
Janviere Uwimana, GPJ Rwanda
Chaque jour, plus de 45 000 personnes traversent la frontière entre le Rwanda et la RDC, malgré un conflit de longue date entre les deux pays. Un accord de paix signé vendredi à Washington promet de mettre fin aux violences dans l’est de la RDC. Mais sur le terrain, la population locale reste sceptique.
LUBERO, RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO — Dans le cadre d’un accord de paix historique signé vendredi, les dirigeants de la RDC et du Rwanda se sont engagés à mettre un terme à une guerre qui dure depuis des années, principalement dans les provinces du Nord-Kivu et du Sud-Kivu, le long de la frontière orientale de la RDC.
Mais les habitants de la région estiment que cet accord ne garantit en rien la fin des violences. Beaucoup redoutent au contraire que ce soit encore le peuple congolais qui en paie le prix, l’accord facilitant notamment l’accès des États-Unis et d’investisseurs étrangers aux immenses ressources minières du pays. La RDC figure parmi les principaux producteurs mondiaux de cobalt, de cuivre et de coltan — des ressources stratégiques pour l’industrie technologique et la transition énergétique.
« La RDC reste perdante », déclare Espoir Kitambala, analyste politique et enseignant à l’Institut Supérieur Pédagogique de Kirumba. « L’intégrité du territoire reste en jeu. »
L’accord exige également que la RDC et le Rwanda cessent tout soutien aux groupes armés non étatiques. Mais sur le terrain, de nombreux Congolais doutent que le M23 — groupe armé appuyé par le Rwanda — se retire des zones qu’il occupe, notamment à Goma, capitale du Nord-Kivu, et à Bukavu, capitale du Sud-Kivu. Le M23 a pris le contrôle de ces villes respectivement en janvier et février. Le groupe est tenu pour responsable d’atrocités généralisées dans les deux provinces, ayant entraîné le déplacement de plus de 1,2 million de personnes et causé des milliers de morts rien que cette année. Il a même établi des administrations parallèles et mis en place ses propres autorités locales. Entre-temps, la situation humanitaire continue de se détériorer : les assassinats se multiplient, les violations des droits humains se banalisent, et les pillages deviennent quotidiens. La région figure parmi les plus violentes du monde. Depuis 1996, environ six millions de personnes ont péri dans différents conflits armés.

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Global Press Journal couvre depuis plus d’une décennie le conflit dans l’est de la RDC. Pour en savoir plus, lisez notre article précédent.
Lire« Nous appelons les signataires de cet accord à respecter leurs engagements. Sinon, la paix restera un vœu pieux dans la région des Grands Lacs », déclare Muhindo Tafuteni, acteur de la société civile dans le territoire de Lubero, au nord de Goma.
Mais d’autres estiment que la paix n’est déjà plus qu’un mirage. Thanks Kahindo, 27 ans, étudiante, rapporte que des membres du M23 sont venus dans son église après la signature de l’accord, appelant à l’unité et à rejeter le tribalisme.
« Leur discours montre clairement qu’ils ne comptent pas partir », dit-elle.
L’accord mentionne des négociations en cours à Doha, au Qatar, entre la RDC, l’AFC et le M23. (L’AFC est l’Alliance du fleuve Congo, un autre groupe armé ; le M23, lui, est le Mouvement du 23 mars.) Aucun calendrier ni détail précis sur ces discussions n’a encore été communiqué au public.
Une coalition de 80 organisations congolaises, baptisée Mobilisation pour la sauvegarde de la souveraineté et de l’autonomie congolaises, a vivement critiqué l’accord, le qualifiant de « contrat commercial entre puissances, habillé en traité de paix pour mieux le vendre à la communauté internationale. »
L’accord n’a pas été conclu de manière démocratique, a déclaré la coalition dans un communiqué adressé au Global Press Journal. « Il a été promu, négocié et signé de manière verticale, par des politiciens préoccupés uniquement par leur pouvoir et leur fortune », peut-on lire dans la déclaration.
Quelques lueurs d’espoir, mais le scepticisme est généralisé
Malgré un scepticisme généralisé, certains Congolais continuent d’espérer.
Kabuyaya Matayo, 80 ans, se souvient encore des événements tragiques du 29 juin 2024, lorsque le M23 a envahi Kirumba, à une centaine de kilomètres au nord de Goma. C’était quelques mois avant que le M23 ne prenne Goma et Bukavu. Les violences se sont alors intensifiées : des civils ont été tués de sang-froid dans les rues, une scène déjà vécue à maintes reprises au fil des décennies.
Aujourd’hui, Matayo ne quitte plus sa radio, avide de la moindre nouvelle.
« Quand j’ai entendu parler de cet accord à la radio, j’ai pensé que la paix allait enfin revenir », affirme-t-il. « Puisque l’Amérique est impliquée, si ce n’est pas de l’hypocrisie, les résultats devraient être concluants. Nous avons déjà trop souffert. Nous voulons la paix. »
Kavira Kihundu partage ce sentiment, tout en soulignant que la paix ne se résume pas à la signature d’un texte. La seule vraie preuve de réussite, ce sera la fin réelle des violences, affirme-t-elle.
« Nous voulons que les soldats rwandais quittent nos terres. Si cela se réalise, alors nous remercierons le président américain », affirme-t-elle.
Mais Mumbere Malolero, 71 ans, qui a connu des décennies de conflits impliquant de nombreux groupes armés — souvent soutenus eux aussi par le Rwanda —, est moins optimiste.
« Le M23 dira simplement que cet accord ne le concerne pas », estime-t-il.
Salomon Kakule Kaniki, porte-parole du Cercle international pour la défense des droits de l’homme, de la paix et de l’environnement, fait également partie des sceptiques.
« L’accord ne dit pas un mot sur les exactions commises par le Rwanda : pillages, viols, assassinats de civils… » affirme-t-il.
L’analyste politique Kitambala estime que l’accord n’aurait de valeur réelle que s’il prévoyait également des mesures concrètes : réorganisation de l’armée, lutte contre la corruption, programme d’intégration économique…
Mais ce sont surtout les dispositions relatives aux droits miniers qui inquiètent les Congolais. « C’est un scandale », dénonce Kasereka Ndamasani, 36 ans, agriculteur, exprimant l’indignation de beaucoup.
Depuis des générations, les habitants de la région n’ont jamais eu le moindre accès aux bénéfices tirés des ressources de leurs terres.
« Nous, les gens ordinaires, ne voyons aucun avantage de ces minerais. Ce que nous voulons, c’est la paix », conclut Ndamasani.
Pendant ce temps, les troupes du M23 continuent de patrouiller.
« Rien n’indique que ce groupe armé compte se retirer », déclare Kahambu Mulavi, une habitante de Kirumba.
Le groupe a toujours promis d’aller jusqu’à Kinshasa, la capitale située à l’extrême ouest du pays, affirme-t-elle. « Je croirai en cet accord quand je verrai les troupes partir. »