KISANGANI, RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO — S’il y a un sport auquel Jérémie Ndongala, 47 ans, aimerait assister pour le restant de ses jours, c’est bien le foot. Pour autant qu’il s’en rappelle, il a toujours eu un faible pour ce sport, avoue ce père de trois enfants. Aujourd’hui, sa passion est devenue une source potentielle de revenus.
Aux premières lueurs du jour, des fans de foot se précipitent vers des boutiques de paris partout à Kisangani, chef-lieu de la province de la Tshopo en RDC, nourrissant l’espoir de gagner du fric. Et parmi les premiers à arriver à cette boutique de paris du quartier figure Ndongala.
« Moi, je reste sans emploi, et le pari-foot est devenu automatiquement mon travail de tous les jours », déclare-t-il. « Je quitte chaque matin pour rentrer dans l’après-midi ».
« Pari-foot », argot local qui désigne le pari sur des matchs de foot, est une pratique devenue monnaie courante, tout en restant l’unique moyen de subsistance pour certains citadins. De l’avis des autres, par contre, il s’agit d’une malédiction, car il leur fait perdre de l’argent au profit de leurs rivaux. Le nombre de parieurs sportifs étant en hausse dans cette partie du pays, les organisations civiles et les autorités étudient ensemble les moyens de mieux réglementer les boutiques de paris et d’aider les fans de foot à parier de manière responsable.
En 2012, les paris réglementés représentaient 58 milliards de dollars sur un total de 430 milliards de dollars de profits bruts à l’échelle mondiale, affirme l’Association européenne des jeux et paris en ligne. Les paris non réglementés continuent à augmenter. Les experts affirment que, outre les paris hippiques, les paris sur le foot représentent entre 70 et 85 pourcent des paris non réglementés dans le monde.
Selon PricewaterhouseCoopers, une société financière, le marché des paris au Nigeria, au Kenya et en Afrique du Sud devrait représenter près de 37 milliards de dollars cette année. Dans d’autres pays africains, le pari représente également une industrie en croissance grâce à d’importants investissements étrangers. Pourtant, en RDC, les profits bruts des paris ont toujours été faibles: en 2006, ils représentaient moins de 1 pourcent du produit intérieur brut du pays.
Aux dires des experts locaux, des lois régissant l’industrie du jeu mollement appliquées, le chômage et la popularité du foot ont pourtant favorisé une croissance du pari-foot dans ce pays d’Afrique centrale.
On trouve en RDC des fans de foot zélés qui sont des supporteurs des équipes locales et internationales. L’équipe nationale de football masculin, les Léopards, est pointée à la 38ème position dans le classement mondial des équipes masculines de la FIFA, et certains des footballeurs les plus célèbres viennent de la RDC.
On estime que 56 pourcent de la population urbaine de la RDC est sous-employée, tandis que 43 pourcent de la population active est au chômage, lit-on dans un rapport du Fonds monétaire international publié en 2015. À Kisangani, rares sont les opportunités d’emploi formel. Ainsi, force gens se tournent vers de petits boulots pour survivre ou vers le pari aussi souvent que possible.
Pour être admis aux jeux de hasard, le parieur doit être âgé d’au moins 18 ans, mais la participation des mineurs au pari sportif est monnaie courante ici, et il est rare que les coupables – parieurs et propriétaires de boutiques de paris – subissent la rigueur de la loi, confie Matheus Kanga, président des jeunes de la Société civile de la Tshopo.
« Des mineurs sont en train de détruire leur mémoire avec le pari et n’ont plus le temps de bien étudier », prévient-il.
Avec 44 boutiques de paris agréées partout dans la ville, il faut aux fans de foot un minimum de 500 francs congolais pour parier sur leurs équipes favorites. Selon Pierre Kitoko Lombo, chargé de taxes et impôts dans la ville, les propriétaires des boutiques de paris ou bookmakers, comptent jusqu’à 115 parieurs par jour, ce qui fait de leur boulot l’un des business les plus juteux de la ville.
Les profits financiers ont été à l’origine de la réglementation inefficace des paris, dit Kanga. Des propriétaires des boutiques de paris ouvrent leurs portes aux mineurs, déplore-t-il. Cette pratique courante est aussi une manne pour l’économie locale, car les propriétaires sont soumis à une taxe mensuelle de 75 dollars, soit 118 000 francs congolais, explique Lombo.
Plus la cote est élevée, plus on peut gagner de l’argent. Ces parieurs peuvent gagner jusqu’à 500 000 francs. Jonathan Mbeli, 14 ans, participe aux paris depuis 2015, espérant gagner une fraction de ce montant, dit-il.
« Quand je voyais mes frères ainés partir jouer aux paris, je les suivais par derrière pour voir comment ils devaient parier sur le foot », raconte-t-il. « Et un jour, j’ai demandé à ma mère de me donner 500 francs pour aller parier sur le foot ».
Aron Basileki, étudiant à l’Université de Kisangani, est parieur lui aussi. Âgé de 22 ans, ce joueur n’a jamais placé un pari gagnant, mais, confie-t-il, il passe la plupart de son temps libre dans une boutique de paris dans son quartier.
« Quand je n’ai pas cours et n’ai rien à faire à la maison, je suis obligé d’aller passer mon temps dans une boutique de pari-foot », glisse-t-il.
Comme bien d’autres, Ndongala compte sur ses proches pour rester fidèle à sa routine quotidienne. Souvent, il se sert de l’argent que sa femme tire des ventes sur le marché.
« Le jeu de pari-foot est une opportunité énorme pour moi car il me permettra de devenir riche un jour », assure-t-il.
« Je ne peux jamais laisser le pari parce que je joue avec l’espoir de gagner un jour », ajoute-t-il.
Selon Blandine Ekongo, mère de sept enfants, l’habitude régulière de parier qu’a développée son mari a rongé leurs économies.
« Mon mari ne peut plus payer les études de nos enfants, ni pourvoir aux besoins de la famille », confie-t-elle.
Certains parieurs sont devenus accrocs aux paris au grand dam des autres, mais des lois plus rigoureuses du gouvernement provincial peuvent sonner le glas de cette pratique, assure Kanga.
Bernadette Furaha Amelima, ministre provinciale de la Santé publique, Enseignement, Affaires sociales, Genre, Famille et Enfant, a déclaré que limiter les paris à quelques saisons footballistiques plutôt que de les laisser se dérouler à longueur d’année, est l’un des moyens qui, selon les autorités, permettra de limiter les paris en série.
Quelle que soit leur contribution à l’économie locale, les propriétaires de boutiques de paris sont tenus d’observer la loi, ajoute-t-elle.
Quant à Ekongo, pourtant, rien ne peut amener les parieurs comme son mari à se défaire de leur routine.
« Il nous a toujours dit de le laisser d’abord parier sur le foot pour qu’il gagne un jour beaucoup d’argent, mais il n’a jamais gagné ».
Adapté à partir de sa version originale en français par Ndahayo Sylvestre, GPJ.