BUTEMBO, RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO — La vente de l’herbe séchée ou du foin par des femmes sur le marché ici n’est peut-être pas quelque chose qui sort de l’ordinaire, mais elle demeure un phénomène nouveau déclenché par l’extrême pauvreté due à la guerre.
Lorsque Kahongolo Kahindo et sa famille ont été contraintes de quitter leur village natal dans la province de l’Ituri suite à la persistance de la violence, elles ont tenté de refaire leur vie à Butembo, une ville dans la province du Nord-Kivu.
Pourtant, l’aide aux personnes déplacées dans le pays reste insuffisante face à la hausse de la demande : la province du Nord-Kivu héberge jusqu’à 25 pourcent des 4,49 millions de déplacés dans le pays. Ainsi, Kahnido affirme avoir dû faire preuve d’imagination pour nourrir sa famille.
« Je suis mariée et mère de sept enfants et mon mari, lui, a toujours été malade », confie-t-elle. « Après avoir constaté que la population locale en avait assez de nous apporter son aide à chaque pas, j’ai pris mon temps pour réfléchir à ce que je pouvais faire ».
Son calcul était simple, confie-t-elle. Nombre d’habitants de Butembo sont des éleveurs. Mais trouver des aliments pour leur bétail peut parfois s’avérer délicat à cause de routes en mauvais état, de voyages peu sûrs, de coûts et d’autres facteurs.
« Et, un jour, mes enfants et moi nous sommes levés très tôt le matin pour aller dans la forêt pour couper de l’herbe », révèle-t-elle. « L’herbe, nous l’avons emmenée en ville et avons fait du porte-à-porte pour demander aux éleveurs s’ils voulaient acheter du foin pour leurs animaux ».
La réponse a été plus favorable qu’elle ne s’y attendait.
« Notre initiative a laissé des éleveurs béats d’admiration, et de plus en plus de gens ont commencé à passer des commandes », relate-t-elle. « Voyant cela, d’autres déplacés de guerre m’ont emboîté le pas, commençant ainsi à vendre du foin ».
La RDC est le pays qui compte le plus de déplacés internes en Afrique. Aujourd’hui, au moins 4,49 millions de personnes, dont 2,7 millions d’enfants, sont déplacées à cause de la violence qui sévit dans différentes provinces du pays. Selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies (OCHA), le nombre de déplacés a considérablement augmenté en 2017, doublant par rapport à l’année précédente.
Selon les données de 2017, soit les données disponibles les plus récentes, près de 50 familles congolaises sont, à chaque heure de chaque jour, contraintes de fuir leurs maisons. La persistance de la violence dans la province de l’Ituri a fait plus de 1,1 million de déplacés dans le Nord-Kivu voisin. La nouvelle vague de déplacés reste imputable à la recrudescence des combats entre groupes armés dans les zones environnantes et à des opérations militaires contre ces groupes, lit-on dans les conclusions du rapport 2017 de l’OCHA.
S’attendre à une aide suffisante de la part du gouvernement local et des ONG n’est rien d’autre que de « bâtir des châteaux en Espagne », déclare Kahindo.
Aujourd’hui, Kahindo aide d’autres femmes déplacées à s’organiser pour vendre du foin sur des marchés, réglementer les prix et attirer plus de clients.
Une motte de foin, suffisante pour nourrir le petit bétail, se vend à 200 francs congolais, et celle pour de gros animaux coûte 500 francs, détaille-t-elle.
À en croire George Mukosa, agronome de la région, des éleveurs comptent sur ce service pour nourrir leurs animaux.
« Il n’y a pas si longtemps, les personnes aisées dans la province du Nord-Kivu en RDC pouvaient, dans leur majorité, élever dans leurs fermes beaucoup d’animaux, y compris des bovins et des chèvres », explique Mukosa. « La situation a tourné au pire lorsque les groupes armés ont commencé à prendre d’assaut leurs fermes. En RDC, les conflits ont infligé de grandes souffrances aux civils, les enfonçant davantage dans la pauvreté ».
Aujourd’hui, plus de 30 femmes travaillant main dans la main pour vendre du foin ont également créé un fonds d’épargne rotatif, appelé likelemba.
« Nous payons chacune 1 000 francs dans le fonds une fois par semaine », déclare Kahindo, ajoutant que les membres peuvent ensuite demander des prêts auprès du groupe avec un plan de remboursement négocié.
« Chacune de nous peut empocher jusqu’à 30 000 francs en espèces quand arrive son tour », précise-t-elle.
Ce groupe informel a transformé le quotidien de ses membres.
Kavira Siwako, femme âgée, déclare qu’elle ne savait plus à quel saint se vouer au lendemain de l’insécurité qui l’a contrainte de quitter son village natal.
« J’ai été obligée de fuir, laissant derrière moi mes terres et ma maison », déplore-t-elle. « Ils sont impitoyables envers tout le monde. Ces [groupes armés] violent des femmes, des jeunes et des personnes âgées. Nous n’avions dès lors d’autre choix que de fuir ».
Aujourd’hui, elle commence à gagner de l’argent.
« Bien que cela ne permette pas de répondre à tous nos besoins, notre nouveau job est un bon coup de main pour nous », déclare Siwako.
Sur leur stand de vente au marché, ces femmes et leurs enfants organisent et vendent du foin pendant la journée. À en croire une jeune fille, aider sa mère est source d’une bonne distraction.
« Pourquoi toutes cette souffrance ? Qu’a-t-on fait pour mériter cela ?» demande Josephine Maskika, fille de l’une de ces tout nouvelles entrepreneures. « Nous ne pouvons pas manger à moins que nos mamans et nous-mêmes ne partions dans la forêt pour couper du foin pour vendre afin de pouvoir survivre ».
Charles Kambasu, chef du village de Butembo, affirme que ces femmes incarnent un brillant exemple d’espoir et d’esprit d’entreprise. Faisant cas de leur innovation, Kambasu annonce avoir ordonné aux percepteurs d’impôts de les exonérer de la taxe d’étalage.
Adapté à partir de sa version originale en swahili par Ndahayo Sylvestre, GPJ.