Democratic Republic of Congo

Congo: bon nombre de familles déplacées par un volcan de retour en zone de danger

Des camps surpeuplés et de nouveaux sites d’installation en piteux état n’offrent aucune véritable solution de rechange aux familles déplacées par l’éruption du mont Nyiragongo.

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Families Displaced by Volcano Return to Danger Zone

Noella Nyirabihogo, GPJ RDC

Geneviève Masika, dont les enfants ont contracté le choléra en raison de mauvaises conditions d’hygiène dans un camp de familles déplacées par l’éruption du mont Nyiragongo le 22 mai, déclare qu’elle retournera dans la zone de danger du volcan pour y reconstruire sa maison en cas d’absence à Goma d’endroit convenable où se réinstaller.

KIBATI, RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO : Munie d’une petite houe, Madeleine Kembe creuse dans des rochers de lave solidifiée. Certains sont de la taille de sa tête. Et il y en a qui sont plus gros que l’enfant d’un an accroché à son dos.

La tâche demanderait plusieurs heures pour un bulldozer, mais cette mère de trois enfants est résolue à en venir à bout grâce à ses outils rudimentaires. La maison de Kembe était sur terre ici jusqu’au 22 mai, lorsque la lave en fusion crachée par le mont Nyiragongo voisin a englouti son quartier. L’éruption volcanique a fait au moins 31 morts et détruit plus de 3 000 maisons dans l’est de la République démocratique du Congo.

« Je dois reconstruire ma maison », confie Kembe, respirant bruyamment comme elle essaie de renverser un énorme morceau de lave solidifiée.

D’autres gens sont en train de défricher également leurs parcelles, mais ils sont majoritairement des hommes. Kembe fait cavalier seul, car son mari, qui était motard, a perdu la vie dans un accident de circulation quelques mois avant l’éruption, révèle-t-elle. Aujourd’hui, elle vit à Kayembe, un camp temporaire que le gouvernement local a créé avec l’aide du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) et du Comité international de la Croix-Rouge (CICR).

Dans ce camp, les conditions de vie sont déplorables, poussant nombre de personnes déplacées en raison de la dernière éruption du mont Nyiragongo à défier le gouvernement et à démarrer la reconstruction, même si la région reste sur la trajectoire des coulées de lave de l’un des volcans les plus dangereux au monde. À en croire ces habitants, les autorités ont tardé à trouver un plan réaliste de réinstallation. Ce qu’ils préféreraient, affirment nombre d’entre eux, c’est de faire un retour en zone de danger plutôt que de continuer à vivre à Kayembe ou d’aller s’installer dans des zones de réinstallation que le gouvernement envisage de créer à l’extérieur de la ville de Goma, dans l’est du pays.

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Environ 1 500 habitants du camp de Kayembe n’ont que six latrines à fosse à partager. L’eau courante y est inexistante. Ils misent sur des citernes d’eau fournies par une agence gouvernementale ; mais il n’y en a jamais assez pour le nettoyage de base, ce qui renforce les craintes de maladies. Le choléra, en particulier, dont le nombre de cas et de décès a baissé de 30% de 2019 à 2020, suscite aujourd’hui une grande inquiétude, affirme l’Unicef. En juin, cette agence onusienne a fait état de 59 cas et d’un décès dans la province du Nord-Kivu dans laquelle se trouve Goma. Les cas signalés à Kayembe ont renforcé la détermination des gens à partir et à reconstruire.

Selon Kembe, elle et ses enfants ont évité la maladie, confie-t-elle. Tel n’a pourtant pas été le cas de certaines familles comme celle de Geneviève Masika. Deux semaines après son arrivée à Kayembe, révèle Masika, deux de ses trois enfants ont commencé à souffrir de diarrhées graves. Ils ont reçu un diagnostic de choléra.

« Après leur rétablissement, j’ai décidé de rentrer chez moi et de reconstruire pour éviter que mes enfants ne tombent à nouveau malades », précise Masika.

Les responsables gouvernementaux se démènent pour rassurer la population que la réinstallation dans d’autres endroits est une meilleure solution. Pour le ministre de la Défense, Gilbert Kabanda, l’unité du génie militaire a déjà construit près de 700 abris temporaires en périphérie de Goma. Il s’agit d’une solution à court terme, en attendant le réaménagement prévu de la ville, assure-t-il. Mais nombre de ces structures ont été récemment emportées par des vents violents, ce qui laisse planner le doute sur le fait de voir un jour ces gens quitter Kayembe.

