Democratic Republic of Congo

Des centaines d’élèves contraints de quitter l’école en raison des violences. Y retourner est cette chance qui risque de ne jamais être réalité.

À Kisangani, des écoles ont fermé leurs portes et des milliers de personnes ont dû fuir leurs habitations en raison d’un conflit foncier. Le risque existe de voir ses répercutions accompagner les enfants tout au long de leur vie.

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Violence in DRC Has Forced Hundreds of Students Out of School. They May Never Return.

Zita Amwanga, GPJ RDC

Les occupants d’un camp de personnes déplacées à Kisangani, en RDC. Des milliers de personnes ont dû fuir leurs habitations face à un conflit foncier entre les communautés Lengola et Mbole.

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KISANGANI, RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO : Un matin, alors qu’une canicule frappait Lubunga, une commune périurbaine située sur la rive gauche du fleuve Congo, Carine Masala suivait attentivement son cours d’histoire. Tout à coup, des cris ont retenti avec des gens traversant l’enceinte de l’école en courant.

Carine a vu sa mère courir vers la salle de classe disant, en hurlant, qu’il fallait vite faire de quitter. Quoique n’ayant aucune idée de ce qui se passait, Carine a suivi sa mère et toutes deux se sont mises à courir pour avoir la vie sauve.

C’était en mai 2023. Depuis, le retour en classe de Carine ne reste que pure chimère, comme c’est le cas pour des centaines d’autres élèves des 71 écoles qu’abrite Lubunga, et ce, en raison d’un conflit ayant éclaté entre les communautés Mbole et Lengola l’année dernière.

Tout comme pour de nombreuses autres personnes ayant fui les violences, la famille de Carine s’est retrouvée dans un camp de personnes déplacées installé à l’intérieur du bâtiment abritant la mairie de Kisangani. Ce camp figure parmi les nombreux abris temporaires que compte la ville. « Mes parents, mes frères et moi vivons dans ce bâtiment administratif. Mes frères et sœurs et moi-même n’avons pas eu le moyen d’aller à l’école depuis notre arrivée », dit Carine, 13 ans, qui était en première secondaire lorsque les violences ont éclaté.

Les conséquences pour les enfants sont déjà perceptibles. Vente à la sauvette pour gagner du fric, tel a été le choix de certains d’entre eux qui vivent dans des camps. D’autres, rendus orphelins par le conflit et sans espoir de retour sur les bancs de l’école, leur situation leur impose un pis-aller : mendicité ou recherche du travail dans des restaurants de fortune où ils sont obligés d’effectuer des tâches telles que la corvée d’eau ou le lave-vaisselle. Mathieu Kibali, directeur de l’école de Kandolo, dit que l’avenir des élèves déplacés demeure incertain. Il dit que beaucoup d’entre eux ne s’attendent qu’au redoublement, faute de documents scolaires, parmi lesquels leurs bulletins, qui transmettent des informations sur leurs performances.

Jackson Bosokondo, professeur de psychologie de l’éducation à l’université de Kisangani, dit que le plus lourd tribut payé par ces enfants est d’ordre psychologique et qu’il peut se traduire par leur réticence à l’apprentissage. « La santé mentale des enfants est affectée », dit-il. « Ils souffrent de dépression et de troubles de l’attention ».

Publié en mai 2023, un rapport du Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies (OCHA) a révélé que les violences se sont déchainées en trois vagues entre février et mai de l’année dernière. La mèche de ces violences a été allumée par un désaccord entre les deux communautés au sujet d’un terrain situé à la périphérie de la commune de Lubunga. En février 2023, le gouvernement provincial et une société de production d’huile de palme ont signé un accord permettant à cette dernière d’occuper un terrain de 4 000 hectares pour une durée de cinq ans. Les membres de la communauté Mbole, qui voyaient de mauvais œil cet accord, ont accusé les Lengola de céder des terres qui ne leur appartenaient pas.

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Zita Amwanga, GPJ RDC

Carine Masala, 13 ans, pose pour un portrait dans un camp de personnes déplacées à Kisangani, en RDC. Carine est privée d’école depuis un an, après le déplacement de sa famille causé par un conflit entre les communautés Mbole et Lengola.

