Democratic Republic of Congo

La dernière usine de textile de la RDC est au bord du gouffre

Les produits importés à bas prix et les entraves douanières sont responsables de la quasi-disparition d'une industrie autrefois florissante.

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Country’s Last Textile Factory Hangs by a Thread

Zita Amwanga, GPJ RDC

Une boutique de pagnes importés à Kisangani, République démocratique du Congo

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KISANGANI, RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO — D’immenses entrepôts blancs longent la rivière Tshopo sur ce site au paysage verdoyant de la banlieue de Kisangani, sous le chant des oiseaux. Ici se trouve la Société textile de Kisangani en abrégé Sotexki, la seule usine textile qui subsiste en RDC. À l’intérieur, les machines sont au point mort, et seuls les murmures de quelques ouvriers brisent le silence.

Et pourtant, l’industrie cotonnière de la RDC a connu des jours meilleurs. En 1918, les autorités belges ont introduit la culture du coton à des fins expérimentales ; sa production a atteint son apogée en 1959 et est demeurée l’une des plus importantes du secteur agricole du Zaïre d’antan jusque dans les années 80, au cours desquelles 10 000 ouvriers travaillaient dans 10 usines textiles. Inaugurée en 1974, la Sotexki a été pendant des décennies la principale entreprise de la région, célèbre pour ses motifs de pagnes emblématiques.

Au lendemain des multiples guerres des années 90, toutes les usines de fabrication de pagnes de la RDC, à l’exception de la Sotexki, ont fermé. La seule qui a survécu est en passe de rejoindre ses consœurs disparues. La raison étant, selon la direction de l’usine, que la précarité des infrastructures routières, la rareté des investissements, le manque de soutien des pouvoirs publics et la concurrence de la Chine et de l’Inde ont contraint l’usine à mettre pratiquement fin à sa production en 2020.

La fermeture de la Sotexki sonnerait le glas d’une industrie qui était autrefois une source de fierté nationale, et la fin de l’époque où une part importante du coton consommé en RDC était entièrement locale, des graines aux vêtements.

« Nul n’ignore la faible production de cette usine. Plusieurs facteurs concourent à l’état des choses, parmi lesquels les machines en lambeaux », affirme Glombert Loko, directeur de la Sotexki. En 2016, Loko a été embauché pour redresser la Sotexki, quoiqu’avec une fraction seulement de sa capacité initiale. En effet, contrairement à ses 2 500 employés dans les années 70, elle a redémarré avec 500 employés, et n’utilisera que 261 000 mètres carrés (2,8 millions de pieds carrés) sur une capacité installée de 1,5 million de mètres carrés (16,1 millions de pieds carrés). Depuis 2020, la Sotexki a utilisé à peine plus de 65 000 mètres carrés (700 000 pieds carrés).

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Zita Amwanga, GPJ RDC

Entrepôt de la Société textile de Kisangani, dernière usine textile de la République démocratique du Congo. Les problèmes liés à l'approvisionnement et aux infrastructures, ajoutés à la concurrence des produits importés, ont contraint l'usine à mettre pratiquement fin à sa production.

Même si un décret du ministère des Finances de mars 2020 l’a exemptée des redevances d’importation sur les nouveaux équipements et les pièces de rechange, la direction de l’usine affirme que la Direction générale des douanes et accises, l’autorité douanière, refuse de s’y conformer. En conséquence, la Sotexki a intenté une action en justice contre la DGDA auprès du Conseil d’État, la plus haute juridiction de l’ordre administratif qui, selon la direction de l’usine, a statué en sa faveur le 16 septembre 2021. Pourtant, poursuit Loko, la DGDA a refusé de se conformer au décret et 10 nouvelles machines sont encore bloquées au niveau de la douane. Plus encore, la DGDA est restée silencieuse face aux multiples demandes d’avis.

