GOMA, RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO — L’entrée du Camp militaire de Katindo, base militaire à Goma, s’est transformée en marché de vente de vêtements de seconde main, de feuilles de manioc et d’autres produits.
Sur ce marché improvisé, les étals sont occupés par des femmes venant de tous les horizons de la République démocratique du Congo et unies par un destin tragique : elles sont presque toutes veuves et la majorité de leurs maris ont arrosé de leur sang le champ de bataille. Ces femmes affirment avoir droit à une pension de réversion viagère en échange du sang versé par leurs maris, mais l’espoir de sou à leur cœur est devenu un rêve utopique.
Toutefois, comme le veut la loi congolaise, les veuves de guerre ont le droit de toucher la solde intégrale de leurs défunts maris jusqu’à ce qu’arrive le moment où leurs maris, s’ils étaient vivants, aurait atteint l’âge de la retraite, dit Kenzo Mahamba, avocat qui a représenté ces femmes. Et, même dans ce cas, dit-il, ces veuves doivent continuer à bénéficier des allocations de retraite.
Victorine Masudi, 44 ans, mère de quatre enfants, est assise devant une petite maisonnette en planches peintes en bleu à l’intérieur de la base militaire. Son mari a été tué lors d’une offensive militaire lancée en décembre 2013 contre le groupe rebelle M23. Masudi est née et a grandi dans la province du Katanga dans le sud de la RDC et, pour arracher ses enfants aux griffes des conditions déplorables à l’intérieur de la base militaire, elle a décidé de les envoyer vivre dans cette province qui l’a vu naître. D’après elle, il faut rester dans cette base militaire jusqu’à ce qu’elle reçoive l’argent de son feu mari.
« Ça fait plus d’un an que nous n’avons reçu aucun sou de la part des autorités», se plaint-elle. « Aujourd’hui, je n’ai aucune idée de comment faire pour survivre ».
Actuellement, selon les estimations de Masudi, on dénombre plus de 100 veuves empêtrées dans ce genre de situation. Par ailleurs, d’autres sources donnent à penser que ces femmes se dénombreraient par milliers. Selon les estimations annoncées en 2015 sur les ondes d’Okapi, une station de radio mise en place par la Mission des Nations unies pour la stabilisation en RDC (MONUSCO), opérant dans la région, sur les 4.400 veuves de guerre en RDC, seuls 920 ont bénéficié des soldes de leurs maris. Et comme l’affirment les autorités locales, il n’est pas possible de confirmer le nombre exact de veuves militaires.
Nombre de ces veuves sont descendues dans la rue pour protester contre leur sort, scandant le slogan: «Papa, tu es mort pour ton pays, mais en retour ton pays affame ta femme ».
Le général-major Célestin Musese Mbala, chef d’état-major des forces terrestres de la RDC, s’est rendu à Goma en septembre pour s’entretenir avec ces veuves et a promis de soumettre leurs doléances aux autorités de Kinshasa, capitale de la RDC.
« Nous espérons que nous pourrons résoudre ce problème dans les mois à venir », promet-il, ajoutant que les maris de ces femmes étaient de vaillants soldats ayant défendu l’honneur de leur patrie.
Le capitaine Guilaume Ndjike, porte-parole de la 8ème région militaire de la RDC dans la province du Nord-Kivu, affirme que la technologie utilisée par l’armée pour le paiement comprend désormais des données biométriques, ce qui aide les commis à trouver les noms facilement. Ce qui pose problème, dit-il, c’est que certaines veuves ne figurent pas sur la liste.
« Nous faisons face à un problème de femmes qui prétendent être veuves et dont les noms apparaissent dans le registre », dit-il. «Nombre de ces femmes n’étaient pas légalement mariées. »
Dans d’autres cas, certains défunts maris ne figurent pas sur la liste de paie – une affirmation faite par Perpétue Mukaji Mwenyi, veuve choisie par d’autres femmes pour être à la tête de leurs efforts visant à obtenir leur argent. Cette affirmation est confirmée par Ndjike.
Le système informatique est difficile à maîtriser, dit Ndjike, et c’est, peut-être, pourquoi on ne parvient pas à retrouver certains noms.
Et il y a un autre problème qui se pose. Ndjike affirme que les réclamations frauduleuses sont devenues monnaie courante.
« Parfois, une seule veuve peut réclamer une solde de 10 soldats, » dit-il. «Comment voulez-vous qu’une personne soit veuve autant de fois »?
Madelaine, 40 ans, affirme que son mari a été tué dans une bataille de 2008. Elle a reçu de l’argent pendant quelques années mais n’a rien reçu depuis 2011.
«J’ai deux enfants et ce n’est pas facile de trouver de quoi nourrir ma famille», dit-elle.
Madelaine, ayant demandé que seul son prénom soit dévoilé pour protéger son identité, dit qu’elle est admonestée par des militaires chaque fois qu’elle réclame la solde qui lui revient de droit. Elle est originaire de Kinshasa, environ 2.400 kilomètres de Goma. Elle est venue à Goma avec son mari, mais elle dit qu’elle ferait vite de retourner chez elle si elle parvenait à se permettre un billet d’avion.
Philomena, mère de trois enfants, dit qu’elle avait 23 ans quand son mari est mort en 2013. Elle continue d’utiliser le nom de son mari décédé et a ainsi demandé que son nom ne soit pas publié par respect pour son mari.
Deux ans plus tard, elle a rencontré un homme avec qui elle a eu un enfant.
« A cause de cela, les autorités ne me considèrent pas comme une veuve de militaire même si j’ai eu deux enfants avec lui du temps de son vivant», se plaint-elle.
Traduit de l’anglais par Ndayaho Sylvestre.