Democratic Republic of Congo

Aucun salaire malgré l'explosion du nombre d'élèves : les enseignants s’insurgent contre des années de travail non rémunéré

Les inscriptions ont explosé lorsqu’en 2019, la RDC a institué la gratuité de l’éducation de base. Cependant, des milliers d’enseignants chargés de l’encadrement de ces salles de classe bondées attendent toujours de recevoir un salaire.

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More Students, No Paycheck: Teachers Protest Unpaid Labor

MERVEILLE KAVIRA LUNEGHE, GPJ RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO

Kakule Sivyaghendera qui enseigne depuis neuf ans dans une école primaire du territoire de Lubero au Nord-Kivu en RDC n’a jamais reçu le moindre salaire.

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KIRUMBA, RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO : Cela fait neuf ans que Kakule Sivyaghendera est instituteur dans une école primaire de cette localité.

Son premier salaire est toujours attendu.

« Je me sens obligé de faire le champ quelques temps après les cours pour assurer la survie de ma famille », soupire-t-il, avant de préciser que les revenus de son épouse qui travaille comme couturière contribuent énormément à l’encadrement de leurs trois enfants.

Ce fut une explosion de joie au sein des familles congolaises lorsqu’en 2019, le président Félix Antoine Tshisekedi décréta que dans les écoles primaires du pays, l’enseignement serait gratuit et obligatoire. D’un coup, au moins trois millions d’enfants furent inscrits en même temps que les parents cessaient de payer les frais de scolarité. Des dizaines de milliers d’enseignants ont alors sombré dans une extrême pauvreté.

Pendant des années en RDC, c’est sur des pédagogues non payés comme Sivyaghendera que les écoles publiques se sont appuyées. Ceux-ci travaillaient en échange d’infimes fractions de frais de scolarité, caressant l’espoir d’intégrer un jour la masse salariale du gouvernement et de bénéficier de la rémunération mensuelle officielle qui actuellement s’élève à 230 000 francs congolais (115 $).

Depuis septembre 2019, au moins 195 000 de ces bénévoles ont commencé à percevoir du gouvernement une indemnisation ; toutefois, plus de 315,000 d’entre eux n’ont jusqu’en novembre 2021 reçu aucune paie.

À ce jour, ces instituteurs non rémunérés avouent qu’ils vivent un véritable calvaire, car les autorités du pays qui ont instauré la gratuité de l’éducation de base s’opposent à toute pratique visant à faire recouvrer d’une manière ou d’une autre des frais scolaires auprès des parents, fût-ce le salaire des enseignants.

« Il n’est pas question de demander des aumônes, des biens matériels ou tout autre service aux parents pour rémunérer l’enseignant », vocifère Paluku Muvunga, directeur de la sous-division de l’Enseignement Primaire, Secondaire et Technique (EPST) de Kirumba, et représentant local du ministre de l’EPST. « Quiconque sera pris dans de tels actes subira la rigueur de la loi. »

Dans le district scolaire de Kirumba où près de 40 % des instituteurs d’écoles primaires sont bénévoles, il faudrait pour une indemnisation complète quelque 184,2 millions de francs (92 110 $) supplémentaires chaque mois, explique-t-il.

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Selon la Banque mondiale, l’État a revu à la hausse ses dépenses liées à l’éducation, passant de 12 % du budget en 2017 à environ 22 % en 2021, puis mené un recensement national des enseignants afin d’identifier, de sélectionner puis d’intégrer dans la masse salariale les plus qualifiés. Malheureusement, le budget 2022 pour l’éducation a chuté à 17 %. Les subventions scolaires ont été détournées par la fraude et la corruption dans le secteur de l’éducation, notamment l’incursion dans la masse salariale d’« enseignants fantômes », qui n’existent que sur le papier, mais qui néanmoins perçoivent un salaire, précise un rapport de 2020 de la Banque mondiale.

« La politique de gratuité se heurte, dans sa mise en œuvre sur le terrain, à de nombreux défis, » lit-on dans la Revue Sectorielle Conjointe de novembre 2021 des différents ministères chargés de l’éducation et le secrétariat permanent d’appui et de coordination du secteur de l’éducation. Cette publication souligne « l’augmentation substantielle des effectifs scolaires et le besoin en termes de classes additionnelles, le manque d’équipements scolaires et de matériels didactiques, le recrutement, la formation et la rémunération des enseignants (y compris les nouvelles unités, les enseignants en fonction mais non payés) ainsi que les frais de fonctionnement des écoles et des bureaux gestionnaires. »

Muvunga exhorte les enseignants ainsi que les administrateurs d’écoles à faire preuve de patience et de créativité en attendant que l’État puisse se permettre de désintéresser tous les instituteurs.

«Le gouvernement payera tous les enseignants », assure-t-il. « En attendant, que les écoles pratiquent de petits travaux comme l’élevage des cobayes pour soulager un peu les enseignants non payés même si cela est insuffisant. »

Au risque de perdre leur emploi, certains directeurs d’écoles en s’évertuant à trouver des moyens de soutenir leur personnel non payé, ont encouragé des offrandes lors de services cultuels hebdomadaires.

