GOMA, RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO — Le passage de la pittoresque ville rwandaise de Gisenyi au bord du lac vers Goma, chef-lieu de la province du Nord-Kivu en RDC, s’avère une survenance subite. Finie l’asphalte lisse, et on embrasse des routes cahoteuses connues pour leurs nids-de-poule et pointes de lave durcie.
Ici dans la ville, les routes sont en terre et on a du mal à se déplacer en voiture, à vélo voire même à pied. Les chauffeurs se plaignent de l’état des routes qui endommage leurs véhicules et pneus tous les jours.
Les routes en terre qui serpentent entre les quartiers de la majeure partie de Goma engendrent également des nuages de poussière qui envahissent la ville. Les petits commerçants qui se disent incapables d’ouvrir des magasins dans les quelques coins de la ville où les routes sont asphaltées ne peuvent pas garder leurs magasins et leurs marchandises propres. Certains magasins sont obligés de fermer lorsque la météo rend les routes impraticables ou que la circulation remue des quantités de poussière irrespirables.
Les projets de construction de routes, promis par le président Joseph Kabila comme fer de lance lors de sa campagne en 2006, ont commencé dans la province en 2008 mais se sont rapidement arrêtés faute de financement. En 2014, les projets de construction de routes au Nord-Kivu ont été délimités en kilomètre entre les partenaires régionaux, nationaux et internationaux, mais très peu de projets ont été réalisés à temps, tandis que d’autres n’ont même pas connu de démarrage.
Pour les commerçants locaux, le sentiment de frustration reste grandissant. Certains accusent ouvertement de corruption le gouvernement provincial, qui, à ce jour, n’a honoré aucune de ses obligations en matière de construction de routes.
Philémon Senge, 51 ans, est le propriétaire de Ya Wazazi, une épicerie et une boulangerie industrielle sur la route Katindo qui est l’un des pires tronçons de Goma.
«Nous ne sommes pas une entreprise nouvelle et nous payons nos taxes», dit-il. «C’est bientôt totaliser nos 25 ans d’existence, et nos taxes ont toujours contribué à renflouer les caisses de l’État».
Le gouvernement provincial du Nord-Kivu collecte des impôts auprès des commerçants et des citoyens pour les allouer aux projets d’infrastructure et de développement, y compris la construction de routes dans la ville de Goma. Mais malgré les paiements d’impôts réguliers, Senge et d’autres disent qu’ils ne voient aucun progrès.
Senge affirme que les routes en piteux état produisent des effets négatifs sur ses activités quotidiennes. La poussière et les débris provenant des routes envahissent ses produits alimentaires. Il paie 100$, une bonne partie de son revenu annuel, juste pour garder son magasin propre. Lorsque le trafic congestionné empêche les clients d’accéder aux routes, il assène un coup dur à ses activités de commerce.
«Force est de constater le départ de notre clientèle à cause de la poussière», dit-il. «Ils ont préféré utiliser une autre route asphaltée vers le musée. Notre souhait est de voir notre route asphaltée».
Partout dans la ville de Goma, ville densément peuplée dans l’est de la RDC, les habitants attendent depuis plus d’une décennie que le gouvernement honore ses promesses de réparer les routes en terre quasiment impraticables de la ville. Pour les petits commerçants dans les quartiers où les routes sont dans le plus piteux état, l’activité économique baisse, en partie à cause, selon certains, des routes en piètre état. Bien que des partenariats de financement avec le gouvernement national et plusieurs organisations internationales progressent, le gouvernement provincial du Nord-Kivu affirme que les travaux de construction de routes ont été freinés par le retard dans l’arrivée de matériaux qui proviennent de l’étranger ainsi que par les contraintes de financement.
Partout en RDC, l’un des pays les plus grands d’Afrique, la faiblesse des investissements dans les infrastructures a été à l’origine du piteux état de la plupart des routes. Les conflits armés entre 1996 et 2004 ont laissé les routes du Nord-Kivu en particulier dans un état de délabrement presque total.
Après avoir remporté la présidentielle en 2006, Kabila a promis de reconstruire les routes rurales et urbaines dans toute la province du Nord-Kivu, l’une des régions du pays les plus menacées par les conflits, dans le cadre d’un programme qu’il a baptisé la «Révolution de la modernité» lors de sa campagne.
Bref, quelques travaux de construction de routes ont démarré ici en 2008. Les premiers projets ont été financés par le gouvernement provincial, mais les travaux se sont rapidement arrêtés en raison du manque de financement au niveau provincial et de l’absence de participation au niveau national.
