Democratic Republic of Congo

Face à l’escalade des conflits fonciers interethniques, une femme prend l’arme de la médiation pour juguler la violence

Depuis des décennies, le droit aux terres a été à l’origine d’une réalité fascinante entre les groupes ethniques Bafuliiru et Barundi. Et pour cause : l’un s’attribue ce droit, l’autre le lui conteste. Il n’y a pas longtemps, cette querelle a déchaîné une vague de violences parmi lesquelles on retiendra un massacre survenu en 2014, faisant au moins 30 victimes. Face à cette violence, Nabindu Mukungulwa, l’unique femme membre du comité local de médiation, a choisi de se porter bénévole pour régler ces différends fonciers sur des bases équitables dans l’espoir de reléguer aux oubliettes la violence interethnique.

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As Land Disputes Escalate, One Woman Uses Mediation to Quell the Violence

Esther Nsapu, GPJ DRC

Nabindu Mukungulwa est l’unique femme membre d’une équipe de médiation dans le village de Matarule en RDC. Elle s’est forgé une réputation de pouvoir régler des conflits fonciers entre les membres de deux groupes ethniques avant qu’ils ne dégénèrent en violences.

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PLAINE DE LA RUZIZI, RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO — Nabindu Mukungulwa est devenue le symbole de la paix dans une zone devenue le théâtre des affrontements tribaux.

Elle vit dans la plaine de la Ruzizi, à 50 kilomètres au sud de Bukavu, chef-lieu de la province du Sud-Kivu en République démocratique du Congo. On trouve dans cette province les groupes ethniques Bafuliiru et Barundi, et l’hostilité entre ces groupes est souvent à couteaux tirés. Les Bafuliiru considèrent les Barundi, originaires du Burundi voisin, comme des envahisseurs des terres de leurs ancêtres.

Étant, toute sa vie durant, témoin des violences entre les deux groupes et se voyant même obligée de témoigner au tribunal après un massacre d’une brutalité inouïe survenue en 2014, Mukungulwa s’est aujourd’hui érigée en médiateur célèbre dans son village natal de Mutarule. Elle est connue non seulement pour son équité à l’égard de chaque tribu mais aussi pour sa capacité à proposer des solutions réalistes et équitables aux différends fonciers.

Mukungulwa, 40 ans, est veuve et vit de l’agriculture. Déjà mère de six enfants, elle a gagné le respect des populations locales grâce à son courage de se poser en défenseuse de la paix dans cette région complexe. Elle est la seule femme sur les huit membres d’un comité de médiation (à raison de quatre membres par tribu) ayant vocation à régler les conflits fonciers à l’amiable et sans l’intervention de tiers comme ce linge sale qui se lave en famille.

Mukungulwa affirme chérir l’objectif de veiller à que la mort ne fauche plus des vies dans son village à cause des différends fonciers.

«Les conflits fonciers sont devenus très fréquents dans notre village », confie-t-elle. «Ici chez nous, on assiste à plusieurs cas de conflits liés à la délimitation entre deux propriétés ou parcelles. Et c’est cette étincelle qui met le feu aux poudres».

Jusqu’ici cette année, ce groupe de médiation a statué sur 10 différends. De ceux qui étaient impliqués dans ces différends, cinq familles ont bénéficié d’une assistance pour jouir à nouveau du fruit de leurs champs. Et aujourd’hui, deux autres familles labourent de nouveau leurs terres après que le groupe de médiation a, dans sa sentence, conclu à l’occupation illégale de leurs champs par des squatters venus d’autres villages. Et au jour d’aujourd’hui, d’autres différends restent pendants devant les notables ou les sages du village qui sont responsables de la mise en œuvre des recommandations du groupe de médiation.

Mukungulwa affirme trouver de la satisfaction dans leur travail lorsqu’ils parviennent à régler un différend.

«Je ne peux rester les bras croisées alors que des querelles déchirent les gens de mon village», confie-t-elle.

La tribu Bafuliiru est majoritaire dans la plaine de la Ruzizi, déclare Katinda Kaboyi, chef du quartier de Mutarule. Les conflits fonciers entre ces deux groupes ethniques sont vieux de plusieurs décennies. Depuis quelques années cependant, les conflits liés à la délimitation des propriétés ont dégénéré en massacres qui ont fait des victimes innocentes dans les villages.

Mutarule a su attirer l’attention de la région en 2014 quand au moins 30 personnes, dont 10 enfants et un soldat ont été tués dans un conflit foncier. Et certaines estimations parlent même de 38 morts ! Mukungulwa affirme que ce massacre l’a poussée à décider de veiller à ce que les querelles de propriété foncière ne se reproduisent plus jamais.

