GOMA, RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO — Zainabo Bahati se dépêche vers une pharmacie locale. Selon ses dires, il ne fait nul doute que son fils de huit ans, rentré de l’école hier avec une fièvre et des maux de tête, souffre du paludisme.
«Je me suis vite rendu compte qu’il avait le paludisme», affirme Bahati, reconnaissant ne pas avoir emmené son fils chez un médecin.
Et selon elle, il n’y a pas nécessité d’amener d’urgence son fils dans un établissement médical car ce ne serait qu’une perte de temps et d’argent. Elle préfère vite faire de lui administrer des antipaludéens.
«Chaque fois que l’on ne sent pas bien, on ne fait que prendre des antipaludéens», confie-t-elle avant de se faufiler dans une foule de personnes attendant chacune leur tour pour se procurer des médicaments dans une pharmacie la plus populaire des environs.
«Ainsi donc, mon fils Jimmy ira mieux s’il prend une dose d’amodiaquine. C’est ainsi que nous nous arrangeons et c’est une habitude devenue notre routine quotidienne», dit-elle.
Le paludisme reste la principale cause de mortalité en République Démocratique du Congo et l’Organisation mondiale de la santé révèle que la maladie a été ici responsable d’au moins 39 054 décès en 2015, et il s’agit des dernières statistiques disponibles. À en croire les rapports du gouvernement, la maladie, due à des parasites transmis à l’homme par des piqûres de moustiques femelles, anophèles, infectées, est responsable de 40 pour cent des décès d’enfants de moins de moins de cinq ans.
En 2016, la province du Nord-Kivu à l’est de la RDC a enregistré plus de 9 000 cas de paludisme dont 3 066 décès. Ces chiffres sont préoccupants dans toute la province, déclare le Dr Demson Kayisavera, directeur du Programme national de lutte contre le paludisme au Nord-Kivu.
Conclure, en l’absence de diagnostic, que la fièvre et les maux de tête signalent la présence du paludisme n’est pas non plus sans danger. En cas de diagnostic inexact, la cause réelle des maux de tête et de la fièvre demeure non diagnostiquée et pourrait entraîner d’autres effets faute de traitement approprié. Autre conséquence, le surdosage ou le sous-dosage ou le mauvais dosage entraînent quant à eux des complications médicales, dit Demson.
Aussi cela finit-il par avoir des incidences sur la communauté au sens large étant donné que le surdosage des antipaludiques les rend moins efficaces.
Le Dr. Adolphe Mujinya, médecin au centre de santé de Munyantware, situé au centre-ville de Goma, affirme que la chloroquine, l’une des antipaludiques, n’est plus utilisée car elle n’est plus active contre le paludisme. En RDC, les cas positifs de paludisme simple sont aujourd’hui traités par l’association d’artesunate-amodiaquine (ASAQ) ou d’artémether-luméfantrine (AL).
Mais de l’avis des experts locaux, amener les gens à comprendre les dangers potentiels de l’autodiagnostic est loin d’être une sinécure.
Papy Bisimwa, soudeur, affirme ne pas avoir du mal à détecter le paludisme.
«À quoi bon perdre mon temps à me rendre à l’hôpital où le traitement peut ruiner mes maigres économies ?», dit-il. «Je suis en mesure de me dire si je souffre du paludisme, et il y a une pharmacie où je peux acheter des médicaments».
Des médicaments dans une pharmacie restent relativement bon marché, en particulier par rapport aux coûts du diagnostic et du traitement dans un hôpital ou un établissement de santé. Le prix d’un antipaludéen dans une pharmacie peut être aussi bas que 3 dollars alors que le coût du diagnostic et du traitement par le personnel médical est d’environ 35 dollars.
«Au vu de cette situation, les gens sont nombreux à préférer une pharmacie aux établissements de santé», explique Ruben Mwissa, habitant de Goma qui dit qu’il a appris à la dure qu’il ne faut pas recourir à l’automédication. Ses maux de tête et sa fièvre n’avaient rien à voir avec le paludisme. Ils étaient pourtant dus à la typhoïde.
«Ce n’est que trop tard que je suis allé à l’hôpital pour me faire soigner,» révèle-t-il. Il s’est soumis à l’autodiagnostic et a fini par en être si malade qu’il a subi une perte de poids importante, son poids passant de 77 à 53 kilos.
«Dans le contexte des factures médicales élevées, de faibles moyens financiers et du manque d’assurance-maladie, les patients sont obligés de recourir à des antipaludiques bon marché», a déclaré Mwissa.
M. Kakule Thayiswika Jean de la Croix, directeur de cabinet au ministère de la Santé du Nord-Kivu en RDC, affirme qu’il est nécessaire de mener des campagnes pour faire comprendre aux gens la nécessité d’un avis médical avant l’usage de n’importe quel médicament.
Pierre Hodari, infirmier et propriétaire d’une pharmacie dans le quartier de Nyabushongo à Goma, affirme qu’au moins 60 pour cent de ses clients préfèrent acheter des médicaments sans ordonnance.
«Nous autres étant à la quête du lucre, nous vendons des médicaments sans ordonnance car nous n’avons pas de choix», confie-t-il.
Adapté à partir de sa version originale en français par Ndayaho Sylvestre, GPJ.