Democratic Republic of Congo

RD Congo : une principale source de nourriture sous la menace d’un virus

Souvent, quand la présence de la striure brune du manioc est confirmée, il est trop tard, et les récoltes ne peuvent être sauvées. Les agriculteurs, eux, sont en proie à l’inquiétude : une solution à ce fléau, elle aussi, arrivera-t-elle trop tard ?

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DRC’s Key Food Source Is Under Threat — From a Virus

ZITA AMWANGA, GPJ RDC

Rodrigue Katuwene examine un plant de manioc dans son champ à Kisangani, en République démocratique du Congo

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KISANGANI, RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO : Après avoir cultivé du manioc sur ses 2 hectares de terre pendant huit ans, Asha Sabiti a fini par conclure qu’il s’agissait d’un mauvais investissement. Sabiti, à l’instar de nombreux agriculteurs des environs à Kisangani– une ville du nord de la RD Congo –pouvait voir la culture du manioc s’ériger en déception année après année. Fini le temps des tonnes métriques. Enregistrer une production annuelle de récoltes pouvant atteindre des kilos, ce n’était même pas possible pour Sabiti. En 2018, elle a fini par se reconvertir dans la culture du riz, une décision qui – selon elle –était la meilleure solution à choisir pour la survie de sa famille.

Il n’y a pas si longtemps, les vendeurs sur le marché central des légumes de Kisangani où des agriculteurs comme Sabiti vendent leurs récoltes pouvaient remplir les rangées de leurs étals et leurs rayons de manioc. Ce tubercule riche en amidon, qui ressemble à une patate douce mais dont la chair est entourée d’une peau plus épaisse, se consomme ici sous plusieurs formes, surtout sous forme de fufu (farine fermentée) et de chikwangue (pain traditionnel composé de galettes de farine de manioc enveloppées dans des feuilles de bananier sèches).

D’ailleurs, le manioc reste l’aliment de base du régime alimentaire des Congolais. Cette culture est la clef de voûte de la sécurité alimentaire et s’érige en source de revenus pour les petits exploitants agricoles en Afrique centrale, en particulier en RD Congo.

Mais aujourd’hui, on est en proie à une grave pénurie de manioc, ce qui est entièrement attribuable à la striure brune du manioc (CBSD en anglais, pour Cassava Brown Streak Disease). Kisangani est, à cause de cette maladie, catapulté dans un état de crise, et les experts sont inquiets quant au fait que le manioc risque, en l’absence de mesures immédiates, de subir le sort de disparaître de la RD Congo.

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ZITA AMWANGA, GPJ RDC

Rodrigue Katuwene montre les effets de la maladie de la striure brune sur ses cultures de manioc à Kisangani, en République démocratique du Congo. Malgré le faible rendement, Katuwene ne veut pas renoncer à la culture du manioc.

L’idéal serait de produire 45 tonnes métriques de manioc sur un hectare de terre, explique Monde Godefroid, professeur à l’Institut facultaire des Sciences agronomiques de Yangambi en RD Congo. Mais à cause de la CBSD, affirme-t-il, la production a chuté de plus de 80 % pour atteindre un niveau de 7 tonnes métriques.

La CBSD se rue sur le manioc une fois les racines parvenues à la maturité physiologique, si bien que seule la récolte des racines permet aux agriculteurs de pouvoir évaluer l’étendue des dégâts. Les cultures victimes de la CBSD, tout comme celles attaquées par la mosaïque africaine du manioc, ne présentent que des signes extérieurs subtils, au nombre desquels des tiges à l’état rabougri et des feuilles virant au jaune. Signe de la CBSD qui ne trompe pas : couleur chocolat qui s’infiltre dans le tubercule, mais dont la présence n’est détectée qu’une fois que le tubercule est récolté et coupé en deux. Avec, en corollaire, 100% de perte de récoltes que l’on peut déplorer à cause de la CBSD, et ce, contrairement à la mosaïque africaine du manioc qui laisse subsister une chance de sauver une partie des récoltes, explique Godefroid.

Il a fallu attendre 2012 pour que l’on observe pour la première fois les symptômes foliaires évocateurs de la CBSD dans certaines parties de la RD Congo, mais ce n’est qu’en 2019 que son existence sera officiellement déclarée à Kisangani, révèle Godefroid.