« Nous contraignons les apprenants à apporter chacun 1 kg des cossettes de manioc chaque mois, » confie le directeur d’une école à Kirumba où quatre encadreurs sur 20 ne perçoivent aucune rémunération. (Il a requis l’anonymat par crainte de représailles.)

Rose Kahambu Kavughe, une autre directrice à Kirumba, déclare avoir perdu son emploi l’an dernier quand les autorités ont découvert qu’elle avait demandé aux enseignants rémunérés de prélever une modique contribution en faveur de leurs collègues non payés. Aujourd’hui âgée de 62 ans, elle met à nouveau son poste en danger dans sa nouvelle école, car elle veut s’assurer que les quatre enseignants non rémunérés au sein de son personnel ne rentrent pas à la maison les poches vides.

« Nous nous sommes arrangés de sorte que chaque enseignant payé libère volontairement 5 000 francs congolais (environ 2,5 $) de son salaire. C’est cet argent que nous donnons aux enseignants non payés », révèle-t-elle. « À part ça, les écoliers ramassent des graviers que nous vendons. »

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MERVEILLE KAVIRA LUNEGHE, GPJ RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO

À l’école primaire Buhimba de Kirumba dans le territoire de Lubero au Nord-Kivu, Esther Kahambu Kazi, qui fait partie des milliers de pédagogues non payés en RDC, écrit au tableau pendant un cours de lecture.

Esther Kahambu Kazi, une enseignante à l’école primaire Buhimba de Kirumba, confesse qu’elle dépend de tels gestes de charité. « Je vis de petites contributions de collègues payés », murmure-t-elle. « Un jour, peut-être, le ciel sera aussi ouvert pour moi. Je souffre».

Des agents de l’État clament avec assurance que les avantages à long terme de cette gratuité de l’enseignement primaire compenseront ces tribulations croissantes. Ces espoirs ne prennent toutefois pas en considération l’explosion des effectifs en salles, car les installations et le personnel n’ont pas augmenté en proportion des millions d’apprenants supplémentaires.

Selon les rapports d’une enquête menée par l’office national des statistiques, avant les changements en 2016, 62 % des familles ayant des enfants non scolarisés évoquaient comme obstacle majeur les moyens financiers. Jean Baptiste Mumbere Bayilanda, vice-président de la société civile de Kirumba, une organisation communautaire, déclare que la gratuité de l’éducation s’est avérée salutaire pour les parents de la région, bien qu’elle ait épuisé les ressources et favorisé des effectifs pléthoriques dans les salles de classe.

« La population se réjouit beaucoup de cette gratuité parce que nous vivons dans la pauvreté », explique-t-il. « Le problème est qu’il y a des enseignants qui sont devenus victimes de cette mesure parce qu’ils ne sont pas payés par l’État. »

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MERVEILLE KAVIRA LUNEGHE, GPJ RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO

Au terme d’une journée entière à encadrer des enfants dans une école primaire de Bulinda, Kakule Sivyaghendera désherbe son champ de légumes dans la banlieue est de Kirumba, territoire de Lubero dans le Nord-Kivu. Après neuf ans sans salaire, il doit passer son temps libre à cultiver des aliments pour subvenir aux besoins de sa famille.

Pour Divine Kavugho Kanyihata, une mère dont l’enfant fréquente l’école primaire de Kirumba, l’enseignement de base sans frais a apporté un immense soulagement, bien qu’elle ait de la peine pour les instituteurs bénévoles qui doivent trouver d’autres moyens pour subvenir aux besoins de leurs familles.
« Nos enfants étudient maintenant librement », se réjouit-elle. «Que cette mesure continue » !

Plusieurs grèves fugaces d’enseignants ont eu lieu en 2021 et 2022, alors que les pourparlers se poursuivent entre les dirigeants des syndicats et le gouvernement afin d’inclure dans la masse salariale tous les instituteurs en service.

« Les enseignants non payés font un sacrifice total. Nous continuons à plaider pour que le gouvernement réalise ses promesses de prendre en charge tous les enseignants », affirme Lambert Kasereka Saasita, ancien membre du Syndicat des Enseignants du Congo (SYECO) et actuel secrétaire permanent de la Confédération Démocratique du Travail (CDT) section de territoire de Lubero, une structure de défense des droits des travailleurs.

Pour les enseignants non rémunérés comme Kazi et Sivyaghendera, qui pensent que l’éducation est leur vocation, et qui n’ont pas d’autres débouchés ailleurs, tout ce qui leur reste à faire, c’est de cultiver optimisme et endurance.

« Je vis de l’espoir d’être payé un jour, car on dit que l’homme patient mange le fruit mûr », conclut Sivyaghendera.

Merveille Kavira Lungehe est journaliste à Global Press Journal. Elle vit à Kirumba, en République démocratique du Congo.


NOTE À PROPOS DE LA TRADUCTION

Traduit par Kouethel Tekam Néhémie Rufus, GPJ.

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