Democratic Republic of Congo

Après des années de conflit, l’ère du dialogue commence pour mettre une région de la RDC sur les rails de la paix

Des réunions entre les Nande et Hutu dans le territoire de Lubero sont organisées pour examiner les voies et moyens d’apaiser les tensions entre les deux groupes. Les autorités lancent un appel aux membres de tous les groupes ethniques pour qu’ils refusent de s’associer aux organisations rebelles et exhortent le gouvernement à apporter sa contribution pour faire cesser la violence.

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After Years of Conflict, Dialogue Begun To Set DRC Region on Path to Peace

Merveille Kavira Luneghe, GPJ DRC

Des membres des communautés hutu et nande rassemblés sur le marché à Luofu, zone de conflit au nord-est de la République démocratique du Congo.

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LUOFU, RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO — Rassemblés dans une salle de réunion du Comité d’observation des tensions sociales (COT) à Luofu, à 180 km au nord de Goma, chef-lieu de la province du Nord-Kivu,  des gens discutent des voies et moyens de rétablir la cohabitation pacifique entre différentes communautés ethniques rongées par des conflits depuis plus de deux décennies.

André Hanyurwifura Sebujumba, 55 ans, chef de Kyuto, à 14 km à l’ouest de Luofu, confirme la présence des communautés hutu et nande dans son village et affirme que ces groupes cohabitaient pacifiquement depuis de longues années avant que le torchon ne brûle avec l’arrivée des Hutu rwandais dans la région après le génocide de 1994 perpétré contre les Tutsi au Rwanda.

Récit raconté par un témoin: Des affrontements sanglants entre  communautés hutu et nande en RDC ont fait comprendre à cette journaliste l’obligation d’informer correctement aussi bien sa communauté que son gouvernement et de faire entendre la voix de chacun des membres de la communauté congolaise. Lisez le blog.

Sebujumba est l’un de 12 chefs dont six membres de la communauté nande et six autres de la communauté hutu, ayant conjugué  leurs efforts pour tenter d’apaiser les tensions entre ces groupes. Il est, comme d’autres habitants, attristé par la cohabitation devenue tendue et souhaite qu’une solution rapide soit trouvée à la situation.

Certains conflits sont attisés par l’appropriation des terres et, souvent, des batailles rangées font de maints aspects de la vie leur proie. De ceci découle une kyrielle de conséquences: massacres, viols, incendies de maisons, vols de récoltes, déplacements massifs, surpeuplement des villages d’accueil, insécurité alimentaire et non-scolarisation des enfants.

Conviés à des réunions par les chefs de communauté, des personnes appartenant aux communautés ethniques en conflit se mettent ensemble pour examiner les conséquences désastreuses des conflits, y compris les pertes au sein de leurs propres familles et engagent un dialogue sur la manière de régler, le cas échéant, les différends par des moyens pacifiques.

«Il faut qu’il y ait un dialogue interethnique dans lequel les communautés pourront reconnaître les souffrances et responsabilités de chacune d’entre elles pour parvenir à réparer ensemble», lance Sebujumba.

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Merveille Kavira Luneghe, GPJ DRC

André Hanyurwifura Sebujumba, 55 ans, chef du village de Kyuto, dirige une réunion sur la façon de désamorcer les conflits dans le territoire de Lubero, dans la province du Nord-Kivu en République démocratique du Congo. En exhortant les membres de différents groupes ethniques à faire fi des rumeurs et discuter de leurs différends, les autorités travaillent à unir les communautés et à barrer la route à la résurgence des vieux démons des violences.

Deux décennies de conflit
Après le génocide de 1994 perpétré contre les Tutsi au Rwanda, environ 1 million de Hutu rwandais ont fui le pays et trouvé refuge en RDC. Les Hutu rwandais qui se sont installés dans le territoire de Lubero se sont mêlés aux Hutu congolais. La fusion des Hutu congolais et rwandais serait à l’origine des conflits Nande-Hutu.

Les Hutu rwandais, à en croire les sages du village, ont commencé à envahir les terres des Nande alors que les rebelles hutu rwandais des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), le plus grand groupe armé étranger opérant en RDC, a commencé à infliger des persécutions aux Nande.   La milice Maï-Maï étroitement liée à l’ethnie Nande, elle aussi, a commencé à tuer des gens.

Alors qu’au Rwanda voisin, le gouvernement a, de par des lois, choisi de prôner la rwandicité au grand dam de l’identité ethnique après le génocide, a un certain moment les conflits ethniques dans les zones rurales en RDC avaient pris une telle ampleur qu’un enfant d’ethnie nande ne pouvait fréquenter la même école qu’un enfant hutu, ni même la même église. «Ici les Nande ne pouvaient plus prier dans la même église que les Hutu», dit Sebujumba.

La situation s’est à nouveau détériorée depuis 2015, avec des préjugés selon lesquels les gens ont commencé à associer les actes de violence de certains membres d’un groupe à tous les membres du groupe. Sebujumba affirme que 128 personnes ont été tuées à Lubero entre 2015 et 2016, ce qui a entraîné des pénuries alimentaires et des niveaux excessifs d’insécurité et de peur.