« Ce virus est bien plus mortel que la mosaïque africaine du manioc, et si nous ne prenons pas de mesures immédiates, je crains que le manioc ne risque de disparaître de la RDC », prévient-il.

« Ce virus est bien plus mortel que la mosaïque africaine du manioc, et si nous ne prenons pas de mesures immédiates, je crains que le manioc ne risque de disparaître de la RDC ».

Le manioc devenant une denrée rare sur le marché, son prix a augmenté. Un panier de manioc dont le prix variait entre 6 000 et 7 000 francs congolais en 2018 se vend aujourd’hui à 20 000 francs. Ceux qui en ont les moyens déboursent n’importe quel coût imposé par le marché. Toutefois, pour d’autres, l’achat du manioc demeure un luxe, et– comme l’affirme Didy Onautchu, chercheur à la Faculté des sciences de l’Université de Kisangani– ils se tournent plutôt vers des options plus abordables telles que le riz, les bananes, les pommes de terre et les ignames.

Carol Musuamba, femme de ménage, affirme que le manioc est le seul aliment qu’elle pouvait manger dans son enfance. Et maintenant que le marché regorge aujourd’hui de mauvais produits proposés à des prix aussi élevés, elle ne sait que faire. « J’ai huit enfants, mais compte tenu de la hausse du prix de la farine de manioc, ils n’arrivent plus à manger à leur faim ».

De par sa haute teneur en glucides sous forme d’amidon, le manioc a un pouvoir très rassasiant et fournit beaucoup d’énergie, explique Dominique Sekuma, nutritionniste. En outre, la capacité de la plante à donner des récoltes même dans des conditions climatiques défavorables et sur des sols pauvres, et le fait qu’elle peut se stocker facilement pendant de longues périodes, en font une culture idéale pour la sécurité alimentaire.

Le besoin en logement est à l'origine d'une crise alimentaire dans la région CLIQUEZ POUR LIRE L'ARTICLE

Rodrigue Katuwene, agriculteur, cultive le manioc sur ses 4 hectares de terre depuis maintenant une décennie. Et malgré la baisse des rendements enregistrée depuis 2018, il ne renonce pas à cette culture dans l’espoir que la situation changera à mesure qu’il expérimente différentes variétés.

À en croire les agriculteurs comme Katuwene, ils attendent l’aide du gouvernement. Et pourtant, selon Godefroid, le gouvernement ne prend pas le problème au sérieux. En tant que membre de l’Épidémiologie virale d’Afrique centrale et occidentale (Wave), programme international de recherche qui vise à assurer la sécurité alimentaire en Afrique, Godefroid a élaboré un plan de risques pour montrer que le manioc risque, en l’absence d’efforts requis d’urgence de la part du gouvernement, de subir le sort de disparaître de la région d’ici 2025. Le plan a été présenté au ministère de l’Agriculture en 2020, mais jusqu’à présent, affirme Godefroid, aucun membre du gouvernement s’est montré intéressé par lui. Godefroid envisage de lancer en mars une campagne de sensibilisation à grande échelle pour informer les agriculteurs des dangers de la CBSD et des précautions qu’ils pourraient prendre.

Au cours des 30 dernières années, la RD Congo a introduit avec succès des variétés de manioc présentant différents types de résistance génétique. Cependant, les maladies évoluent au fil du temps pour livrer bataille contre ces qualités de résistance, ce qui nécessite une approche plus proactive pour faire face à la persistance de cette crise.

François Bondele, agronome à la Division de l’inspection provinciale de l’agriculture du Service national de vulgarisation, organe du gouvernement central qui encadre les agriculteurs, affirme que l’Institut international d’agriculture tropicale (IITA) et le Service national des semences « travaillent à bloquer la maladie en mettant à disposition de nouvelles semences qui seront capables de faire face à la maladie ». Il souligne toutefois que le gouvernement n’a pas pu faire grand-chose en raison des contraintes budgétaires. Les agriculteurs comme Sabiti et Katuwene sont finalement obligés à se débrouiller seuls.

Zita Amwanga est journaliste à Global Press Journal et vit à Kisangani, en RDC.


NOTE À PROPOS DE LA TRADUCTION

Traduit par Ndahayo Sylvestre, GPJ.

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