Par ailleurs, Médard Adipenza, chef de production de la Sotexki, employé de l’usine depuis plus de 20 ans a déclaré : « Nous avons connus quelques difficultés en termes de matières premières dont le coton et le colorant lors des différentes guerres, mais la Sotexki a relancé ses activités, aujourd’hui, rien ne marche. »

Malgré la baisse abrupte des rendements de la production cotonnière après l’indépendance en 1960, sans doute liée à la cessation de la culture obligatoire imposée par les autorités belges, l’industrie a repris du poil de la bête au cours de la décennie qui a suivi. Toutefois, les guerres des années 90 lui ont porté un coup dur, entraînant la fermeture de nombreuses usines et la désintégration des réseaux de distribution. La Sotexki a elle-même enregistré 1,64 million de dollars de pertes lors d’une confrontation entre les forces ougandaises et rwandaises en 1999. Les quelques agriculteurs restants, répartis dans la province voisine de l’Ituri, préfèrent vendre leurs récoltes de l’autre côté de la frontière, à savoir en Ouganda, indique Adipenza, précisant que les routes en direction de ce pays sont en bien meilleur état que celles qui mènent à Kisangani.

« Nul n'ignore la faible production de cette usine. Plusieurs facteurs concourent à l'état des choses, parmi lesquels les machines en lambeaux ».

À cause de la crise que traverse la Sotexki, Grison Amisi, 64 ans, l’un de ses 500 employés, est au bord du chômage. « Je viens ici chaque jour, il me faut traverser deux communes pour atteindre l’usine et lorsque j’arrive, c’est pour marquer ma présence et rester jusqu’au soir sans rien faire, toujours en vue de garder le poste. »

En plus de craindre de ne pas pouvoir subvenir aux besoins de sa famille, Amisi se lamente sur la possible perte d’une partie du patrimoine culturel de la RDC. Autrefois, les femmes des quatre coins du pays portaient les imprimés à la cire de la Sotexki. Aujourd’hui, la plupart d’entre elles utilisent des pagnes importés.

« Nos pagnes produits localement coûtent trop cher », déclare Safalani Kiyana, une habitante de Kisangani âgée de 46 ans. Elle explique qu’un seul pagne local coûte environ 40 000 francs congolais (20 $), contre seulement 20 000 francs (10 $) pour les pagnes en provenance d’Asie.

De son côté, Loko n’hésite pas à démentir les allégations selon lesquelles les pagnes asiatiques seraient de meilleure qualité. Il affirme « Une production de qualité n’est pas l’unique problème que connaît la Sotexki, » expliquant qu’ « outre le manque des matières premières, cette usine a besoin d’une modernisation qui nécessite un grand investissement, puisque l’usine est gigantesque. »

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En novembre 2021, Jean de la Lune Okito, directeur provincial de la Fédération des entreprises du Congo, une association privée regroupant des entreprises, a invité les hommes d’affaires, les politiciens, les leaders de la société civile et d’autres citoyens notables de Kisangani à prendre un petit-déjeuner et à effectuer une visite guidée au sein de l’usine.

Citons, entre autres invités, le gouverneur de la province de la Tshopo, Maurice Abibu Sakapela, qui a promis d’apporter son soutien. « Je ne voudrais pas que la Sotexki ferme ses portes, car c’est une entreprise de grande valeur pour la Tshopo », avait-il déclaré à l’époque.

Okito admet tout de même que l’aide des particuliers à elle seule n’est pas suffisante pour assurer la survie de la Sotexki. À cet effet, il affirme : « La relance des activités de production demanderait de même la réhabilitation des usines d’engrenage, il faut des investissements importants, qu’il semble difficile d’atteindre les investisseurs privés sans une forte subvention de la part du gouvernement. »

L’année dernière également, le député national Faustin Toengao Lokundo avait promis d’enrôler les élus de la Tshopo pour la relance de l’entreprise. Il a déclaré : « Je déplore la mauvaise foi de certains compatriotes qui ne s’inquiètent pas, alors que la société est en train de souffrir et de chuter, les machines sont abimées pour rien. »

Jusqu’ici, aucune de ces promesses n’a été suivie d’une aide matérielle en faveur de la Sotexki. En l’absence d’une intervention décisive, les pagnes emblématiques de la RDC ne seront plus que des reliques de musée et des notes de bas de page dans les livres d’histoire.

Zita Amwanga est journaliste à Global Press Journal et vit à Kisangani, en RDC.


NOTE À PROPOS DE LA TRADUCTION

Traduit par Christelle Yota, GPJ.