Dans la plaine de la Ruzizi, comme dans d’autres parties de l’est de la RDC, les conflits fonciers entre différentes communautés surgissent souvent entre les groupes qui prétendent être les premiers venus ou plus autochtones que les autres, s’arrogeant ainsi la suzeraineté sur les terres. Et depuis quelques années, les conflits d’envergure ont également éclaté dans les territoires de Masisi et de Lubero.

Déjà mère de six enfants, elle a gagné le respect des populations locales grâce à son courage de se poser en défenseuse de la paix dans cette région complexe. Elle est la seule femme sur les huit membres d’un comité de médiation (à raison de quatre membres par tribu) ayant vocation à régler les conflits fonciers à l’amiable et sans l’intervention de tiers comme ce linge sale qui se lave en famille.

Les communautés dans toute la région misent tout leur espoir sur des groupes comme celui de Mukungulwa qui jouent un rôle prépondérant dans la médiation des différends fonciers. À défaut de règlement par le groupe, les parties s’en remettent à la justice des tribunaux locaux dénommés «TriPaix», ou «Tribunaux de paix». Toutefois, la procédure applicable par les TriPaix prend bien plus de temps que la médiation, ce qui pousse aujourd’hui les populations à privilégier cette dernière pour régler leurs différends fonciers.

Amani Lushigira, habitant de Mutarule, affirme que la propriété foncière revêt un caractère nettement politique. Pour le règlement équitable de leurs différends fonciers, lui et d’autres membres de sa communauté recourent à l’équité dont fait preuve ce groupe de médiation dont les membres sont issus des deux tribus.

À l’en croire, un ancien chef du groupement, entité politico-administrative coutumière locale composée de nombreux villages, lui a donné un champ de 7 hectares l’année dernière. Mais quand ce chef, qui était de la même tribu que lui, a été révoqué de son poste pour sa mauvaise gestion des terres, le nouveau chef a vite fait de le déposséder de ses terres au profit de l’un de ses voisins. Lushigira dit qu’il avait déjà planté ce champ de manioc.

«C’est là que tout a commencé. Je suis allé plaider mon cas chez les notables du village, mais ce fut peine perdue», précise-t-il.

Mukungulwa est par la suite venue le voir chez lui.

«Quelque 21 jours après, j’ai vu Nabindu venir chez moi et m’a demandé ce qu’elle pouvait faire pour nous aider à nous sortir de cette situation en départageant ces terres équitablement entre moi et le nouvel occupant. Entre-temps, elle est allée voir aussi mon voisin pour lui demander de faire la même chose. Et tu sais quoi? Son seul objectif était de nous amener à comprendre que privilégier plus de dialogue est le seul moyen d’enterrer les conflits et de faire un pas vers l’avant», dit Lushigira.

Après 27 jours de négociation, le voisin de Lushigira a accepté de céder le champ de manioc grâce à la recommandation du comité de médiation selon laquelle les notables devaient, en retour, mettre à sa disposition d’autres terres non occupées.

«J’étais soulagé de reprendre possession de mon champ avant que le problème ne prenne de l’ampleur», confie-t-il, indiquant que le conflit aurait pu devenir violent. «Et tout cela grâce à l’intervention des gens incroyablement courageux comme Nabindu qui a ingénié l’idée de départager ces terres équitablement entre moi et mon voisin, après les efforts des notables du village qui, des années durant, ont accouché d’une souris. Aujourd’hui, les conflits fonciers entre moi et mon voisin sont devenus chose du passé».

Kaboyi, habitant du quartier de Mutarule, affirme que les conflits fonciers sont devenus monnaie courante et que, souvent, ils dégénèrent en violence surtout que bien des populations sont tentées de prendre des armes pour reconquérir leurs champs ou parcelles.

Étant la seule femme siégeant au comité, Mukungulwa se met également à la besogne d’œuvrer en faveur des droits des femmes locales, déclare Kaboyi.

«En janvier 2017, Mukungulwa est arrivée à faire la médiation d’un conflit foncier entre un homme et sa demi-sœur. L’homme ne voulait pas que sa demi-sœur hérite des terres parce que pour lui, un enfant né hors mariage n’a pas le droit d’hériter», dit-il.

Grâce au soutien et aux conseils de Mukungulwa, explique Kaboyi, la jeune femme a repris possession d’une partie de ses terres.

Mukungulwa et les autres membres du comité offrent leurs services de médiation de ces différends  bénévolement.

«Pour moi, je ne fais que  pousser un ouf de soulagement quand je vois deux parties en conflit s’entendre bien et vivre de nouveau en paix sans se déchirer et sans qu’une seule goutte de sang ne soit versée», lâche-t-elle.

Adapté à partir de sa version originale en français par Ndayaho Sylvestre, GPJ.