KISANGANI, RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO — Pendant presque toute sa vie, Jean Matulu, 45 ans, a exercé son métier de breveté en menuiserie et en ébénisterie pour nourrir ses 11 enfants. Un jour, une émission radio s’improvise et il finit par embrasser une nouvelle vie.
Cette émission tirait la sonnette d’alarme sur les conséquences à venir de la déforestation sur les habitants de Kisangani, population ayant fait de la forêt environnante de l’Ituri la composante essentielle de son gagne-pain, y pratiquant des activités allant de la chasse au ramassage du bois pour charbon. Matulu ne se souvient ni de l’animateur de l’émission ni du titre de cette dernière, mais une chose est sûre: le message lui est allé droit au cœur.
« J’ai appris que la population va continuer sa croissance, mais que ce ne sera pas le cas pour la forêt. C’est un problème de taille qui appelle une solution de notre part », annonce Matulu.
L’animateur de l’émission lançait un appel aux auditeurs pour réfléchir à ce qu’ils pourront laisser en héritage à leurs petits-enfants.
Matulu a pris ce message à cœur.
« Depuis lors, je me suis mis à réfléchir à ce que je pouvais faire pour sauver l’avenir de mes petits-enfants », dit-il.
À l’en croire, il a vite fait de faire travailler ses méninges pour trouver une nouvelle façon de fabriquer un brasero, le foyer le plus courant ici. Son ambition était d’introduire un brasero à bois économe ou consommant moins de charbon qui, comme il le savait, avait un effet délétère sur la longévité de la forêt entourant Kisangani, chef-lieu de la province de la Tshopo en RDC.
« Ce sera ma contribution à la protection de notre environnement », fait-il valoir.
Une fois, selon ses propres dires, qu’il a appris le danger imminent de la déforestation, il a commencé à se sentir effaré chaque fois qu’il voyait un camion plein de bois ou de charbon passer dans son village.
« Chaque jour, je vois ces camions et je pense au nombre d’arbres brûlés », dit-il.
Et il en est vraiment ainsi: c’est depuis sa nouvelle passion de sauver la forêt qu’est né son désir de quitter le travail du bois pour le travail du métal.
Assis sur un escarbot dans son atelier sis Boulevard Lumumba, il est entouré de déchets métalliques.
Il porte des lunettes de sécurité pour protéger ses yeux contre les gerbes d’étincelles jaillissant du fruit de sa nouvelle invention: un brasero à piles.
« Je me suis fait une idée sur comment aider mes congénères membres de ma communauté en les introduisant à des techniques de cuisson qui consomment moins de combustibles », lâche-t-il, notant que la plupart des gens de sa région se servent du bois et du charbon comme combustible principal pour la cuisine et le chauffage. « Ici à Kisangani, les ménages ont recours aux braseros ordinaires à forte consommation de braise, ce qui n’est pas sans causer la destruction de nos ressources forestières », renchérit-il.
Selon Matulu, son nouveau projet est parti du mauvais pied car les gens se sont montrés réticents à l’idée de recourir à un nouveau type de brasero vendu par un homme inconnu de force gens au sein de sa communauté.
« Au début, j’ai dû faire du porte-à-porte pour convaincre les gens d’acheter mes braseros », révèle-t-il.
Matulu n’a pas jeté l’éponge et, petit à petit, il a amené les gens à se régaler de ses braseros à piles.
« Grâce à mon projet, je peux nourrir ma famille. Et aujourd’hui, des enseignants et des autorités passent des commandes auprès de moi », raconte-t-il.
Matulu est le seul fabricant de braseros à piles ici. Contrairement à d’autres braseros, le brasero à piles consomme environ un dixième du charbon et peut fonctionner sur de la poussière de charbon, plutôt que sur un gros morceau de charbon, dit-il.
Le charbon est le produit de la combustion incomplète du bois dans un environnement à faible teneur en oxygène et le bois brûle jusqu’à ce qu’il élimine de l’eau, du méthane, du goudron et d’autres matière par combustion. Les morceaux de charbon restants, une fois allumés, dégagent plus d’énergie par gramme que le bois brut.
En RDC, les forêts couvrent 60 pourcent du territoire, selon le Fonds mondial pour la nature.
Dans le bassin du Congo, 700 000 hectares de forêts disparaissent chaque année, soit une perte de 0,3% par an, selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture.
Le bois de chauffage et le charbon sont les deux principaux responsables de cette situation. Ces deux sources de combustible représentent plus de 90 pourcent de la consommation d’énergie dans le pays.
Mata Mosilo, inspecteur forestier à Kisangani, affirme que la survie de la grande majorité des indigènes est totalement tributaire des forêts.
« Les arbres sont souvent brûlés, ce qui cause la perturbation du climat », dit-il. « Dans l’ensemble, nous devrions faire nôtre le principe de planter deux ou plusieurs arbres pour chaque arbre abattu », ajoute-t-il.
D’autres projets novateurs en matière de conservation de la nature sont essentiels pour protéger les forêts en RDC, annonce-t-il.
Matulu fabrique six ou sept braseros à piles par jour. Il affirme avoir vendu 1000 braseros à Kisangani l’année dernière.
Les familles locales ont été nombreuses à acheter mon produit souvent grâce aux économies de coûts.
En moyenne, un sac de charbon coûte 10 dollars et dure deux à quatre semaines en fonction de la fréquence d’utilisation. Avec le recours au brasero à piles, le même sac dure deux à trois mois, dit Matulu.
Son petit brasero coûte 15 dollars. Celui de taille moyenne se vend à 20 dollars contre 25 dollars pour son plus grand brasero qui mesure 50 centimètres de circonférence. Ces braseros fonctionnent sur une pile de taille D qui coûte 500 francs congolais par paire.
Emanuel Amuri, 36 ans, secrétaire dans un collège local, déclare avoir acheté le brasero à piles pour sa femme en vue de réduire leurs dépenses mensuelles. Il a, témoigne-t-il, payé l’équivalent de seulement deux sacs de charbon pour ce brasero.
« Ma femme apprécie ce genre de brasero, elle a même acheté un autre », explique-t-il.
Masini, 30 ans, enseignant, déclare que le nouveau brasero l’aide à faire des économies aussi.
« En outre, je comprends l’impact qu’il va avoir sur notre environnement », ajoute Masini.
En tant que célibataire, Alexis Kabambi a un faible pour ce brasero car, mieux que l’ancien modèle, cette innovation fait que les aliments arrivent à cuire beaucoup plus vite.
« Donc, lorsque j’ai vu ce genre de brasero pour la première fois, je n’en croyais pas mes yeux », révèle-t-il.
Mbili dit que le ministère s’est engagé à aider Matulu à commercialiser son brasero dans les quelque 168 000 foyers de Kisangani.
Adapté à partir de sa version originale en français par Ndayaho Sylvestre, GPJ.