En 2014, un groupe international de partenaires de financement a relancé des projets de construction de routes à Goma. Au nombre de ces partenaires figurent les gouvernements provincial et central, l’Union européenne, la Mission de l’Organisation des Nations Unies pour la stabilisation en RDC (MONUSCO) et la Communauté économique des pays des grands lacs (CEPGL) qui œuvre en faveur de la sécurité et du développement dans l’intérêt public pour les États membres. Ces partenaires ont clairement défini les domaines de responsabilité incombant à chacun d’entre eux, et ce, pour les routes urbaines et rurales.
Mais plus de trois ans plus tard, certains projets n’ont pas encore commencé, tandis que d’autres accusent des retards ou sont au point mort.
En février 2014, le gouvernement provincial du Nord-Kivu a entrepris un projet de reconstruction d’un tronçon de route de 5 kilomètres de Katindo à Virunga-Kibalabala, mais le projet a piétiné. La CEPGL a déboursé des fonds pour la construction d’une route de 3,5 kilomètres qui n’a pas encore été achevée. La MONUSCO, quant à elle, a pris un engagement pour 11,4 kilomètres de route au centre-ville de Goma. Mais au début de cette année, la MONUSCO a présenté seulement 7,1 kilomètres de route achevée. L’Union européenne a débloqué 28 millions de dollars pour la construction de 38 kilomètres de route depuis Goma vers la cité de Sake dans la région du Masisi.
La responsabilité pour les travaux de construction incombe aux gouvernements provincial et central, déclare Julien Paluku, gouverneur de la province du Nord-Kivu. Aucune donnée n’est disponible pour déterminer combien de kilomètres de route, le cas échéant, ont été réparés par le gouvernement central depuis 2014.
Selon Paluku, le gouvernement provincial tire l’essentiel de ses recettes de la Direction Générale des Recettes du Nord-Kivu (DGRNK) qui est chargée de la collecte des impôts. En 2016, le budget de la province du Nord-Kivu se chiffrait à près de 46 millions de dollars, dont près de 10 millions ont été alloués aux infrastructures.
À la fin de l’exercice 2016, la province a alloué 6 millions de dollars pour la poursuite de la construction de routes, mais ces fonds n’ont pas été versés. Paluku affirme que les problèmes financiers au niveau provincial – semblables à ceux auxquels fait face l’ensemble du pays – ont amené le Nord-Kivu à suspendre une partie de ses projets de construction de routes. En 2016, les élections présidentielles ont été reportées en RDC, et la faute retombe sur la crise financière en raison de laquelle le pays a été incapable d’assurer l’inscription des électeurs et d’autres processus électoraux. Mais les critiques du régime du président Kabila et ses opposants ont déclaré que ce report était un moyen de prolonger son mandat, car la constitution lui interdit d’en briguer un nouveau.
Paluku affirme avoir l’espoir que les efforts des autres partenaires mettront la pression sur le gouvernement central pour contribuer sa part au Fonds national d’entretien routier (FONER), tout en ajoutant que la province espère redémarrer les travaux sous peu.
«Le gouvernement provincial du Nord-Kivu entend mobiliser des fonds pour reprendre la construction des routes dont les travaux ont été confiés à la province, au début du deuxième trimestre de l’année 2017», a déclaré M. Paluku à Global Press Journal en mars dernier. Au moment de mettre sous presse, l’état du projet n’avait pas encore bougé d’un iota.
Bien que les projets routiers du gouvernement provincial demeurent au point mort, un nombre sans cesse croissant de citoyens et de commerçants accusent les agents percepteurs de mettre les deniers publics dans leurs poches.
Pascal Kakule, 30 ans, vend des matériaux de couture sur une autre route non asphaltée à Goma.
«Je vous prie d’au moins jeter un coup d’œil sur mes fournitures de couture», dit-il. «Elles sont entièrement couvertes de poussière».
Kakule dit qu’il déplacerait son magasin s’il le pouvait, mais il n’en a pas les moyens, car le loyer coûte beaucoup plus cher dans les rares quartiers où les routes sont asphaltées.
Kakule et d’autres commerçants locaux s’inquiètent de la situation économique de la région avec des routes en piteux état. La santé physique reste également un problème car beaucoup de gens disent avoir développé la toux suite à la respiration d’une poussière intense soulevée par des voitures. Mais surtout, ils se disent préoccupés par la suspension des travaux de construction de routes en dépit du versement de leur part d’impôts.
