KISANGANI, RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO — Sur le fleuve Congo, le constat saute aux yeux : des bateaux en bois sont répandus çà et là.
Ces embarcations sont soit remplies de personnes, soit bourrées de nourriture — parfois transportant les deux à la fois.
Parmi ces nombreuses longues embarcations en bois sur le fleuve figure celle de Dido Mboka, père de 15 enfants qui affirme que le commerce le long du fleuve reste le seul moyen de survie pour plusieurs habitants de Kisangani, chef-lieu de la province de la Tshopo en RDC.
Et le commerce fluvial reste sa principale source de revenus depuis sept ans.
« Pour nous qui sommes dépourvus de moyen de prendre un avion, le fleuve est et demeure notre unique choix », déclare Mboka, ajoutant que Kisangani est une ville isolée, coupée non seulement du reste du pays en raison des routes qui ne sont pas sûres, mais aussi de Kinshasa, la capitale, à cause du transport aérien qui est trop cher pour la majorité des habitants. « Un vol aller simple Kisangani-Kinshasa coûte pas moins de 350 dollars, alors que le prix pour la traversée en bateau est de 50 dollars par personne ».
La moyenne de revenu par habitant en RDC s’établit à 400 dollars.
Devenu un vivier de commerce et de transport, le fleuve est au cœur de la vie et de la subsistance ici. Mais les décès liés à la navigation y sont fréquents.
Selon Mboka, la navigabilité laisse fort à désirer pour la plupart des embarcations. Elles sont souvent connus autant pour leur vieillesse que pour leur délabrement, mais avec le souci de gagner plus, les capitaines sont portés à les surcharger de passagers et de marchandises à la fois. Aussi ces embarcations parcourent-elles de longues distances, offrant à la vente des marchandises le long des rives du fleuve sur des kilomètres ou parcourant les 1750 km pour arriver à Kinshasa, lequel trajet est considéré comme étant la zone la plus navigable du fleuve. Aucune règle ni aucune surveillance n’est en place quant à ce qui est permis et interdit sur le fleuve, précise-t-il.
Célestin Lisako Mokonji, un commissaire de la rivière au département des transports de la province de Tshopo, affirme que la navigation sur le fleuve Congo a fauché la vie d’au moins 32 personnes depuis 2015 et que la plupart des décès passent même inaperçus.
« Si je suis encore en vie aujourd’hui, ce n’est que par la grâce divine », lâche Mboka, faisant allusion à plusieurs cas où il a frôlé la mort à bord des bateaux en bois. « Bien des collègues à moi ont péri, ayant été portés disparus dans leurs voyages en bateau. Mais ce n’est pas tout: retrouver leurs corps pour les enterrer reste un rêve chimérique ».
Cependant, un commerçant local qu’est Barnabé Mupira est en quête d’une solution à l’insécurité de la navigation sur le fleuve qui, selon lui, aidera à réduire le nombre de victimes du fleuve. Pour y arriver, il construit un grand ferry en métal.
Célèbre pour la fabrication de savons, Mupira jouit d’une reconnaissance à Kisangani en tant qu’innovateur. De mon enfance, se rappelle-t-il, je garde un souvenir: mon travail sur les rives du fleuve et mon rêve de construire un bateau sûr et de luxe pour mon peuple boyomais, terme qui s’emploie pour désigner les habitants de Kisangani.
Aujourd’hui, depuis les rives du fleuve, le ferry à trois ponts, en métal et de couleur rouge est en cours de construction, mais à la vue de tous. Ce bateau, assure-t-il, se veut la force du changement dans les déplacements et le commerce sur le fleuve.
« Ce bateau va me coûter une fortune, mais ça vaut le coup », confie Mupira, ajoutant qu’il a embauché un ingénieur en construction navale devant l’aider à concevoir et à construire le ferry. « J’éprouve de la fierté à rendre le voyage sur le fleuve plus agréable ».
Quoiqu’il affirme dépenser une petite fortune pour la construction du bateau, il ne laisse rien filtrer sur le montant qu’il investit dans la conception et la construction de son bateau, se contentant de dire qu’il est temps d’enrayer l’incertitude et la peur qui sont devenues le lot quotidien de ceux qui font le commerce sur le fleuve.
