LUBERO, RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO : Kirumba aura connu un certain nombre de changements au cours de ces dernières années. Depuis les collines surplombant cette commune rurale de la province du Nord-Kivu en RDC, l’on pourrait apercevoir une boutique faite de briques ou une maison au toit de tuiles. Dans cette localité, les constructions en briques émergent du lot.
À Kirumba, le plus grand centre d’affaires du territoire de Lubero dans le Nord-Kivu, la plupart des maisons et des bâtiments commerciaux sont faits de terre battue, et de bois, des matériaux périssables. En fait, selon un rapport 2019 de Power Africa, un partenariat entre le gouvernement des États-Unis et plusieurs pays africains visant à améliorer l’accès à l’énergie en Afrique, seul un tiers environ des constructions en RDC (soit près de cinq millions) ont des murs faits de pierres, de béton, de parpaings, de briques, de barres d’acier ou métalliques, ou de plaques d’amiante.
Plusieurs facteurs expliquent cet état des choses, notamment de faibles revenus, des systèmes de gestion immobilière compliqués, ainsi que des décennies de conflit qui ont eu un impact négatif sur le développement. Toutefois, une organisation attachée au développement urbain a rassemblé les ressources pour aider les populations locales à construire des bâtiments en matériaux définitifs. À mesure que ce projet prend forme, elles transforment le paysage de Kirumba et envisagent d’améliorer l’accès aux logements décents.
L’organisation baptisée Mutuelle de Construction Durable a été créée par le comité de développement de Kirumba, qui travaille en étroite collaboration avec les autorités locales, déclare Lambert Kasereka Saasita, président de ladite organisation.
C’est en 2010 que Saasita a eu cette idée. Il se demandait comment les populations locales pourraient se soutenir mutuellement pour construire des maisons et des édifices commerciaux plus durables. Puis, il a commencé à en parler autour de lui.
« Nous nous sommes aperçus qu’il était indispensable d’unir nos forces pour faire face aux défis de la construction, » explique Saasita.
Les données exactes sur l’accès aux logements en RDC sont difficiles à dénicher, mais la situation immobilière s’est dégradée dans la mesure où de nombreuses personnes ont fui leurs domiciles en raison des conflits. Entre 2008 et 2021, les affrontements ont provoqué près de 17 millions de déplacements, dont la majorité dans la partie orientale du pays, à en croire L’Observatoire des situations de déplacement interne.
Les migrations et les déplacements ont favorisé une rapide croissance des villes en RDC. Mais cette expansion ne s’accompagne ni de meilleures infrastructures ni de développement économique. En fait, selon un rapport de la Banque mondiale en 2018, environ 75 % des populations des zones urbaines à Kinshasa la capitale, mais aussi l’une des plus grandes métropoles d’Afrique, vivent dans des taudis.
La région de l’est qui abrite Kirumba et qui par ailleurs est le siège des hostilités a connu une croissance urbaine exponentielle, surtout à Goma. Mais selon le Programme des Nations unies pour les établissements humains, les logements y sont généralement de piètre qualité.
La Mutuelle de Construction Durable caresse l’espoir de pallier ce problème de manque d’infrastructures appropriées. Saasita confie que les populations locales ont besoin de davantage de maisons et d’immeubles commerciaux en matériaux définitifs, mais de nombreux facteurs comme le manque de fonds entravent les travaux. Les taxes de l’État ainsi que les permis de construire constituent un autre obstacle.
Les membres déboursent 7 $ de frais d’inscription, et chacun doit payer une contribution annuelle de 1 000 $. L’organisation rassemble ces fonds et les reverse à un membre à la fois, en fonction de leur ordre d’intégration.
À ce jour, l’organisation compte 28 membres, pour la plupart des opérateurs économiques, qui sont répartis en trois groupes plus restreints, afin de réduire le temps d’attente pour parvenir à chaque membre. « Nous avons déjà construit 17 maisons dans le centre commercial de Kirumba », se félicite Saasita.
