’appelle mudzimu en shona. Elle dit que les deux esprits l’ont possédée lorsqu’elle est revenue du monde marin sur terre.
Pour certains patients, le travail de Kuzonyei sauve littéralement des vies.
Shupikai Chisenga dit qu’elle ne croyait pas aux guérisseurs traditionnels jusqu’à ce que son fils soit attaqué par des gobelins en 2014. Le garçon de 22 mois était mort, dit Chisenga.
“Il n’avait pas de pouls et ne pouvait ni bouger ni respirer”, dit-elle. “Il était littéralement mort.”
Des voisins sont même venus lui rendre hommage.
Kuzonyei dit qu’elle a utilisé son esprit de sirène pour exorciser un esprit maléfique en baignant le garçon dans du tabac, et il est instantanément revenu à la vie.
Prince Sibanda, secrétaire à l’éducation de ZINATHA, affirme que les guérisseurs seront toujours en demande, car ils répondent à la fois aux besoins physiques et spirituels. Et si un client a besoin d’un traitement médical conventionnel, un guérisseur référera cette personne vers un hôpital, dit-il.
“Il y a une mauvaise interprétation de qui nous sommes vraiment. Nous sommes considérés comme des sorciers, mais ce n’est pas le cas », dit-il. « Nous sommes des guérisseurs luttant contre la sorcellerie. Notre mandat est de guérir.
Gamuchirai Masiyiwa, GPJ, traduit certaines des interviews du Shona.