« Ceux qui voyagent dans des bateaux archaïques s’asseyent de manière horrible », explique-t-il. « Les passagers sont entassés au point qu’ils ne peuvent ni se mouvoir ni respirer. Moi-même je voyageais dans ces bateaux et j’en garde un très mauvais souvenir ».
En revanche, son bateau dont la finition est prévue d’ici janvier aura, outre le confort à son bord, une capacité de 400 passagers qui pourront s’asseoir confortablement. De même, il permettra de réduire de manière considérable le temps pris pour parcourir de longues distances.
« La traversée en bateau archaïque entre Kisangani et Kinshasa dure généralement un mois, alors qu’il ne suffira que de cinq jours avec mon bateau », dit-il, bien qu’il existe quelques options plus onéreuses prisées par des touristes. « Mon bateau sera muni d’un restaurant et les passagers pourront voyager sans anicroche car il s’agira d’une embarcation à trois ponts ».
Le nouveau bateau fera la traversée entre Kisangani et Kinshasa deux fois par mois. Il fera escale dans de nombreux villages tout au long du trajet pour embarquer et débarquer des marchandises et faciliter les transactions au profit de petits marchants.
Papy Basomboli, déchargeur de fret sur bateaux, dit que le nouveau bateau permettra de remédier à la situation dans l’intérêt de tous. Sa seule source de survie, c’est le fleuve Congo. Il gagne 10 000 francs congolais par jour.
« Je ne peux nourrir ma famille sans ce fleuve », avoue-t-il.
Marie Wele, veuve, fait le commerce sur le fleuve depuis 10 ans déjà.
« Bien trop souvent, des exploitants ou des capitaines de bateaux minorent le nombre de passagers lorsqu’ils font rapport aux commissaires, disant, par exemple, que 50 passagers ou moins sont à bord alors que le nombre exact de passagers est de 100 », révèle-t-elle. « Ce nouveau bateau moderne pourra solutionner nos problèmes, et nous l’attendons avec impatience ».
Christophe Lisalu, chargé de contrôle de bateaux le long du fleuve Congo, affirme que même les autorités ont hâte de voir la construction du nouveau bateau s’achever. Selon lui, ce bateau boostera le commerce et aidera même à réduire les prix à Kisangani où la limitation des options de transport vers la ville entraîne souvent la cherté des biens de base.
« La grande vitesse du nouveau bateau aura un impact considérable sur le développement de notre ville et aidera les gens à accélérer leur business », confie-t-il.
Mupira partage le même avis. À l’en croire, toute la ville pourra progresser grâce à son bateau.
« Une fois achevé, mon bateau permettra aux commerçants de voyager en toute sécurité et de réduire le temps de trajet », dit-il. « Aussi mes billets seront-ils fixés à des tarifs plus abordables pour tous les passagers ».
Mboka, tout comme ses collègues, indique qu’il aimerait voir les voyages par voie fluvial devenir sûrs comme préalable à l’amélioration de l’environnement commercial.
« Nous lançons un appel au gouvernement afin qu’il mette en place des mesures pour faciliter la bonne marche du commerce fluvial et assurer la sécurité des passagers à bord de nos bateaux », dit-il.
Mokonji, chargé du contrôle des activités de navigation sur le fleuve Congo à Kisangani, affirme que département des transports suit de près la construction du bateau de Mupira.
« Depuis que Mupira a commencé à construire son bateau, nous ne cessons de le contrôler », dit-il. « Nous devons lui rendre visite toutes les deux semaines pour constater l’évolution de ce projet ».
Une fois achevé, le bateau de Mupira doit subir un test de certification pour nous indiquer qu’il est prêt à transporter des passagers et sa capacité maximale sera fixée, assure Mokonji.
Mupira n’a pas encore annoncé le coût d’un voyage dans son ferry.
À l’heure actuelle, il ne veut pas dévoiler le prix du voyage dans son bateau, mais promet qu’il sera abordable.
« Je ne peux pas communiquer le prix tant que la construction n’est pas encore achevée », souligne-t-il. « Je l’annoncerai le jour de son inauguration lorsque les gens seront en train de se régaler les yeux avec cette merveille ».
Adapté à partir de sa version originale en français par Ndayaho Sylvestre, GPJ.