KISANGANI, RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO — Il est environ 7 heures du matin et l’air froid fait rage à Mangobo, une commune de la ville de Kisangani. Il y a deux mois qu’Angèle Mafuta Bahati, femme de ménage âgée de 38 ans, accouchait de son sixième enfant.
Son bébé, une fille, est venu au monde avant terme, nécessitant ainsi des soins spécialisés. Et plutôt que d’être dans un hôpital, le bébé reste à la maison avec Mafuta Bahati.
« Je n’avais aucune idée de ce que je pouvais faire pour la protéger », avoue Mafuta Bahati. « Comme je n’avais pas beaucoup d’argent pour la laisser au chaud dans une couveuse, j’ai décidé de rentrer avec elle chez nous à la maison ».
Seulement deux hôpitaux, sur un total de 25 hôpitaux que compte Kisangani, sont équipés de couveuses alors que cette ville compte près d’un million d’habitants. Le recours aux couveuses exige des factures médicales élevées que nombre de parents ne peuvent pas assumer.
Ainsi, plusieurs bébés prématurés, à l’instar de celui de Mafuta Bahati, se retrouvent à la maison où leurs mères tentent de les tenir au chaud en les gardant dans des chambres sans courants d’air et chauffées au feu.
« Tous les matins, j’allume le feu dans un brasero dans ma chambre à côté du lit de mon bébé pour que la chaleur du feu puisse lui donner la chance de survie », raconte Mafuta Bahati. « Je le fais chaque matin et chaque soir tout en surveillant de près pour que le bébé ne soit brûlé ».
À Kisangani, les naissances prématurées constituent un grave problème, notamment en raison de la pénurie de couveuses dans les hôpitaux de la ville.
Les deux seuls hôpitaux dotés de couveuses sont les Cliniques universitaires et l’hôpital du Cinquantenaire. Selon Franci Baelongandi, médecin chef de la division provinciale de la santé, il existe huit couveuses dans les Cliniques contre six à l’hôpital public. Même si les parents peuvent se rendre dans ces établissements, les coûts de prise en charge des bébés prématurés sont toujours prohibitifs.
Aux dires de Patrick Ilunga, pédiatre à l’hôpital du Cinquantenaire, les parents peuvent, pour garder un bébé dans une couveuse, débourser une somme forfaitaire de 200 dollars ou un montant de 10 dollars par jour.
Le financement du gouvernement national en faveur des hôpitaux de la ville reste insuffisant, affirme Franci Baelongandi, médecin chef de la division provinciale de la santé de la province de la Tshopo.
Les chances de survie des bébés prématurés sont de plus en plus réduites à néant, explique Baelongandi. En 2016, 12% des bébés prématurés sont décédés, mais ce taux est passé à 18% en 2017. Aujourd’hui, 27% de tous les bébés prématurés dans la ville décèdent, déclare-t-il.
Selon Jean Lucien Abedi, pédiatre à Kisangani, aucune donnée n’existe pour confirmer si le nombre de bébés prématurés est aujourd’hui plus élevé que par le passé, mais l’accès aux produits pharmaceutiques pourrait contribuer au problème actuel. Il n’est pas rare qu’une femme enceinte se procure des médicaments auprès d’une pharmacie locale en cas d’un quelconque malaise, sans toutefois réaliser leurs effets éventuels sur sa grossesse, déplore-t-il.
À en croire Ilunga, les efforts de se faire des couveuses à la maison en cas de prématurité engendrent de nouveaux problèmes.
Le feu allumé pour produire la chaleur peut provoquer l’étouffement des bébés ou causer de la fièvre chez ces derniers, prévient-il. De plus, ajoute-t-il, si ces bébés ont besoin de chaleur, il leur faut également un air pur non pollué par la fumée ou les polluants.
Quoique les données disponibles au niveau de la ville soient incomplètes, les données recueillies dans les hôpitaux en 2018 font état de 194 bébés prématurés entre février et décembre, déclare Antoine Bombele Asonga, chargé du bureau provincial des statistiques de la santé de la Tshopo.
En dépit des risques, certaines mères affirment ne pas avoir d’autre choix que d’essayer d’assurer la prise en charge de leurs bébés vulnérables à la maison.
Bénédicte, fille de Bibiche Azoko Milembo, est née avant terme en décembre à l’Hôpital général de référence Makiso-Kisangani. Cet hôpital n’ayant pas de couveuse, elle a été transférée à l’hôpital du Cinquantenaire. Pourtant, sa mère était incapable de payer pour la garder dans une couveuse.
« J’ai préféré rentrer à la maison avec mon bébé pour lui sauver la vie moi-même », précise-t-elle.
Selon Azoko Milembo, elle allume le feu chaque matin à 6 heures et chaque soir à 18 heures.
« Mon enfant a été sauvée », lâche-t-elle.
Adapté à partir de sa version originale en français par Ndahayo Sylvestre, GPJ.