KISANGANI, RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO — Ici, dans l’une des plus grandes villes de la RDC, les cimetières étaient autrefois des sanctuaires bien entretenus et respectés. Et pourtant, aujourd’hui, quelques moments d’hésitation s’invitent avant de porter des proches en terre dans des cimetières publics. Un jour, craint-on, de nouvelles maisons seront construites sur le cimetière ou ce dernier cédera sa place à un champ de manioc. (Voir la couverture antérieure ici.)
Depuis longtemps, les quelques cimetières privés de Kisangani restent trop chers et hors de portée pour bien des gens.
Anne Bateloma a enterré sa mère dans un cimetière public en novembre 2014.
« Mais au moment où je parle, je ne sais plus où aller me recueillir, car la tombe de ma mère n’a plus d’adresse », s’insurge-t-elle.
Craignant que ce sort ne frappe sa tombe le jour où viendra son tour, Bateloma figure parmi un nombre sans cesse croissant de gens ici ayant opté pour une solution de remplacement : réserver une portion de terre dans un nouveau cimetière privé qui offre des échéanciers flexibles.
En 2016, un groupe d’entrepreneurs locaux ont mis du fric en commun pour créer une organisation non gouvernementale, Action Cimetière, grâce à laquelle des gens réservent des tombes dans leur parcelle de 4 hectares. Depuis que ce cimetière a vu le jour, 346 âmes y ont été reposées y compris 23 personnes ayant, elles-mêmes ou par l’intermédiaire de leurs proches, réservé des parcelles à l’avance.
Action Cimétière offre un espace bien entretenu, assure le transport des corps en toute dignité et dispose des gardes qui veillent sur les lieux la nuit. Toute visite nocturne, quelle que soit sa nature, y est interdite.
« Depuis que j’ai appris l’avènement du cimetière, j’ai eu des larmes aux yeux », explique Bateloma. « Sinon la tombe de ma mère n’allait pas être profanée ».
Aujourd’hui, elle a réservé sa propre parcelle.
Bateloma a déboursé 4 800 000 francs congolais pour réserver sa propre tombe – un montant important en RDC où, selon les données de la Banque mondiale, le revenu annuel moyen est d’environ 560 dollars. Elle a payé en tranches sur une période de trois mois.
Le groupe propose trois types de réservations dont le prix oscille entre 3 100 000 et 4 800 000 francs. Aussi acceptent-ils des conditions de paiement en plusieurs fois, affirme Barthelemie Musafiri, coordinateur d’Action Cimétière, ajoutant que, d’ordinaire, des gens réservent des tombes pour eux-mêmes ou leurs proches.
Selon Musafiri, il ne faut pas prendre le service funéraire à la légère. Apporter aux gens la quiétude d’esprit, c’est l’un de leurs objectifs.
Willy Poye, maire de Kisangani, dit espérer que d’autres cimetières suivront l’exemple et offriront un service de qualité et des pratiques respectueuses envers les morts.
Selon Ose Kapongo, il a frissonné d’horreur d’apprendre les nombreux récits d’amis et de membres de famille dont les tombes des leurs ont été rendus invisibles ou ont disparu ces dernières années. Dès qu’il a entendu parler d’Action Cimétière, il a commencé à épargner pour réserver sa propre parcelle. Jusqu’ici, il a mis la main à la poche et payé 300 000 francs pour sa dernière demeure.
« Ce qui se fait dans les cimetières publics est impensable », lâche-t-il. « Je suis content de cette innovation ».
Pourtant, ce service est toujours hors de portée pour la majorité des gens d’ici, confie Joski Mwarabu, un enseignant.
« J’ai envie de me réserver une tombe, mais comment y parvenir ? Le peu que je touche comme salaire ne me permet pas de le faire », se désole-t-il. « Peut-être un jour ils pourront le faire à moins cher pour nous autres de la basse classe ».
Adapté à partir de sa version originale en français par Ndahayo Sylvestre, GPJ.