Democratic Republic of Congo

Les petits ramasseurs de métaux de la RDC se débrouillent tous seuls

À Kisangani, un nombre croissant d’enfants prennent le risque d’être stigmatisés, blessés ou arrêtés dans l’espoir d’avoir un revenu.

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DRC’s Underage Metal Collectors Fend for Themselves

Françoise Mbuyi Mutombo, GPJ RDC

Avant de se rendre à l’école, Eric consacre une bonne partie de sa matinée à ramasser des débris métalliques qu’il vend pour payer ses frais de scolarité. « J’ai besoin de continuer mes études ; je n’ai personne pour me prendre en charge », affirme-t-il.

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KISANGANI, RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO : Eric Mboso n’a pas eu le choix que de vite devenir adulte. Il a emménagé chez sa tante trois ans plus tôt, après le décès de ses parents. Elle lui a offert un toit, ni plus ni moins. Eric, 14 ans, devait se débrouiller pour payer ses frais de scolarité.

« Je me suis décidé à passer dans les parcelles pour ramasser les métaux dans les ordures pour vendre », affirme-t-il.

Tous les matins avant l’école, Eric prend trois ou quatre heures à ramasser et à vendre des débris métalliques dans des garages connus sous le nom de « maisons d’achat ». Il va ensuite à l’école. Selon lui, l’alternative qui consiste à mendier ou à voler est pire que cela.

Il appartient aux centaines d’enfants et de jeunes adolescents de la ville de Kisangani qui, chaque jour, passent des heures à parcourir les quartiers et les rues à la recherche de barres de fer, de vieilles pièces de voitures et de motos, et d’autres déchets métalliques hors usage, parfois avec la complicité de leurs parents, au péril de leur santé et de leur liberté en quête d’une source de revenus.

« Souvent lorsque j’entre dans les parcelles pour chercher ces métaux, les propriétaires des maisons me traitent d’un voleur, ils crient sur moi également, ils peuvent me suivre avec des battons pour me frapper, et je n’ai pas le choix », explique Eric, qui est fils unique.

Quelque 22 % des enfants de la République démocratique du Congo exercent des activités économiques ou des tâches ménagères au-delà du seuil horaire propre à leur âge, ou travaillent dans des conditions à risque, indique une enquête réalisée en 2018 par le Fonds des Nations unies pour l’enfance et l’Institut national de la Statistique de la RDC. Dans la province de la Tshopo, qui a pour chef-lieu Kisangani, ce chiffre est encore plus élevé, soit 31 %. Ladite enquête révèle que 22 % des enfants de la province de la Tshopo travaillent dans des conditions à risque, comparativement à 13 % à l’échelle nationale.

Fidèle Muya, le président du tribunal pour mineurs de Kisangani, affirme que les enfants comme Eric vendent des déchets métalliques par nécessité.

« C’est vraiment regrettable pour certains parents qui laissent leurs enfants faire ce commerce qui est un danger pour eux pendant cet exercice », déclare Muya, ajoutant que les propriétaires battent souvent les enfants surpris en train d’effectuer des fouilles sur leurs terres.

Dans certains cas, lorsque les habitants surprennent les enfants en train de ramasser des déchets métalliques dans des propriétés privées, ils les conduisent aux autorités. Le tribunal pour enfants traite en moyenne une quinzaine de cas de ce type par mois, mais ces chiffres ont récemment augmenté, indique Muya.

Bien que la loi de la RDC sur le travail des enfants interdise strictement le travail des enfants, certains parents l’acceptent encore en raison de leur situation économique, déclare Bernadette Furaha, ministre du Genre, de la Famille et de l’Enfant de la province de la Tshopo.

Le ministère s’efforce néanmoins de remédier à cette situation.

« Mon mari ne travaille pas, ni moi-même. Il n’y a que notre petit garçon qui vend ces métaux pour nous amener quelque chose qui va nous aider à trouver à manger ».une parente

« Nous avons lancé une campagne pour sensibiliser les enfants dans les écoles, les églises et les quartiers pour démontrer comment les enfants mineurs doivent être protégés, ce qui n’est pas du tout facile pour nous », explique Bernadette Furaha.

Jeanne Kavira sait que la loi interdit le travail des enfants, mais elle encourage quand même son fils de 11 ans, Exaucé Mumbere, à exercer ce travail pour faire vivre la famille. Jeanne Kavira estime qu’il est difficile de trouver un emploi puisque le taux de chômage du pays est de 5,4 %.

« Mon mari ne travaille pas, ni moi-même. Il n’y a que notre petit garçon qui vend ces métaux pour nous amener quelque chose qui va nous aider à trouver à manger », explique-t-elle.

Il est rare de voir des adultes faire ce genre de travail, déclare Kavira. Il n’est « pas du tout normal » qu’un adulte s’introduise dans la propriété d’autrui pour ramasser des débris métalliques, ajoute-t-elle. De plus, c’est perçu comme un travail de bas niveau que seuls les enfants peuvent effectuer.

« Comment je peux interdire à mon enfant ce commerce qui nous aide chaque jour ?», interroge-t-elle.

Exaucé ne va pas à l’école. Le matin, il quitte la maison et rassemble les déchets métalliques pendant au moins sept heures. Quelquefois, il gagne environ 10 000 francs congolais (5 dollars américains) par jour, ce qui l’aide à subvenir aux besoins de ses parents, de ses deux jeunes frères et de sa sœur. Il y a des jours où il gagne moins que cela, ou à peine s’il ramasse quelque chose à vendre.

Depuis cinq ans, la maison d’achat d’Augustin Kakoto vend des débris métalliques à des acheteurs en Ouganda. Il n’ignore pas que la loi interdit le travail des enfants, mais personne ne l’a empêché de faire affaire avec eux, sans compter qu’il doit aussi subvenir aux besoins de sa propre famille.

« Tant que je ne vois pas la justice ou les gens m’interpeller pour mon travail, je vais continuer sans peur. Et ces enfants qui m’amènent ces métaux ramassés, eux aussi, de leur côté, se sentent bien grâce à cette pratique », déclare Kakoto.

Selon lui, il y a un avantage à cette pratique, car les enfants peuvent au moins gagner de l’argent.

Kakoto affirme payer entre 150 et 200 francs (jusqu’à 10 centimes) pour un kilogramme de métal.

À ce prix, il faut des heures pour collecter suffisamment de débris pour générer un revenu. « Chaque fin du mois, je dois payer à l’école 10 000 francs congolais [environ 5 $] comme prime, alors qu’un kilogramme, je vends à 200 francs congolais, je dois vraiment ramasser tant de métaux », explique Eric.

Selon Muya, le président du tribunal pour enfants de Kisangani, tout parent dont l’enfant mineur est surpris en train de collecter et de vendre des débris métalliques doit payer une amende d’environ 300 $. Mais étant donné les difficultés économiques du pays, certains parents, comme Kavira, dépendent des revenus de leurs enfants.

« Moi, je m’en fous de la loi qui interdit », lance Kavira, avant de s’interroger en ces termes : « Comment moi je vais vivre si mon garçon restait dans la maison sans rien faire ? »

Françoise Mbuyi Mutombo est journaliste à Global Press Journal en poste à Kisangani, en République démocratique du Congo.

Nicole Neroulias Gupte a participé à la réalisation de cet article.


NOTE À PROPOS DE LA TRADUCTION

Traduit par Christelle Yota, GPJ.

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