«Lorsque les rebelles Maï-Maï commettent une violence, on l’attribue aux Nande en général. Et lorsque ce sont des rebelles des FDLR, on pointe du doigt les Hutu en général, ce qui ne fait que semer la confusion», révèle Sebujumba.

Efforts de désamorçage des conflits
Face à ces problèmes, les organisations non gouvernementales apportent aujourd’hui leur appui aux campagnes d’éducation telles que la réunion de Luofu, en faveur d’une cohabitation pacifique entre ces communautés.

Ces réunions s’inscrivent dans le cadre d’un projet baptisé «Identifier et désamorcer les sources des conflits au quotidien en territoire de Rutshuru et Sud de Lubero», affirme Nzuva Mwangaza, superviseur auprès du Conseil régional des organisations non gouvernementales de développement au Nord-Kivu.

Ce projet a pour objectif principal d’appuyer les représentants ayant une bonne connaissance des problèmes de leurs propres communautés et des sources de conflits.

Il faut qu’il y ait un dialogue interethnique dans lequel les communautés pourront reconnaître les souffrances et responsabilités de chacune d’entre elles pour parvenir à réparer ensemble.

Mwangaza révèle qu’il existe déjà deux commissions ayant pour mission d’identifier les causes des conflits et de formuler des recommandations aux autorités. En cas d’éclatement du conflit, ces commissions engagent un dialogue avec les parties en conflit.

Emmanuel Mulindu, 49 ans, président du COT, rappelle aux participants de l’une des réunions que les nombreuses communautés du village de Luofu – notamment les Nande, les Hutu, les Kobo, les Nyanga, les Rega, les Bashi et les Hunde — ont jadis vécu ensemble en toute harmonie.

Par contre, il souligne que les conflits entre groupes – en particulier les Hutu et les Nande — sont devenus monnaie courante. «Il faut engager un dialogue pour que nous puissions vivre pacifiquement», explique-t-il.

Astrid Kavugho Mutaka, 50 ans, a vite fait de pointer du doigt les réfugiés hutu. «À Luofu, nous vivions ensemble en paix — et non en conflit avec toutes les autres communautés. Mais quand les Hutu sont venus, ils ont voulu occuper nos terres par la force, ce qui a été à l’origine des conflits ethniques», a-t-elle déclaré.

Toutefois, la machine de poursuite d’un dialogue ne s’est pas arrêtée étant donné que Feza Ayinkamiye, 39 ans, membre de la communauté hutu dans le village de Kyuto, dénonce la haine ethnique entre ces deux communautés et nourrit l’espoir qu’avec le renforcement des efforts de sensibilisation des jeunes sur la cohabitation pacifique, les choses pourront s’arranger.

«J’espère que les générations à venir vivront dans un monde exempt de toute forme de discrimination», a-t-elle confié.

Commission sur la cohabitation pacifique
Joseph Muhindo, président de la société civile dans le village de Luhanga, à environ 20 km au nord-ouest de Luofu, affirme qu’une réunion organisée en date du 20 janvier par la Mission de l’Organisation des Nations unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo (MONUSCO) entre les villageois hutu et nande a été l’occasion de mettre en place une Commission sur la cohabitation pacifique entre les deux communautés ethniques.

Cette Commission de 12 personnes compte parmi ses membres des artistes, des chefs religieux et des autorités locales telles que Sebujumba, chef du village de Kyuto, pour prendre les rênes du processus de réconciliation et propager un message d’unité. Elle exhorte les membres de tous les groupes ethniques à refuser de s’associer aux groupes rebelles, dit Muhindo.

«Au cours de la réunion, il a été proposé l’union et l’amour entre ethnies, la sensibilisation sur la cohabitation pacifique et la solidarité sans oublier d’en appeler aux participants d’éviter de répandre des rumeurs», raconte-il.

Appels à l’application des lois et à sévir contre les malfaiteurs
Quoique le dialogue soit une arme non négligeable de prévention des conflits, Sebujumba et Muhindo en appellent également au gouvernement d’assumer pleinement sa responsabilité de rétablir la sécurité et la sûreté.

La solution à la violence, affirme Muhindo, passe par la nécessité de faire respecter les lois, de sévir contre les malfaiteurs et de traquer les groupes armés.

«En outre, il appartient à la MONUSCO de maintenir la paix et non les conflits», lance-t-il.

Muhindo tient bon dans l’espoir de voir les actions du COT et le dialogue dans toute la région déboucher sur la cohabitation pacifique entre les villageois hutu et nande.

«Faire comprendre aux gens que la ségrégation ethnique ne doit plus avoir sa place dans notre communauté est un long processus», dit Muhindo. «Pour l’instant, nous essayons du mieux que nous pouvons pour sensibiliser les gens à la cohabitation pacifique à l’aide messages de paix et de réconciliation».

Le message, dit-il, est: «Combattons-nous pour des choses importantes comme l’émergence de notre économie au lieu de gâcher nos forces en nous entretuant».

 Adapté à partir de sa version originale en français par Ndayaho Sylvestre, GPJ.