RUTSHURU, RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO – Pas un jour ne passe sans que Francine Kamudogo parcoure à pied 22 kilomètres pour se rendre à la frontière ougandaise.
Selon ses dires, ça vaut le coup d’y aller.
Elle habite à Kiwanja et doit se rendre à Jomba, en RDC, à quelques kilomètres de la frontière ougandaise pour acheter des oignons, des tomates, du piment et d’autres produits, notamment le sel et le jus, car le prix y est deux fois moins cher qu’ailleurs en RDC. Elle achète des marchandises pour les revendre à Kiwanja, le but étant d’en dégager du profit.
Elle ne peut pourtant pas profiter des prix doux si elle n’arrive pas à faire chaque jour un petit arrêt en route vers le marché pour faire affaire avec l’un des dizaines de changeurs de monnaie opérant le long de la route, aidant les gens à se débarrasser de leurs francs congolais contre les shillings ougandais.
« Avec des shillings, les prix sont abordables. Mais quand on vient avec des francs congolais, les prix sont revus à la hausse. Ainsi, le seul moyen d’acheter moins cher est d’échanger le franc congolais contre le shilling », explique Kamudogo.
Les vendeurs préfèrent le shilling car on obtient un bien meilleur taux de change. Aujourd’hui, les 10 000 francs s’échangent contre 23 300 shillings, confirme Saidi Kasongo, président de la Société civile de Kiwanja, une organisation locale qui œuvre en faveur des intérêts des citoyens.
Le seul problème, c’est que l’usage du shilling ougandais dans le territoire de Rutshuru est contre la loi.
En 2014, les autorités de Rutshuru ont annoncé l’interdiction de l’usage du shilling dans les transactions. Et pourtant, on n’a pas fait grand-chose contre les vendeurs ou les commerçants qui recourent à l’usage du shilling.
« Il est donc important pour le peuple congolais de recourir à l’usage du franc congolais », affirme Liberata Rubumba Buratwa, administratrice adjoint chargée des finances pour le territoire de Rutshuru, ajoutant qu’il n’existe aucun mécanisme pour sévir contre ces gens épris du shilling au détriment du franc.
« Au jour d’aujourd’hui, nous ne nous limitons qu’à la sensibilisation des gens à l’importance de recourir à notre propre monnaie, car son usage est l’essence même du patriotisme », confie-t-elle. « La cruelle réalité veut cependant que la circulation continue du shilling ougandais sonne la chute progressive de notre franc ».
Les autorités ont tenté d’adopter diverses stratégies pour freiner l’usage du shilling, allant des publicités à la radio aux pétitions adressées au gouvernement, mais la valeur du shilling ne cesse de booster sa demande.
Eddy Mungere, commerçant local, affirme que le franc reste la monnaie la moins prisée car bien des produits à forte demande comme le savon, la farine et même les matelas sont importés en RDC à partir de l’Ouganda, ce qui fait l’usage du shilling reste pour les clients une astuce pour acheter moins cher.
Selon Kasongo, même les agents de l’État à Kiwanja veulent être payés en shillings de peur des charges liées aux opérations d’échanger leurs salaires en shillings pour se procurer des produits de première nécessité.
« Au vu de cette situation, ces agents de l’État perdent presque la moitié de leurs salaires lorsqu’ils font affaire avec des changeurs de monnaie pour obtenir la monnaie la plus prisée qu’est le shilling ougandais », révèle-t-il.
L’usage du shilling est tellement monnaie courante sur tout le territoire de Rutshuru qu’il s’avère même de plus en plus difficile de trouver des commerçants qui acceptent le franc.
Ntibategera Chenche, chef du quartier Buzito à Kiwanja, s’est rendu à la ville frontalière de Busanza pour assister à un enterrement. Il est allé se coucher avec la faim au ventre, la raison étant qu’aucun restaurant ne pouvait accepter le paiement en francs congolais.
« J’ai beau parcourir presque tous les coins, aucun restaurant ne voulait me donner à manger. Et pour cause, je n’avais que la monnaie congolaise sur moi », explique-t-il.
Adapté à partir de sa version originale en français par Ndayaho Sylvestre, GPJ.