Selon René Mpuru, directeur général de l’Institut supérieur d’architecture et d’urbanisme (ISAU) géré par l’État, il est d’ores et déjà prévu de construire deux sites d’installation permanents à 35 kilomètres de Goma. Les autorités, ajoute-t-il, veulent réinstaller non seulement les personnes déplacées le 22 mai, mais aussi tous les habitants occupant les zones déclarées inhabitables en raison de la coulée de lave consécutive aux éruptions de 1927, 1977 et 2002. Environ 60 000 personnes vivent dans ces zones, affirme Mpuru.

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« Contrairement à ce qui s’est passé dans le passé, lorsque les plans de relocalisation ont échoué en raison d’un manque de financement, le gouvernement a déjà obtenu des fonds de la Banque mondiale pour l’effort actuel », précise Mpuru.

Mais Marrion Ngavho, président de la Coordination de la société civile du Nord-Kivu, une organisation de défense des droits de l’homme basée à Goma, estime que convaincre les gens de quitter la ville ne sera pas une sinécure.

« Il va falloir des mesures rigoureuses visant à les empêcher de reconstruire dans cette zone », affirme Ngavho.

Nombre d’habitants disent craindre de perdre leur emploi s’il leur arrive de quitter Goma. Masika, par exemple, affirme que son mari serait obligé de quitter son travail d’agent de sécurité grâce auquel il touche 80 000 francs congolais par mois s’ils se voyaient obligés de quitter Goma. Elle n’aurait aucune objection à s’installer dans l’un des abris en cours de construction par l’unité du génie militaire. Si les choses ne se déroulent pas bien, lâche-t-elle, elle ne quittera pas Goma.

« Je serai obligée de reconstruire une petite maison sur mon ancienne parcelle et personne ne m’en empêchera », affirme Masika.

Kembe, elle aussi, s’inquiète de devoir aller s’installer loin de Goma et ainsi quitter son emploi de femme de ménage dont elle a, selon elle, plus que jamais besoin maintenant qu’elle est veuve. Cet emploi lui rapporte 50 dollars par mois, ce qui est à peine suffisant pour sa famille, mais son patron lui offre souvent des vêtements pour ses enfants et deux kilos de viande chaque semaine.

« Quitter Goma voudrait dire abandonner tout cela », dit-elle. « Alors Comment pourrais-je nourrir mes enfants ? »

« Je serai obligée de reconstruire une petite maison sur mon ancienne parcelle et personne ne m’en empêchera ».

Mais Prince Kihangi, député provincial du Nord-Kivu, affirme que les gens ne devraient pas craindre pour leur emploi.

« Lorsqu’une nouvelle communauté se forme, il y a toujours des possibilités de créer de nouveaux emplois », confie Kihangi.

La croissance démographique exponentielle de Goma met en danger davantage de personnes et rend nécessaire la réinstallation, explique Kihangi. Entre 1984 et 2010, le taux de croissance annuel de la population de Goma a été plus de 10 %, selon la revue de l’urbanisation en la République démocratique du Congo, que la Banque mondiale a publiée en 2018. Aujourd’hui, on estime à 670 000 le nombre de personnes vivant dans cette ville.

« Ce plan de relocalisation est extrêmement important », dit Kihangi.

Kembe et d’autres habitants affirment toutefois qu’ils ne sont pas prêts à abandonner leurs emplois actuels pour des emplois futurs qui ne sont pas garantis. Kembe a déjà obtenu des planches et des tôles de toiture pour la construction, dit-elle. Elle affirme être inquiète du danger d’une nouvelle éruption, mais c’est un risque qu’elle est prête à prendre pour protéger ses moyens de subsistance.

« Nous avons appris à vivre avec le volcan », dit-elle. « S’il y a une autre éruption, je m’enfuirai et je reviendrai ».

Noella Nyirabihogo est journaliste à Global Press Journal en poste à Goma, en République démocratique du Congo.


Note à propos de la traduction

Traduit par Ndahayo Sylvestre, GPJ.