KIRUMBA, RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO : Un matin, il n’y a pas si longtemps, 20 jeunes femmes étaient assises dans une salle de réunion, les yeux rivés sur leur formateur, en train d’apprendre différentes techniques de culture de champignons. Timidité, lassitude et fatigue, tel est un qualificatif qu’elles affichent.
La tristesse, elle, rappelle le traumatisme d’une autre époque de leur vie. Et dans l’apprentissage de la culture de champignons réside leur promesse d’une nouvelle vie.
Ces apprenantes sont membres de l’Association des victimes de guerre pour la recherche de la paix et la protection de l’environnement pour le développement durable au Congo (AVGPDECO). Le groupe a vocation à aider des jeunes femmes de la RD Congo à se reconstruire après un viol.
Misant sur la culture de champignons et au counseling, le groupe cherche à répondre à deux des besoins les plus urgents des femmes : revenu et guérison.
Des milliers de femmes comme elles sont des victimes invisibles des conflits persistants en RD Congo, où des groupes armés font recours au viol pour terroriser des populations dans une culture où l’agression sexuelle est source d’une stigmatisation accentuée.
Dévotte Mawazo Kasimba, 35 ans, est arrivée à Kirumba en 2015, fuyant des combats entre groupes armés à Kimaka, à environ 50 kilomètres au sud-ouest de Kirumba où, selon elle, elle a été violée par un milicien et fini par tomber enceinte.
Au lendemain de son choix de se livrer à la prostitution pour la survie de son enfant, l’organisation est venue à sa rencontre.
L’association « est très importante pour les femmes comme moi », confie-t-elle. « Elle nous détraumatise et nous montre comment vivre dans la société et même comment on peut se prendre en charge par la culture de champignons ».
Lubero, terroir qui se fond dans un paysage luxuriant et forestier où se trouve Kirumba, est niché dans l’immense province du Nord-Kivu dont le territoire est environ deux fois plus grand que celui de la Belgique.
Selon l’organisation non-gouvernementale de défense des droits de l’homme Human Rights Watch (HRW), le Nord-Kivu et le Sud-Kivu voisin figuraient parmi les régions les plus violentes du monde, et ce, entre 2017 et 2019, période où des groupes armés ont tué environ 1 900 personnes et enlevé plus de 3 300 personnes.
Au moins 130 groupes armés, dont certains provenant des pays voisins, le Rwanda et l’Ouganda, se battent pour de nombreuses raisons, selon Human Rights Watch et d’autres experts. Ces dernières années, au nombre de ces raisons ont figuré le pouvoir politique et les batailles pour le contrôle des terres et d’autres ressources naturelles lucratives telles que les diamants et l’or.
Dans ces deux provinces, Human Rights Watch a documenté 24 cas de viols collectifs au grand dam des dizaines de femmes, et ce, entre 2017 et 2019.
Pendant presque 25 ans de violence politique ayant marqué la RD Congo, des groupes armés ont maintes fois recouru à l’agression sexuelle pour régner sur ces populations. Et leur machine de forfaits n’a épargné personne : des combattants ont violé des filles d’à peine 2 ans et des femmes de 80 ans.
Des formes particulières de violence au Nord-Kivu se perpètrent à Lubero, un territoire parsemé de collines et de petits champs bien entretenus qui est en proie au pic de combats depuis 2015, année où des milices locales se sont jointes à l’armée congolaise pour en découdre avec un groupe armé de Rwandais et de combattants alliés.
Selon certaines sources, des groupes armés de Lubero et des membres de l’armée congolaise auraient pillé des maisons, tué des civils, laissé des enfants orphelins et commis des actes d’agression sexuelle sur d’innombrables femmes et filles.
En 2018, l’un des citoyens les plus influents de Kirumba, Kasereka Kiragho Kalamo, a décidé de ne pas rester les bras croisés.