«Les commerçants ici s’acquittent honnêtement de leurs obligations fiscales», explique Kakule. «Les agences de l’État et la Mairie viennent ici pour collecter les impôts. Où va tout l’argent que nous versons? Est-ce que notre argent est empoché par des particuliers? En tout cas, ma réponse à cette question est: je ne saurais y répondre!»
Kafota Mirindi, 30 ans, charretier qui vend des marchandises dans cette même région, s’interroge sur l’arrêt des travaux de construction de routes faute de financement dans une province aussi riche que le Nord-Kivu. Mirindi n’a pas de magasin permanent mais vend ses articles étalés sur une charrette. Il dit qu’il paie également ses taxes à la DGRNK.
«Même les charretiers paient une taxe de 5$ par mois pour remplir leurs caisses», dit-il.
Mirindi dit qu’il gagne seulement 500 francs congolais par jour. Donc, les 5 dollars d’impôt est un fardeau pour lui, pourtant il paie régulièrement.
«Où vont toutes ces taxes et qui les utilise?», se demande-t-il, évoquant des allégations de corruption. «Nous vivons dans des maisons en chaume, tandis que les autorités et les députés vivent dans de belles maisons. Les agents des impôts s’achètent plusieurs parcelles de terre à l’aide de l’argent du contribuable détourné pour un usage personnel. En conséquence, nous sommes en proie aux affres de la souffrance».
À 29 ans, Espoir Tumaini est chauffeur de bus de transport en commun à Goma. Il s’agit d’une autre profession qui nécessite le paiement d’impôts et de frais mensuels qui sont censés être investis dans le développement des infrastructures.
«La seule chose que je demanderais à nos autorités, si je le pouvais, serait de poursuivre la construction des routes», dit-il. «Certains tronçons de routes sont asphaltés; d’autres parties restent non asphaltées. Les nids-de-poule causent des dommages à nos bus, et causent des accidents.»
Tumaini dit qu’il est également un contribuable respectueux de ses obligations.
«Nous sommes en règle avec l’État car, nous chauffeurs, payons régulièrement nos taxes», dit-il. «Je paie les péages routiers au FONER, la taxe routière et tous les autres frais exigés. Je paye également les contrôles techniques de mon véhicule et je souscris une assurance. Où va tout cet argent? Pourquoi ne sert-il pas à continuer et à achever la construction de routes?»
Tumaini affirme que les routes sont devenues si mauvaises que l’on assiste à la baisse du nombre de passagers dans les bus locaux. Ils préfèrent utiliser des motos, car ils peuvent contourner les nids-de-poule et rouler plus rapidement en cas de trafic congestionné.
Emery Malinga, chef de la division des affaires juridiques à la DGRNK, affirme que les allégations de corruption sont dénuées de fondement. Il dit que le pays est en crise financière et que les départements s’efforcent d’utiliser les recettes fiscales à bon escient. À titre d’exemple, il mentionne une nouvelle taxe sur les carburants qui permet à la DGRNK de prélever 16 pour cent par litre de carburant acheté à Goma pour l’affecter à la construction du réseau routier urbain.
Malinga dit que tous les fonds réservés à la construction de routes sont cogérés par la ville.
«Par conséquent, point n’est besoin de recourir à la corruption ou au détournement, car les recettes sont gérées avec la population dans le respect du principe de redistribution des recettes au profit de la population», déclare-t-il.
Pourtant, les routes non asphaltées continuent d’être à l’ origine des conditions précaires.
Mâ-Louise Kyatangala, 33 ans, enceinte et déjà mère de quatre enfants, utilise fréquemment les services de transport en commun. Elle évoque le danger de prendre l’autobus ou d’autres véhicules sur les routes de Goma.
«Je demande aux autorités de penser à nous les femmes», dit-elle. «Quand nous sommes enceintes, le meilleur moyen de transport pour nous c’est le bus, pas la moto. Avec des nids-de-poule devenus un fléau sur nos routes, nous pouvons avorter à cause de violentes secousses une fois à bord d’un véhicule qui passent dans ces nids-de-poule».
Malinga exhorte les habitants à la patience.
«Nous pouvons promettre à la population que la construction de toutes les routes sera terminée un jour».
Adapté à partir de sa version originale en français par Ndayaho Sylvestre, GPJ.