KIRUMBA, RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO — La structure est d’une simplicité trompeuse: hutte circulaire aux murs de plâtre de boue et au toit de chaume, dotée de deux entrées sans portes.
Mais si l’on en croit les Nande, tribu la plus nombreuse du Nord-Kivu, province de 7,1 millions d’habitants à la frontière orientale du pays, cette « véranda » à l’entrée de chaque village s’érigeait autrefois en bouclier contre toutes sortes de dangers : guerre, sécheresse, vol, maladie et sorcellerie.
Au crépuscule et à d’autres moments déterminés, des hommes et des garçons en faisaient leur lieu de rendez-vous pour recevoir des visiteurs, régler des conflits et accomplir des rites secrets pour conjurer le mal.
« Notre coutume avait beaucoup de pouvoir », confie Kambale Kifuli Twamutegha, chef de tribu nande âgé de 60 ans. « À cause de délaisser les vérandas, le Nord-Kivu en particulier, et la République démocratique du Congo en général, sont maintenant en proie à l’insécurité ».
Après avoir perduré pendant des siècles de brutalité, notamment la traite des esclaves à travers l’Atlantique et du régime colonial belge, le mode de vie des Nande ploie aujourd’hui sous le poids d’une sérieuse menace venant de l’intérieur: des familles entières laissent leurs demeures ancestrales à l’abandonen quête d’une vie urbaine empreinte d’une sûreté et d’une sécurité relatives. Le choix par ces populations civiles de se sauver et de fuir expose la région encore davantage à la violence des milices, préviennent leurs sages, déstabilisant le pays par le rejet des traditions.
« Nous nous ébranlons maintenant à tout vent », s’alarme Paluku Muzehe, 57 ans, forgeron dans le village de Kirumba.
Les centres urbains peuvent permettre d’être plus loin et plus à l’abri des factions armées qui s’affrontent dans la régionet offrir des opportunités en matière d’éducation moderne et de moyens de subsistance. Pourtant, les sages nande insistent sur le fait que la survie de leur peuple est tributaire du retour dans leurs villages et à leurs coutumes, à commencer par les rites de la véranda. En l’absence de ce lieu physique pour les unir, déclarent-ils, les Nande se sont dispersés, mettant en danger leur patrimoine culturel.
« Les familles qui étaient unies au village ont été séparées », se désole Kitsongo Wambeho King, 62 ans, chargé de la culture au sein de Kyaghanda Yira, une association tribale œuvrant au Nord-Kivu. « Vous ne verrez plus nulle part où les gens sont assis. C’est une faiblesse avec beaucoup de conséquences ».
Dans les zones urbaines qui comptent d’importantes populations nande, certains quartiers ont érigé des structures qui s’apparentent à des vérandas, mais ces structures ont tendance à servir d’aire de repos et de distraction. Mbusa Kasika Marumba, 58 ans, coordinateur de l’Association des chefs terriens de la côte ouest du lac Édouard, affirme que dans sa jeunesse, la véranda dans son village servait à un but beaucoup plus élevé.
« C’était comme une école ou une église », témoigne-t-il. « Les hommes sages venaient y chercher des solutions aux problèmes majeurs de la population ».
Selon le folklore nande, les cérémonies de protection pratiquées par les hommes et les garçons dans les vérandas peuvent éloigner les envahisseurs en déguisant mystiquement un village en lac, en envoyant les attaquants dans la mauvaise direction ou en les faisant envahir par des abeilles et des fourmis.
« Actuellement, l’ennemi pénètre facilement, car one ne fait plus de rites qui se faisaient auparavant », explique Muhindo Kataliko, 52 ans, agriculteur à Kirumba.
Certains jeunes qui n’ont jamais vécu l’expérience d’une authentique cérémonie de la véranda affirment avoir le sentiment de manquer dans leur vie ce genre de liens physiques et spirituels décrits par leurs pères et grands-pères.
« Mes parents me disaient souvent que la véranda intervenaient beaucoup pour la défense de notre tribu. Notre coutume a ses pouvoirs », dit Julson Kayenga, 24, travailleur agricole à Kirumba. « Je souhaite que les vérandas reviennent pour que nos forces d’autrefois nous retournent et que l’insécurité soit éradiquée ».
Tentative révolutionnaire de réconciliation dans une région en proie aux conflits
CLIQUEZ POUR LIRE L'ARTICLETout le monde n’affiche toutefois pas l’ambition de renouer avec ces anciennes traditions. Les femmes et les filles traditionnalistes nande préfèrent éviter d’exprimer leurs opinions sur les coutumes auxquelles elles n’ont pas été associées. Aux dires des membres de la communauté ayant embrassé la religion chrétienne, majoritaire en RD Congo, la culture de la véranda est incompatible avec leurs croyances religieuses.
« Jésus-Christ est la seule sécurité », déclare Jones Kavira, 55 ans, une femme nande et religieuse catholique. « En cas de difficultés, nous devons invoquer son nom et il va agir. Il est capable de nous donne la paix. Les vérandas ne peuvent rien faire ».
King et Marumba s’accordent à dire que l’influence du christianisme, introduit par les missionnaires pendant la période coloniale belge entre 1885 et 1960, a été la menace la plus constante pour la culture des vérandas.
« Le combat contre les vérandas a commencé pendant la colonisation », explique King. « Pour mieux nous dominer, les colonisateurs nous ont obligés d’abandonner notre Dieu pour suivre le leur. Avec l’arrivée de leur religion, ils nous ont divisés. Les Belges nous faisaient croire que le pouvoir que nous avions était satanique. Et pourtant, c’est Dieu lui-même qui nous l’avait donné ».
Les leaders nande qui militent en faveur d’un retour aux vérandas sont tous des hommes de plus de 50 ans. Quoique décider de ce qui convient le mieux à la communauté ait longtemps été le rôle des hommes sages, confie Marumba, la cause pourrait être perduesi on n’arrive pascette fois à persuader les jeunes générations.
« Que les vieux reprennent leur culture en songeant de nouveau aux vérandas », conseille-t-il, « [et] il faut qu’ils initient aussi les jeunes en la matière ».
Merveille Kavira Lungehe est journaliste à Global Press Journal. Elle vit à Kirumba, en République démocratique du Congo.
NOTE À PROPOS DE LA TRADUCTION
Traduit par Ndahayo Sylvestre, GPJ.