Bien qu’ils se soient concentrés sur les édifices commerciaux, Saasita confie qu’ils s’étendront vers les quartiers résidentiels. « Notre commune deviendra une ville », assure-t-il. « Mais cela ne se fera pas comme par un coup de baguette magique. Nous devons la développer. »
Il y a quelques années, Kambale Kinyagha Osée qui est cultivateur à Kirumba a entendu parler de cette initiative. Construire un immeuble commercial avec des boutiques à louer faisait partie de ses objectifs et il en avait déjà pressé les briques. C’est alors que son épouse est décédée. Comme il avait besoin d’aide, il a intégré l’organisation puis versé sa contribution financière.
« Après la mort de mon épouse, j’avais tellement des difficultés que je ne pouvais plus réussir tout seul », reconnaît Kinyagha.
En janvier, l’organisation a mis à sa disposition 11 000 $ pour financer son projet. Il pouvait désormais se procurer du matériel de construction et payer toutes les taxes. Actuellement, il loue les boutiques aux entreprises. Un immeuble en briques n’est pas uniquement une source de revenus, mais en posséder un confère également du prestige, explique-t-il.
En tant que Contrôleur de site et Chargé de l’autorisation de bâtir au sein des services de l’urbanisme à Kirumba, Paluku Kavunga délivre des permis de construire et salue cette initiative : « Nous voulons que notre commune ait une belle face. » Les autorités n’ont pour unique exigence que de voir les membres de l’organisation fournir les documents fonciers, assure-t-il.
Loin de partager l’avis selon lequel le système de gestion foncière est laborieux, il pointe plutôt du doigt l’ignorance du public.
« Il y a une procédure légale à suivre pour construire une maison. On doit d’abord avoir tous les documents justificatifs de la parcelle, » déclare-t-il. « Quand quelqu’un a tous les documents fonciers, en début de construction, il ne vient vers nous que pour solliciter la demande d’autorisation de bâtir. Notre service lutte contre les constructions anarchiques et intervient dans l’aménagement du territoire. »
Cette initiative n’est pourtant pas saluée de tous. Elle ne fonctionne que pour les personnes nanties, soupire Kasereka Matembela, qui habite une maison en bois. « Où est-ce qu’un pauvre peut trouver 1 000 $ par an ? » s’interroge ce motocycliste âgé de 33 ans. Il aimerait bien se construire un meilleur logement, mais il n’en a pas les moyens.
Saasita avoue que pour la plupart des habitants de cette région, il s’agit d’une somme extraordinaire. Toutefois, si davantage de personnes emboîtent le pas, admet-il, l’organisation sera capable de revoir à la baisse les frais d’inscription.
Obed Kambale Kiveho, bourgmestre de la commune de Kirumba, considère cette initiative comme un facteur contribuant à l’amélioration du statut de la commune.
« Nous avons été une agglomération, ensuite une cité (petite ville), aujourd’hui une commune, et demain une ville. Nous devons par conséquent améliorer nos constructions », soutient Kiveho. « Si quelqu’un a une parcelle dans le centre commercial ou au bord de la route et qu’il n’a pas de moyens d’y construire une maison en briques, qu’il la vende à celui qui en a les capacités. »
Zawadi Muhindo, un habitant de Kirumba, ne trouve aucun inconvénient à vendre un terrain à quelqu’un qui dispose des moyens nécessaires pour y construire une maison en briques. « Lorsque vous vendez votre terrain à une personne opulente pour qu’elle y construise, vous avez alors la possibilité de vous en acheter un autre ailleurs et même d’utiliser le reliquat pour d’autres affaires, » explique-t-il. « Je pense qu’il s’agit là d’une bonne démarche. »
Même si l’on trouve encore à Kirumba des bâtiments faits de matériaux de piètre qualité, son paysage urbain s’est nettement amélioré, affirme Saasita. L’initiative est à son avis un succès, car « les bienfaits en sont palpables. »
Merveille Kavira Lungehe est journaliste à Global Press Journal. Elle vit à Kirumba, en République démocratique du Congo.
NOTE À PROPOS DE LA TRADUCTION
Traduit par Kouethel Tekam Néhémie Rufus, GPJ.