Zimbabwe

Au Zimbabwe, les mineurs d’or risquent de s’empoisonner au mercure pour gagner leur vie dans un contexte économique chaotique

Depuis quatre ans, le Zimbabwe a signé la Convention de Minamata des Nations unies sur le mercure, qui confère aux gouvernements la responsabilité de protéger leur population et leur environnement des effets néfastes de l’empoisonnement au mercure. Mais, dans un contexte économique très difficile, le gouvernement et la population du Zimbabwe veulent extraire le plus d’or possible, quel qu’en soit le coût.

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With Economy in Shambles, Zimbabwe’s Gold  Miners Risk Mercury Poisoning for Payday

LINDA MUJURU, GPJ ZIMBABWE

Patson Chizanga (à gauche) et Gono Moyo (à droite) exploitent un moulin qui concasse des pierres dans la région du mont Darwin. Chizanga et Moyo espèrent que les pierres brisées recèlent des pépites d’or.

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MUKARADZI, MOUNT DARWIN, ZIMBABWE —Il est 14 heures et il fait une chaleur de plomb. Pourtant, des dizaines d’hommes et de femmes cassent des pierres, le corps recouvert de poussière et de sueur.

Le sol est perforé de trous et de rigoles. Appelés « mineurs artisanaux » parce qu’ils travaillent seuls ou en petites équipes (souvent sans se faire recenser comme mineurs auprès des autorités), ils creusent partout où ils pensent trouver de l’or, arrachant des morceaux de pierre et les brisant jusqu’à obtenir un tas de poussière. Un mineur verse une partie de la poussière dans un récipient, puis la recouvre de mercure qu’il conserve dans un sac en plastique fin.

À mains nues, le mineur utilise un chiffon pour extraire le mercure toxique de la poussière. Les jours de chance, le mineur trouve une pépite d’or lorsqu’il ouvre le chiffon. Ensuite, il brûle la pépite d’or pour éliminer toute trace de mercure, dégageant des fumées toxiques dans l’environnement, souvent sans savoir que l’exposition au mercure peut entraîner des maladies graves, voire la mort.

« Sans mercure, il est difficile de se procurer des particules d’or comme composant unique », explique le mineur Godfrey Bondera, alors qu’il se précipite dans une hutte herbeuse pour brûler une pépite d’or. Il estime que « son utilisation est totalement sûre ».

Le mercure coule au Zimbabwe depuis l’Afrique du Sud et d’autres pays voisins et alimente le boom aurifère du pays, essentiellement dépourvu de règlementations. Il est difficile de répertorier les importations et les exportations de mercure, notamment parce qu’aucun pays ne consigne le mercure acheté sur son territoire à des fins d’extraction d’or. Une grande partie du commerce du mercure en Afrique australe se fait probablement à travers des frontières poreuses, où règne une gouvernance faible ou inexistante.

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LINDA MUJURU, GPJ ZIMBABWE

Dans la communauté de Mukaradzi, les mineurs d’or ne disposent pas d’eau courante. Nombre d’entre eux utilisent du mercure au quotidien, sans aucune protection.

Dans les mines du mont Darwin, les vendeurs de mercure débarquent tout simplement. Les mineurs l’achètent. Personne ne demande d’où il vient.

Selon un mineur, le mercure est bon marché, seulement 2 $ par gramme (0,035 oz). Il est facile à transporter et très pratique à utiliser. Même les enfants l’utilisent.

En fait, selon une étude de 2014 de Pact Zimbabwe, jusqu’à deux mineurs sur trois au Zimbabwe utilisent du mercure, sans protection, pour extraire l’or du minerai. Ce faisant, les mineurs courent le risque de détériorer leurs systèmes nerveux, immunitaire et reproductif.

Pendant ce temps, le gouvernement reste passif (voire ne fait rien) pour freiner le recours au mercure et encourage plutôt les Zimbabwéens à extraire l’or en utilisant tous les outils ou substances dont ils disposent. Les mineurs sont techniquement censés s’enregistrer auprès du gouvernement, mais n’importe qui peut vendre une pépite d’or, de n’importe quelle taille, à l’acheteur d’or gouvernemental, Fidelity Printers and Refiners, sans poser de questions.

En 2013, le Zimbabwe a signé la Convention de Minamata des Nations unies sur le mercure, qui exhorte les gouvernements à protéger les populations et l’environnement contre le mercure, mais n’a pas ratifié la convention qui vise à abolir l’utilisation du mercure.

