KIRUMBA, RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO: C’était en décembre 2020. Bosiza Mbusa travaillait dans son champ de manioc à Mwimbya, à environ 150 kilomètres de la frontière rwandaise, lorsque trois jeunes hommes, tous armés, ont surgi. Ils ont forcé ce sexagénaire, père de huit enfants, à les suivre, le giflant et le tirant.
Au bout de plusieurs heures, ils sont arrivés au parc national des Virunga, où ils ont passé les six jours suivants. Meurtri et épuisé, Mbusa buvait de l’eau stagnante et ne mangeait que des patates douces grillées. Dans ces montagnes, il n’avait aucun abri, mais il pleuvait à verse.
« Je vous assure, c‘était grave », avoue Mbusa, penché sur la table de son salon, les mains sur le visage.
Pour sa libération, sa femme a dû s’endetter et vendre pas mal de biens, dont sa parcelle de terrain, pour verser 7 000 dollars de rançon.
« C’était difficile de trouver les 7 000 dollars exigés pour ma libération sous la crise monétaire liée au coronavirus », explique Mbusa, pour qui le pourquoi du sort d’être la proie de ses ravisseurs reste un mystère. « Libéré malade, ma santé reste encore précaire. Je n’ai plus envie de vivre ».
Mbusa est un habitant du territoire de Lubero, au Nord-Kivu dans l’est de la RD Congo. Cela fait plus d’un an depuis le début du coronavirus au Nord-Kivu, mais alors même que les habitants de territoire sontengagés dans la lutte contre la pandémie, ils doivent faire face à une autre crise de santé publique :un fléau de kidnappings, qui a déconcerté les autorités gouvernementales, bouleversé les habitudes du terroir et fauché des dizaines de vies.
« Le plus inquiétant est le kidnapping », rappelle Makombo Musafiri, 40 ans, habitant de la commune de Kirumba, dans le territoire de Lubero. « Il n’y a pas de mesures barrières pour s’en protéger, contrairement au coronavirus ».
Les enlèvements ne sont qu’un des défis auxquels les habitants doivent faire face dans une région où les vols sont monnaie courante et où les communautés sont déchirées par des conflits vieux de plusieurs décennies entre groupes armés.
Human Rights Watch, un groupe de recherche et de plaidoyer basé à New York, rapporte que le Nord-Kivu et le Sud-Kivu voisin ont été parmi les régions les plus violentes du monde entre 2017 et 2019, les groupes armés ayant enlevé plus de 3 300 personnes.
“La population ne sait plus quoi faire”, affirme Georges Katsongo, président de la société civile du territoire de Lubero. Les assaillants semblent être principalement des jeunes chômeurs ou des groupes qui se battent pour des terres ou le pouvoir politique, ajoute-t-il.
Il ne se passe pas un mois sans qu’au moins un kidnapping ne soit signalé dans ce vaste territoire au paysage luxuriant. Souvent, des ravisseurs exigent 500 à 5 000 dollars pour relâcher leurs otages. Il n’est pas rare de voir des ravisseurs zigouiller leurs otages, même après avoir empoché leur fric.
Résultat, les habitants de cette région qui cultivent haricots, maïs et manioc vivent dans la peur, parfois délaissant leurs champs de peur de tomber dans les griffes de ravisseurs. Se démener pour nourrir leurs familles et s’appauvrir encore davantage, tel est le sort des cultivateurs impécunieux.
Voyant que de nombreux kidnappings ont lieu également sur la route nationale numéro 2, qui traverse le sud de Lubero, l’administrateur du territoire a décrété un couvre-feu de 18 heures à 4 heures du matin.
Parallèlement, l’administrateur, Richard Nyembo wa Nyembo, exhorte les habitants à respecter les mesures barrières contre le coronavirus prises par le gouvernement : port du masque en public, maintien de la distanciation sociale, lavage régulier des mains et usage de désinfectants pour les mains.
« Que la population respecte les mesures barrières pour lutter contre le coronavirus et qu’elle patiente, puisque le gouvernement est en train de réfléchir sur comment éradiquer le kidnapping », conseille Kapako Makuke Siwako, député provincial du Nord-Kivu, élu du territoire de Lubero qui compte environ 1,4 million d’habitants.
Depuis l’arrivée du coronavirus au début de l’année 2020, Katsongo dit, le territoire de Lubero n’a enregistré qu’un seul cas de Covid-19, maladie causée par un virus. Mais, à sa connaissance, au moins 27 cas de kidnapping sont survenus l’an dernier. Dans la plupart de ces cas, nombre d’otages sont ciblés.
Avant même la déclaration de la loi martiale dans les provinces orientales du Nord-Kivu et de l’Ituri au début du mois de mai, affirme Katsongo, le rythme des kidnappings commençait à fléchir « mais cela ne signifie pas que les kidnappings ont été éradiqués ».
Dans une enquête informelle qu’il a réalisée auprès des habitants de Lubero, il a constaté que plus de 60 % des personnes interrogées s’inquiètent des kidnappings, dont la plupart surviennent dans le sud de Lubero.
Le cas de Mbusa n’est pas chose inhabituelle. Selon Human Rights Watch (HRW), des groupes armés ont emmené des dizaines d’otages dans le parc national des Virunga, où ils ont « battu, torturé et assassiné des otages, violant les femmes et les filles, qui représentent plus de la moitié d’entre eux, tout en recourant à des menaces pour extorquer de l’argent à leurs familles ».
Aux dires de Kambale Ngwana, 45 ans, le stress causé à la fois par le coronavirus et par son kidnapping a fait monter sa tension artérielle et provoqué des douleurs d’estomac. Il se souvient d’un kidnapping survenu en 2017, lorsqu’un voisin a été enlevé à son domicile par des ravisseurs qui ont exigé une rançon de 3 000 dollars. Après le versement de la rançon, témoigne Ngwana, le corps de son voisin a été retrouvé dans une rivière.
Benjamin Kombi, médecin traitant à un centre de santé de la commune de Kirumba, affirme qu’il exhorte fréquemment ses patients et d’autres personnes à respecter les restrictions imposées par le gouvernement pour freiner le coronavirus. Jusqu’à présent, déclare-t-il, il n’a vu aucun cas de Covid-19 au centre de santé de référence de la Communauté baptiste au centre de l’Afrique, CBCA Kirumba.
Kombi se remémore avoir été lui-même kidnappé en avril 2018. Vers 10 heures du matin, il se trouvait à bord d’un bus lorsque des bandits armés ont tiré sur ces bus, tendu une embuscade à ce même bus et emmené huit passagers vers une destination inconnue. Selon lui, ils y ont passé trois semaines, ligotés, les yeux bandés et faisant l’objet de torture.
Il a été libéré par ses ravisseurs en échange d’une rançon de 4 000 dollars.
Ce kidnapping l’a plongé dans la dépression et l’endettement, mais il a pu s’en sortir grâce à un counseling et à l’aide de son église et de ses proches.
« J’ai constaté que le monde est un mauvais endroit », s’alarme Kombi. « Si je n’ai pas quitté la communauté, c’est parce que j’aime beaucoup aider les gens en tant que médecin ».
Mais il n’emprunte plus la route où le bus a été pris en embuscade.
Merveille Kavira Luneghe est journaliste à Global Press Journal. Elle vit à Kirumba, en République démocratique du Congo. Merveille est spécialiste des reportages sur les migrations et les droits de la personne.
NOTE À PROPOS DE LA TRADUCTION
Traduit par Ndahayo Sylvestre, GPJ.