De grande taille, convivial et dynamique, Kalamo, 56 ans, est un riche producteur de champignons qui a perdu sa femme, se désole-t-il, lorsqu’un milicien a fauché sa vie à Kimaka il y a deux ans. Il est bénévole au Bureau de déplacés de Kirumba. C’est là qu’il rencontra trois jeunes femmes qui avaient toutes été violées.
Ces femmes l’ont exhorté à créer un groupe pour les femmes comme elles, révèle Kalamo, et il a fini par s’éprendre de l’idée.
Aujourd’hui, affirme-t-il, son organisation reste – du moins officiellement, au service de 28 adolescentes et jeunes femmes en provenance des tous les coins de la province, venant pour la plupart des régions dévastées par des combats.
Kalamo les repère par l’intermédiaire du Bureau de déplacés. Son groupe offre à ces femmes un accompagnement psychologique et leur apprend comment cultiver des champignons, une culture très répandue dans les régions forestières de la RD Congo. Aussi est-elle une culture qui se vend à des prix permettent à ces femmes de gagner leur croûte.
La récolte de champignons commence 33 jours après la culture, précise Kalamo, et une récolte de haute qualité de 10 à 15 kilos peut rapporter 3 500 francs congolais par kilo.
Chacun des membres bénéficie de ces revenus et, à son tour, essaie d’entreprendre d’autres projets générateurs de revenus.
Aux dires de Kanyere Aline, 20 ans, elle a été violée il y a trois ans lors de combats dans sa ville natale de Mbwavinywa, à environ 50 kilomètres au sud-ouest de Kirumba. Elle avait décroché de l’école mais un rêve lui tenait à cœur : se marier et avoir des enfants. Triste réalité : la laissant enceinte, l’agression sexuelle a volé son rêve.
Aujourd’hui, révèle-t-elle, elle a démarré une nouvelle vie.
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Cliquez pour lire l'article« Je prends en charge mon enfant à partir de la culture de champignons », déclare Kanyere, membre de l’organisation depuis un an. Aujourd’hui, elle empoche – en moyenne, environ 30 000 francs par mois.
Des séances hebdomadaires de counseling permettent de traiter des traumatismes psychiques et émotionnels de ces femmes. Certaines d’entre elles ont fait l’objet de stigma dans leur communauté, car des voisins les ont chassées ou les ont montrées du doigt en s’exclamant : « Voilà celle qui a été violée ». Pour leurs enfants, aussi, le fardeau reste lourd, car on dit : « Il ressemble à son père violeur ».
À en croire certaines femmes, elles ont désormais peur de tous les hommes. D’autres sont au duel avec l’insomnie. Et il impossible pour certaines de relater leur expérience sans éclater en sanglots.
Kavira Kangitsi, 24 ans, est venue s’installer à Kirumba après être victime de viol à Kanune, à 45 kilomètres au sud-ouest de Kirumba, il y a de cela quatre ans. Elle travaillait dans un champ, se remémore-t-elle, lorsque des miliciens l’ont agressée sexuellement.
« Elle m’encadre en me montrant comment vivre dans la société lors des séances qui se tiennent une fois par semaine », affirme Kangitsi. « À partir de cet accompagnement psychologique, je suis détraumatisée ».
Kalamo entend élargir le groupe et étendre la formation à la couture et à l’élevage. Mais, avoue-t-il, le besoin d’un financement supplémentaire s’impose.
Pour Kasimba, le groupe a transformé sa vie, et souhaite le voir transformer celle des autres.
« Que les filles violées sachent qu’elles sont au même pied d’égalité que les autres femmes du monde », conclut-elle.
Merveille Kavira Lungehe est journaliste à Global Press Journal. Elle vit à Kirumba, en République démocratique du Congo. Merveille est spécialiste des reportages sur les migrations et les droits de la personne.
Note à propos de la traduction
Traduit par Ndahayo Sylvestre, GPJ. Cliquez ici pour en savoir plus sur notre processus de traduction.