Héritier Isomela, président de l’ONG Sauti ya Lubunga, estime que ce conflit avait fait environ 500 morts en mai 2023. Il ressort des données récentes de l’OCHA que ce nombre est passé à plus de 740 en mai 2024. Dans son rapport, rendu public en mai 2023, l’OCHA explique que ce conflit a provoqué le déplacement d’environ 92 400 personnes.

Jupson Popolipo, bourgmestre de la commune de Kisangani, a accueilli des personnes déplacées dans le camp temporaire situé dans le bâtiment abritant son bureau. Selon ses estimations, plus de 300 enfants en âge de fréquenter l’école vivaient dans le camp l’année dernière. Ce nombre est passé à plus de 500 en février de cette année.

Héritier Okita, un garçon de 11 ans vivant dans ce camp, dit que sa mère a été tuée pendant ce conflit. Des voisins ont emmené Héritier, qui était en cinquième année primaire, dans le camp l’année dernière. Aujourd’hui, il fait la vente d’eau dans les rues pour subvenir aux besoins de ses deux jeunes frères, âgés de 6 et 3 ans. Héritier rêve d’un retour à l’école et espère qu’un miracle se fera jour.

« Je suis devenu sans abri et sans parents. Mon avenir est hypothétique. Je ne sais pas comment retourner à l’école », dit-il.

Préoccupés par cette situation qui règne au grand dam de leurs enfants, les parents des enfants vivant dans le camp veulent que le gouvernement provincial les aide à rescolariser leurs enfants.

La rentrée scolaire a eu lieu le 4 septembre 2023, après les vacances d’été en juillet et août, mais nombre d’enfants, comme Carine, contraints au déplacement causé par le conflit, n’ont pas pu terminer l’année scolaire précédente. Selon le calendrier, l’année scolaire va se clôturer en juillet poussant les écoles à fermer à nouveau leurs portes. Et la question de savoir quand le retour à l’école des enfants déplacés par suite des violences va arriver reste une équation à plusieurs inconnus.

Maurice Kebula, qui a fui le conflit, s’inquiète pour son fils Caleb Kasongo, qui est en deuxième année secondaire. À ce niveau, les élèves passent un examen national qu’ils doivent obligatoirement réussir avant d’accéder au deuxième cycle de l’enseignement secondaire. Caleb n’a pas pu passer cet examen.

« J’ai tout perdu après avoir pris la fuite, je n’ai donc pas les moyens de payer les frais de passation d’examen », dit Kebula.

« Je suis devenu sans abri et sans parents. Mon avenir est hypothétique. Je ne sais pas comment retourner à l’école ».

Georges Monde, ministre de l’enseignement primaire, secondaire et technique dans la province de la Tshopo, dit que le gouvernement provincial a pris des dispositions pour permettre à certains élèves de passer leurs examens. Par exemple, le gouvernement a pris en charge les frais de passation d’examen de certains élèves finalistes.

Assani Lubumba, qui était en dernière année du secondaire, n’a pas pu terminer l’année scolaire 2022-2023.

« Je suis finaliste, et j’ai dû laisser toutes mes notes de cours. Je dois tout recommencer. Mes parents n’ont pas de travail. Ils ne peuvent rien », dit Assani, qui a dû quitter l’école de Kandolo pour se retrouver aujourd’hui dans le camp de personnes déplacées.

Bosokondo dit que les élèves qui n’ont pas pu terminer l’année doivent reprendre le chemin de l’école.

Quoique, dit-il, aucune conséquence d’ordre académique ne pèse sur les redoublants, les enfants ont ployé sous le poids du traumatisme dont l’effet ne manquera pas de perdurer.

« C’est pourquoi je demande aux ONG et aux autres organisations qui militent pour les droits des enfants de créer un programme d’appui pour secourir ces enfants qui ont subi des violences, sinon cela laisse des séquelles qui pourront les rattraper dans l’avenir », dit Bosokondo.

Carine se souvient de sa vie avant l’éclatement de la violence. Elle vivait sous le même toit que ses parents et ses quatre frères dans le quartier d’Osio, dans la commune de Lubunga. Son père était agriculteur et sa mère vendait les produits du champ familial. Il faisait bon vivre et ses parents pouvaient réunir de quoi payer la scolarité de tous les enfants.

Zita Amwanga est journaliste à Global Press Journal et vit à Kisangani, en RDC.


NOTE À PROPOS DE LA TRADUCTION

Traduit par Ndahayo Sylvestre, GPJ.