ITURI, RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO — Des rires résonnent au cœur d’un écrin de verdure des champs de cacao.
Autrefois appelé « le coin le plus sanglant du Congo » par Human Rights Watch en raison de violents affrontements entre deux groupes ethniques, notamment les Hema et les Lendu, les membres d’un groupe de producteurs de cacao à dominance féminine issus de ces groupes optent aujourd’hui pour la mise en commun de leurs ressources et la culture du cacao en vue d’être des artisans d’une paix durable dans leurs communautés.
La coopérative Tuendelee Mbele, − « Allons de l’avant » en swahili − est née de la volonté de tirer profit des opportunités de prospérité communes, explique Sara Kyakimwa, membre du groupe.
« Nous nous soutenons les uns les autres et faisons front commun, quelle que soit notre origine ethnique. La seule chose qui nous préoccupe est de trouver un moyen de voler de nos propres ailes », témoigne-t-elle.
Les dix membres de cette coopérative, dont neuf femmes et un homme, ont réuni leur argent pour louer un champ en vue de la culture du cacao. Louer ensemble un champ, c’est bon signe, assure Kyakimwa.
« La réussite de notre engagement à exploiter ensemble un champ montre clairement que la réconciliation a pris des racines plus profondes dans notre communauté », dit Kyakimwa, ajoutant que les différends fonciers sont la principale cause de conflits depuis des décennies.
Les violences entre les groupes ethniques hema et lendu remontent aux années 1970, révèlent les habitants.
Selon un rapport de Human Rights Watch intitulé « Ituri: Couvert de sang » publié en 2003, au moins 5 000 personnes ont été tuées dans la province d’Ituri entre 2002 et 2003. Selon le même rapport, des cas de torture, d’exécutions, de viol, de mutilation voire même de cannibalisme étaient le grand secret du modus operandi des deux groupes. La violence s’est poursuivie dans les années qui ont suivi d’autant plus que la plupart des opérations de maintien de la paix restent vouées à l’échec.
Selon les estimations des Nations Unies, plus de 50 000 personnes au total ont été tuées dans cette région depuis 1999 alors que 500 000 d’autres ont fui leurs maisons. Aujourd’hui, les Forces de Résistance patriotique d’Ituri, une milice lendu, font la loi dans la région.
La coopérative des producteurs de cacao œuvrent pour braver cette crise identitaire sanglante.
« Il est dit que si vous éduquez une femme, vous éduquez toute une nation », explique Joséphine Kungugu, membre de la coopérative. « Jamais nous ne serons las de nous battre pour la paix ».
La coopérative est basée à Komanda, une ville dans la province d’Ituri, au nord-est de la RDC. En novembre 2016, les agriculteurs ont loué un champ de 6 ha auprès d’Eugene Okaume, chef de village. Ils ont planté 1 500 cacaoyers fournis par ESCO Ltd., une société d’exportation de cacao qui offre un soutien technique aux agriculteurs, y compris aux agronomes, puis achète leurs fèves de cacao pour les vendre en Europe et aux États-Unis.
Dieudonné Kambale, agronome local, dit que le village a bien choisi en investissant dans cette culture rentable qu’est le cacao.
« Notre terre est d’une incomparable fertilité », annonce-t-il. « Nous n’avons même pas besoin d’engrais chimiques. Le cacao nous fait gagner gros ».
Mais la coopérative va au-delà du fric.
Françoise Kahindo, agricultrice dans le village voisin de Masuli, affirme que l’initiative fait germer en son cœur la semence de l’espoir.
« C’est une excellente chose qu’ils aient formé une association, quelle que soit leur appartenance ethnique », dit Kahindo. « Je tiens bon dans l’espoir de voir cette initiative se répandre également dans mon village ».
Anisette Lukogho, membre de la coopérative, espère que cette initiative pourra se répandre, car les conflits ont ruiné de trop nombreuses chances de développement au grand dam de la RDC.
« Nous voulons être une lumière qui brille dans les ténèbres pour aider les autres à faire leurs adieux à l’ignorance et à la ségrégation ethnique », révèle Lukogho.
Adapté à partir de sa version originale en français par Ndayaho Sylvestre, GPJ.