KISANGANI, RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO — Sophie Akambo prépare cette spécialité locale qu’est le pondu quatre fois par semaine. À en croire cette mère de cinq enfants, ce ragoût à base de feuilles de manioc, de poisson séché et d’huile de palme est un repas rapide à préparer qu’elle avait l’habitude de concocter pour sa famille plus fréquemment qu’elle ne le fait aujourd’hui.
L’huile de palme reste un composant clé du régime alimentaire congolais. Pourtant, l’accès de certaines familles à cet ingrédient de base que l’on trouve également dans le savon de bain et d’autres produits de soins personnels n’est pas chose facile. Parmi elles figure Akambo.
Le prix de l’huile de palme est à la hausse sur des marchés à Kisangani, chef-lieu de la province de la Tshopo dans le nord-est de la RDC et plaque tournante importante du commerce qui compte environ un million d’habitants. Aux dires d’Akambo, peu d’options s’offrent à elle pour nourrir sa famille.
« Je dois débourser 800 francs congolais pour une bouteille d’huile de palme », précise-t-elle. Cette même bouteille d’un demi-litre, renchérit-elle, ne se vendait qu’à 200 francs en octobre.
Le secteur de l’huile de palme à Kisangani est à la croisée des chemins : la production est en baisse alors que la demande reste en hausse parmi ceux qui font la cuisine à la maison et les fabricants de savons. Aussi des habitants affirment-ils que les bouteilles d’huile sont plus chères qu’elles ne l’ont été depuis des années. De l’avis de certains, les effets se révèlent dévastateurs.
Selon les projections des experts, le marché mondial de l’huile de palme dépassera 85 millions de tonnes d’ici à 2024. Au cours des cinq prochaines années, plus de 54 millions d’hectares de terres en Afrique de l’Ouest et centrale seront peut-être convertis en plantations de palmiers pour répondre à cette demande.
Selon la Banque mondiale, l’agriculture emploie plus de 80 pourcent de la population active de la RDC. Alors que certaines parmi les plus grandes plantations de palmiers du pays sont entre les mains des sociétés internationales, les petits agriculteurs contribuent largement à l’approvisionnement de la population en huile de palme.
Le fruit du palmier ou la noix de palme est une culture très rentable. Non seulement le palmier se cultive à peu de frais, ses rendements sont élevés. Selon Moabi RDC, une initiative indépendante de suivi de l’utilisation des ressources naturelles dans ce pays d’Afrique centrale, les trois quarts des terres de la RDC sont propres à la culture de palmiers. Mais on assiste à une faible productivité chez certains petits exploitants agricoles en raison des années de conflit et de l’absence d’appui de la part du gouvernement.
La production d’huile de palme en RDC est tombée de 224 000 tonnes en 1961 à 187 000 en 2011. Malgré cette baisse, la demande intérieure reste élevée. Une famille congolaise de cinq personnes consomme 100 grammes d’huile de palme par jour, estime Fews Net, le Réseau des systèmes d’alerte précoce contre la famine.
Kisangani produit environ 3 500 bidons d’huile de palme de 208 litres chacun tous les trois mois, explique Nicola Assani, chef de bureau de la division provinciale de l’agriculture. Selon Pierre Balombo, ingénieur agronome, près de 75 pourcent de la production d’huile se vendent à des fabricants de savons locaux alors que les autres 25 pourcent finissent dans des cuisines.
Alfred Yangele Loma, analyste économique auprès du gouvernement provincial, affirme que la province de la Tshopo compte six grandes usines de fabrication de savons dont chacune se sert de l’huile de palme comme matière première. Aussi de nombreuses petites entreprises fabriquent-elles du savon.
Moise Lifoli Kasongo, fabricant de savons, a démarré son entreprise en 2015.
« Je fabrique des savons locaux, appelés Tobobi, avec l’huile de palme », révèle-t-il. Kasongo utilise 450 litres d’huile de palme pour fabriquer 120 sachets de savon contenant chacun 12 barres de savon, et ce, toutes les deux semaines. D’après ses dires, il vend une barre de savon à 350 francs et ses produits s’écoulent vite.
Selon Kasongo, les grandes usines produisent jusqu’à 2 000 barres de savon par jour.
Pour Loma, l’industrie du savon a contribué à la hausse des prix de l’huile de palme à Kisangani ces dernières années.
« Sans doute, une bonne partie de l’huile de palme finira dans ces usines et le peu de quantité restante se vendra d’office très cher », explique Loma.
Le prix moyen d’un litre d’huile de palme dans le pays a augmenté de 28 pourcent entre septembre et octobre, lit-on dans un rapport publié en 2016 par la Cellule d’analyses des indicateurs de développement (CAID). Et pour s’acheter un seul litre, nombreux sont ceux qui payaient plus de 1 000 francs.
Julie Mbelo Asumani vend l’huile de palme sur le marché central de Kisangani depuis 16 ans. Aujourd’hui, Asumani vend plus cher qu’elle ne le pouvait au début de son business. Elle a été contrainte de hausser les prix en réponse aux prix élevés demandés par son fournisseur local, précise-t-elle.
« En 2015, un autre vendeur et moi-même avons constaté que l’huile affichait des prix de plus en plus élevés », explique Asumani. « C’est ainsi que nous nous sommes rendu compte que les fabricants de savons avaient déjà réservé le stock ».
Aux dires de Maguy Lombeya, elle paie quatre fois plus qu’il y a un an pour un demi-litre d’huile de palme. Il en est de même pour Akambo qui doit payer 800 francs aujourd’hui. Selon elle, le nouveau prix a pour conséquence l’impossibilité pour elle de concocter des repas nutritifs prisés par ses enfants.
Même avec ses revenus, Angele Lisimo, vendeuse au marché et mère de trois enfants, se dit incapable de s’acheter l’huile de palme.
« Les prix de l’huile de palme ont fortement augmenté, ce qui est un problème pour nous qui l’utilisons tous les jours pour préparer la nourriture », déplore Lisimo.
Albert Mundeke utilise toujours de l’huile de palme dans sa maison, mais il reproche aux fabricants de savons locaux d’être à l’origine de la hausse des prix.
« La fabrication du savon n’est pas une mauvaise chose en soi, mais il faut d’abord privilégier toujours la santé alimentaire des gens », déclare Mundeke. « Seulement, lorsque la plus grande partie de la production d’huile de palme est affectée à la fabrication du savon, nos familles souffrent, car la plupart de nos repas se réparent avec l’huile de palme ».
Adapté à partir de sa version originale en français par Ndahayo Sylvestre, GPJ.