L’or est désormais l’un des principaux piliers de l’économie fragilisée du Zimbabwe, et les mineurs artisanaux et à petite échelle en sont les principaux acteurs. Selon la Chambre des mines, une division du ministère des Mines et du Développement minier, plus de 25 % des personnes employées officiellement travaillent dans l’industrie aurifère. Au total, plus d’un million des quelque 16 millions d’habitants du Zimbabwe sont directement impliqués en quelque sorte dans une activité minière.

Le prix de l’or est élevé, car de nombreux mineurs souffrent de graves problèmes de santé. Même les mineurs qui connaissent les dangers du mercure avouent ne pas être en mesure d’éviter d’entrer en contact avec cette substance.

« L’eau que nous utilisons pour laver l’or à l’aide du mercure est la même que celle que nous utilisons pour boire et cuisiner », explique Mercy Bungu, un mineur d’or chevronné qui a travaillé dans tout le pays de l’or qu’est le Zimbabwe. « Nous avons de nombreux cas d’enfants qui font la [diarrhée] parce que l’eau qu’ils boivent est une eau contaminée. »

Le gouvernement devrait creuser un puits pour permettre aux mineurs d’avoir de l’eau propre, dit Bungu.

Le camp temporaire situé dans la région du mont Darwin, où vivent de nombreux mineurs, ne dispose même pas du nécessaire. Les personnes qui y vivent sont au bord de la pauvreté absolue. Ils portent des vêtements usés qui ne leur offrent aucune protection contre les intempéries ou les risques auxquels ils sont exposés dans les mines. Les gants, les combinaisons de travail et les casques ne représentent que des rêves.

Cette situation exaspère les médecins locaux, qui voient des patients souffrir en raison de leur exposition à des produits chimiques et à d’autres substances.

« Les gens devraient utiliser des gants et des masques résistants lorsqu’ils manipulent du mercure », déclare le Dr George Mapiye, médecin du district du mont Darwin, qui traite parfois les mineurs.

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LINDA MUJURU, GPJ ZIMBABWE

Mercy Bungu fait la cuisine dans sa cantine extérieure en utilisant de l’eau qui, selon elle, est contaminée par le mercure. Le mercure est largement utilisé par les mineurs d’or artisanaux au Zimbabwe.

Le Dr Gerald Gwinji, secrétaire permanent du ministère de la Santé et de l’Enfance du Zimbabwe, affirme que le gouvernement est conscient que des patients ont été traités pour des problèmes de santé liés au mercure. Selon lui, l’utilisation du mercure est intrinsèquement dangereuse, mais il propose des recommandations aux personnes qui en ont besoin : « Utilisez-le très soigneusement. Ne le versez pas, ne l’inhalez pas et utilisez-le en respectant les étapes et les contenants appropriés, et stockez-le dans des installations appropriées. »

En dépit des mesures prises par le gouvernement en faveur de la production d’or à petite échelle et de la reconnaissance du problème par Gwinji, aucune formation officielle, parrainée par le gouvernement, n’a été organisée pour sensibiliser les mineurs aux dangers du mercure.

Norman Mukwakwami, chef de projet pour le Zimbabwe Accountability and Artisanal Mining Program de Pact, une organisation à but non lucratif basée à Washington, affirme que les mineurs ne parviennent souvent pas à distinguer les symptômes de l’empoisonnement au mercure des autres maladies. Les maladies mentales, les fausses couches, l’impuissance masculine, les tremblements et les caries dentaires sont autant de problèmes qui découlent de la contamination par le mercure.

Mukwakwami indique que son organisation a organisé deux formations sur la sécurité contre le mercure pour quelque 300 mineurs, ainsi que deux réunions pour discuter de la Convention de Minamata. Environ 60 personnes y ont participé, dit-il.

Cependant, la plupart des mineurs prévoient de continuer à utiliser le mercure.

Oliver Mabhodho a commencé à extraire de l’or il y a un an, après sa retraite de l’armée. Il travaille dans une mine de 15 mètres de profondeur (49 pieds) et de 45 mètres de long (148 pieds). Bien que la mine n’ait fait l’objet d’aucune inspection, il pense qu’elle est sans danger.

« En hiver, nous dormons dans la mine parce qu’il y fait chaud », affirme-t-il.

La vie est dure, dit-il, mais le profit attendu l’incite à ne pas baisser les bras. En février, il a trouvé 67 grammes (2,3 oz) d’or, qu’il a vendu au prix de 37 $ le gramme, soit une fortune de plus de 2 400 $ dans un pays où l’argent se fait rare et où la faim est criante.

Selon Mabhodho, ce n’est que grâce au mercure que ce type de revenu est possible.

« Nous n’avons pas d’alternative », lance-t-il.

Linda Mujuru, GPJ, a traduit certaines interviews du shona.