GOMA, RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO — Neema Hassan s’arrête là pour aujourd’hui dans son secrétariat public. Comptant des liasses de billets en francs congolais après sa longue journée d’offre de services de photocopie pour entreprises, étudiants et autres particuliers, un sourire se dessine sur ses lèvres.
Ce n’est qu’en 2015, une fois ses études universitaires finies, que Hassan, 27 ans, a eu l’idée de démarrer un commerce pour joindre les deux bouts.
« J’ai fait une première tentative en 2017, mais ça n’a pas tenu car je passais des heures voire même des jours sans électricité alors que mon travail consiste à imprimer, scanner et saisir les textes de mes clients », confie-t-elle.
Vers la fin de 2017, l’alimentation électrique non fiable a forcé Hassan à cesser son commerce.
« Je devais dépenser de l’argent pour l’essence afin d’allumer le groupe électrogène et cela m’avait ruinée », révèle Hassan.
Mais en 2018, ce fut une chance pour Hassan d’essayer à nouveau. Voulant faire d’une alimentation électrique stable à Goma une opportunité, il y a ouvert un commerce. Depuis la reprise de son activité, confie Hassan, il gagne jusqu’à 50 000 francs par jour.
« Auparavant, il était difficile de rentrer même avec 5 000 FC, mais aujourd’hui je ne me plains pas du tout », se réjouit-elle.
Hassan figure parmi les bénéficiaires d’un changement dans l’approvisionnement électrique à Goma.
Après des décennies de monopole, la Société nationale d’électricité en RDC (SNEL) est aujourd’hui confrontée à l’arrivée de la concurrence dans l’approvisionnement de la ville en électricité, permettant à certains commerces et habitants de bénéficier d’un accès relativement stable à l’électricité.
Mais dans un pays où seulement 15% de la population a accès à l’électricité, la route est encore longue.
En 1974, le gouvernement congolais a dissous toutes les sociétés d’électricité qui existaient depuis l’ère coloniale, sauf une : la Société nationale d’électricité.
Mais la loi numéro 14/011 voyant le jour dans le pays le 17 juin 2014, elle a entériné la libéralisation du secteur de l’électricité et permis aux investisseurs privés de se faire concurrence pour alimenter le public en électricité. Ainsi naquit la Société congolaise de distribution d’eau et d’électricité (SOCODEE).
Guy Chiyoge Habamungu, directeur administratif et financier de la SOCODEE, déclare que la société avait besoin de 4 millions de dollars pour démarrer. Elle s’est mise à fournir de l’électricité en 2018.
Selon Aimée Nshombo, représentant légal de la SOCODEE, cette société a pour mission première d’aider au développement économique du pays. Elle opère pour répondre à la demande des habitants de Goma, et ce, en complémentarité avec les sociétés en place, dont la SNEL.
Goma compte 18 quartiers ayant une population de plus d’un million d’habitants. Assurer un approvisionnement électrique stable à toutes les zones n’a rien d’une sinécure, et les 10 quartiers considérés comme étant à faibles revenus sont plus susceptibles de souffrir des délestages. Et pour cause, les fournisseurs font le choix de privilégier davantage leurs clients plus fortunés.
D’après les estimations des autorités, Goma a besoin de 80 MW d’électricité pour répondre aux besoins des habitants et des entreprises. Mais jusqu’à présent, seulement 16,5 MW sont disponibles. La SNEL ne fournit que 6,5 MW, tandis que SOCODEE et une autre société, appelée Virunga, distribuent chacune 5 MW.
« Il y a nécessité de capacité supplémentaire pour pouvoir vraiment alimenter la ville », déclare Nshombo.
Des clients industriels, à l’instar des propriétaires de petits commerces comme Neema Hassan, bénéficient de l’arrivée de la concurrence. Par exemple, la cimenterie Nyiragongo Cement était jadis objet des coupures d’électricité à longueur de journée.
Néanmoins, l’alimentation ininterrompue en électricité s’est traduite par des profits en hausse, explique Maxime Kakule, agent aux achats chez Nyiragongo Cement.
« Depuis que nous sommes chez SOCODEE, le prix d’un sac de ciment a baissé. Auparavant, un sac revenait à 11 dollars américains, mais aujourd’hui un sac revient à 9 dollars. Donc, c’est un impact vraiment positif pour l’intérêt de tout le monde », lâche Kakule.
Des familles, elles aussi, affirment que l’accès à l’électricité rend leur vie plus facile.
Selon Jean Baptiste Mupenzi, père de six enfants, l’accès à l’électricité tous les jours reste un élément positif.
« Actuellement, on peut s’asseoir autour de la télé, moi et ma famille, chaque soir, et les enfants peuvent faire leurs devoirs sans aucun obstacle », assure-t-il.
« Avant, quand la SNEL n’avait pas de courant, c’est toute la ville qui tombait dans le noir, mais actuellement ce n’est plus le cas », annonce Stephanie Mwamini, propriétaire d’un bar.
Toutefois, l’approvisionnement fiable en électricité reste un rêve pour plusieurs zones de Goma.
À Ndosho, l’un des quartiers pauvres de la ville, on constate un recours généralisé à des groupes électrogènes. Patient Murhula, 31 ans, y tient un salon de coiffure.
« Nous ne pouvons pas passer deux jours sans que le groupe électrogène ne tombe en panne. Cela a un impact négatif sur mon commerce », déplore-t-il.
Une étude réalisée en février 2019 dans la revue « Conflict, Security & Development » s’est penché sur l’électrification en RDC. « Mis à part les riches congolais et leurs clients expatriés, le reste des habitants de Goma devra continuer à dépendre du service public d’électricité défaillant – ce qui pourrait se traduire par la baisse de leurs revenus et réduira la capacité à offrir des services d’entretien aux usagers économiquement modestes », lit-on dans cette étude.
Cette concurrence accrue ne fait ni chaud ni froid au principal fournisseur d’électricité dans le pays.
Selon Mark Kadundu, conseiller juridique de la SNEL, il ne s’oppose pas personnellement à la concurrence. Ce qui importe, confie-t-il, c’est de travailler ensemble pour accomplir une mission commune d’offrir à la population de la RDC un meilleur accès à l’électricité.
« Ensemble, nous devons travailler en équipe pour obtenir des résultats durables et positifs », conseille-t-il.
Habamungu, directeur administratif et financier de la SOCODEE, reconnaît que l’on est encore loin pour éclairer toute la ville de Goma, mais affirme qu’il est des progrès à noter.
« Notre souhait est de pouvoir illuminer toute la ville, même au-delà. Dans tous les cas, avec d’autres investisseurs, nous serons en mesure d’atteindre le besoin de 80 MW pour alimenter la ville », déclare Habamungu. « Compte tenu de ce que nous avons pu accomplir, l’avenir semble prometteur ».
Adapté à partir de sa version originale en français par Ndahayo Sylvestre, GPJ.