KOMANDA, RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO — Autrefois producteur de café et de cacao dans un autre village, tel est le récit de François Baluku. Mais il a, en 2017, fini par se retrouver dans le village de Kalakala au nord-est de la République démocratique du Congo dans la foulée d’une vague de déplacements de population dans toute la région. Déliant sa bourse, il a acquis six hectares de forêts auprès des chefs de village.
Et puis, il a vite fait d’y mettre le feu.
Agriculture sur brûlis, tel est le nom qu’a reçu cette pratique partout dans le monde. Brûler des forêts pour libérer des terres cultivables est devenu monnaie courante ici en raison d’un afflux de personnes déplacées par des violences en provenance des provinces voisines. Des agriculteurs sont souvent obligés de s’enfuir, laissant derrière eux leurs cultures. Arrivés ici, ils défrichent des terres dans l’espoir non seulement de nourrir leurs familles, mais aussi de prendre un nouveau départ.
Selon Baluku, il se sert aujourd’hui de ces terres carbonisées pour cultiver du riz.
« Il faut trop de temps pour tirer de l’argent de la culture du café et du cacao », confie-t-il à propos du cycle qui peut durer de deux à cinq ans. En moyenne, il faut compter environ 120 jours entre le semis et la récolte du riz.
Et Baluku n’est pas le seul à subir ce sort.
En 2018, plus de 140 différents groupes armés étaient actifs dans l’est de la RDC et on compte des milliers de cas documentés de meurtres, d’enlèvements contre rançon et d’autres crimes. Entre décembre 2017 et mars 2018 seulement, cet accroissement de violences a entraîné le déplacement de plus de 350 000 personnes dans la province de l’Ituri. On estime à 300 000 le nombre de personnes déplacées dans cette région depuis juin 2019. Nombreux sont ceux qui se sont retrouvés ici, où les chefs de village locaux vendent des parcelles boisées à des personnes déplacées.
Martin Ovao, chef du service d’environnement de la chefferie de Basili , située à environ 85 km à l’ouest de Bunia, chef-lieu de la province de l’Ituri, estime toutefois que les nouveaux arrivants ne sont pas suffisamment conscients des effets dévastateurs de cette pratique de déforestation sur l’environnement. Les chefs et autres responsables de la chefferie sont élus par les populations locales pour représenter leurs intérêts, tandis que les administrateurs des villes et des provinces sont nommés par le gouvernement.
La déforestation est la destruction permanente des forêts, souvent en quête de terres à utiliser à d’autres fins. Selon United Nations’ Food and Agriculture Association, environ 7,3 millions d’hectares de forêts disparaissent chaque année.
Aussi la déforestation contribue-t-elle à l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre et de l’érosion des sols et a été associée à d’autres effets néfastes dont la hausse des températures et les perturbations du cycle de l’eau.
Depuis 2000, la RDC a perdu plus de 6,7% de l’ensemble de son couvert forestier en raison de la déforestation.
Des agriculteurs, comme Baluku, voient souvent des avantages immédiats des terres récemment brûlées. Le cendre nourrit les cultures et les champs nouvellement créés sont sans mauvaises herbes. Aux dires d’Ovao, pourtant, ces gains sont à courte vue si l’on considère l’ensemble des dommages causés à l’environnement.
Selon le code forestier de 2002 de la RDC, un permis délivré par le gouvernement provincial est un préalable à l’abattage d’arbres dans des domaines forestiers de plus de 2 hectares. Ces permis ne sont délivrés qu’après l’évaluation de l’impact.
Mais en réalité, confie Ovao, seuls quelques rares gens savent qu’ils sont censés le faire.
« Les dispositions sont foulées aux pieds en raison de l’ignorance de la population et du manque de supervision de la part du gouvernement », déplore-t-il.
Mais il y a des raisons de croire que les choses commencent à changer.
Anicet Katembo, un autre agriculteur dans la région, affirme que d’autres agriculteurs et lui-même respectent aujourd’hui le code forestier grâce une formation donnée par l’ESCO Kivu, une organisation locale qui se consacre à la certification du commerce équitable.
À en croire Katembo, l’atelier a permis aux agriculteurs d’apprendre comment améliorer leurs rendements et de comprendre les conséquences de la destruction des forêts.
« Nous avons été sensibilisés », glisse Katembo. « Nous ne pouvons pas brûler les forêts ».
Nzale, chef de village local qui a demandé que son nom complet ne soit pas utilisé, affirme qu’il avait l’habitude de vendre des étendues de forêt sans penser ni aux permis ni à la loi. Aujourd’hui, affirme-t-il, il comprend qu’il doit faire preuve de davantage de prudence.
Il déclare que les chefs de village ont besoin « d’aide pour comprendre la procédure de vente des forêts ».
Jean Toyabo Kato, chef élu de la chefferie de Basili, affrime qu’il a été surpris d’apprendre que les chefs de village vendaient des terres forestières sans permis, et encore moins son approbation.
« Nous tous finissons par devenir victimes en cas de survenance des conditions climatiques défavorables et d’assèchement de nos rivières », prévient-t-il.
Adapté à partir de sa version originale en swahili par Ndahayo Sylvestre, GPJ.