GOMA, RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO : Le secteur du cacao dans cette partie orientale de la RD Congo avait quasiment disparu lorsqu’Alexis Kalinda Salumu décida de tenter de voler à son secours.
Des années de conflit armé avaient contraint des agriculteurs à abandonner leurs champs et pratiquement dévasté la production dans sa région natale de Walikale, une région forestière riche en sol profond et fertile. Toutefois, un environnement plus paisible a, ces dernières années, donné à Salumu l’espoir de pouvoir porter secours à ce secteur et de produire des produits de la RD Congo prisés sur le marché tant local qu’international.
En 2019, Salumu a monté son entreprise de transformation connue sous le nom de Chocolaterie Lowa et installée dans une petite maison blanche remplie de petites bouchées et truffes au chocolat noir, de barres de chocolat douces-amères et de beurre de cacao onctueux extrait des noix à l’aide d’une machine fabriquée localement que l’on voit non loin de là.
En janvier, il semblait être plus proche que jamais de son objectif d’exportation, lorsque les États-Unis venaient de réintégrer la RD Congo sur la liste des pays bénéficiaires des dispositions commerciales spéciales, connues sous le nom d’African Growth and Opportunity Act (Agoa). Cet accord, en place depuis deux décennies, permet à des pays d’Afrique subsaharienne d’accéder au marché américain en franchise de droits à condition de satisfaire certains critères en matière de droits de l’homme et de libéralisation du marché. Ainsi, la RD Congo est réinscrite sur une liste sur laquelle figurent le Kenya, l’Afrique du Sud et plus de 30 autres nations susceptibles de bénéficier de l’exportation de produits tels que le cuivre et le cobalt.
Mais l’optimisme de différents entrepreneurs comme Salumu se retrouve refroidi par l’insuffisance des infrastructures en RD Congo à laquelle s’ajoute une panoplie d’obstacles logistiques, révélant les complexités d’un accord que les deux pays avait vite fait d’annoncer.
« Dire que les entreprises locales en bénéficieront serait un mensonge », fait savoir Asumani Aboubakar, professeur de sciences politiques à l’Université libre des pays des Grands Lacs à Goma, une ville de l’est de la RD Congo. « Pour pouvoir exporter vers un pays puissant comme les États-Unis, il faut une production de qualité. Or, la RD Congo ne dispose pas d’usines de transformation qualifiées ».
Pour rappel, cet accord – ayant vu le jour en 2000 sous l’administration de l’ancien président américain Bill Clinton – a pour objet, non seulement la promotion du commerce et des investissements américains, mais aussi l’encouragement des réformes démocratiques. Plus de 1 800 produits, allant du café aux métaux précieux, y sont éligibles.
C’est en 2003 que la RD Congo fut éligible et a, en 2008, atteint un record de 5,1 milliards de dollars d’exportations vers les États-Unis. Mais, en 2011 – et ce, sous l’ancien président Joseph Kabila– le pays fut exclu du programme par l’ancien président américain Barack Obama. Motif : accusations d’enfreintes aux droits de l’homme.
Des combats entre groupes armés, surtout dans la région orientale du pays lorsque Kabila tenait les rênes du pays, ont provoqué le déplacement de plus de 5 millions de personnes. En 2013, les exportations vers les États-Unis étaient tombées à 75,6 millions de dollars.
En 2019, l’élection de Félix-Antoine Tshisekedi à la magistrature suprême, premier transfert pacifique du pouvoir, fut une nouvelle occasion pour les États-Unis. Tshisekedi a marqué une transition par la libération de prisonniers politiques, la création d’une agence de lutte contre la corruption, la promesse de la gratuité de l’enseignement primaire et secondaire dans les écoles publiques et en dénonçant des violations des droits de l’homme dans l’est de la RD Congo.
Cet accord « est une reconnaissance de l’engagement du Président Tshisekedi à apporter le changement que le peuple congolais désire et mérite, ce qui inclut la lutte contre la corruption, la protection des droits de l’homme, la promotion de la sécurité et de la paix ainsi que la création d’opportunités économiques », a déclaré Mike Hammer, ambassadeur des États-Unis en RD Congo, dans une annonce faite en décembre sur le rétablissement de l’éligibilité de la RD Congo.
Selon l’administration de Tshisekedi, la réintégration parmi les bénéficiaires est une aubaine pour le pays.
« Cette opportunité permettra un équilibre économique à l’intérieur du pays », assure Simon Kanduki, conseiller chargé de l’économie et du portefeuille de la province du Nord-Kivu, dans laquelle se trouve Goma. « Il y aura la possibilité d’exporter des produits congolais et de bénéficier de plus ou moins 230 millions de consommateurs ».
Ce ne sera pas une sinécure pour des entrepreneurs comme Salumu, chocolatier. Pour monter une usine de transformation devant lui permettre de produire des quantités suffisantes pour l’exportation, il a besoin d’une chose : un prêt. Ce qui est chose impossible, car il n’y a pas de banques agricoles. Et quand bien même un prêt serait disponible, l’état de délabrement des routes rend difficile le transport de marchandises.
L’accès au prêt est un problème qui persiste dans un pays où le revenu mensuel moyen a atteint environ 75 000 francs congolais en 2016 comme l’a indiqué l’Institut national de la statistique lors de sa dernière enquête auprès des ménages.
La RD Congo a toujours eu du mal à tirer profit des accords commerciaux en raison du mauvais état de ses infrastructures, de la rigueur des règles d’origine et de la précarité d’un environnement des affaires, lit-on dans un rapport du Fonds monétaire international publié en 2008.
Toutefois, certains pays africains ont su mettre à profit cet accord commercial. Le Nigeria, l’un des principaux exportateurs, en profite pour faire des exportations pétrolières pour des millions de dollars, selon le Centre de droit commercial pour l’Afrique australe (Tralac), une organisation basée en Afrique du Sud qui s’intéresse au commerce en Afrique. L’Afrique du Sud, elle, en a fait son terreau de prospérité de par ses exportations dans le secteur extractif comme dans le secteur manufacturier. Étant lui aussi un grand exportateur, le Kenya se penche sur l’habillement.
Cela stimule différents entrepreneurs ambitieux de la RD Congo, notamment ceux engagés dans le secteur du cacao.
Marie Paul Bambaga, représentante de l’Initiative des Femmes (congolaises) dans le café et cacao, un groupe de femmes engagées dans le secteur du cacao, affirme que l’exportation de produits tels que les barres de chocolat vers les États-Unis changerait la situation économique des producteurs de cacao. Mais pour avoir la main heureuse, ces entrepreneurs ont besoin de formation et d’investissements.
« Nous avons besoin d’usines de pointe capables de fabriquer des produits qui sont conformes aux normes internationales » ainsi que de mettre l’accent sur le développement des compétences, confie-t-elle.
Le gouvernement reconnaît ce besoin mais y voit une opportunité pour le secteur privé plutôt que pour l’État. « Nous appelons les investisseurs à soutenir les entrepreneurs locaux afin que ces derniers puissent avoir la capacité de fabriquer des produits répondant aux normes exigées par le marché international », déclare M. Kanduki, conseiller économique.
Rosy Kalinda est prête à faire valoir ses produits. Gérante de Chocolaterie Lowa, elle passe ses matinées à pétrir la pâte pour faire des barres chocolatées. L’odeur acidulée de la vanille et du cacao emplit la pièce, parfois agrémentée d’une infusion de piment ou de gingembre. C’est ce genre d’odeur qui pousse tout le monde à tendre la main vers des barres de chocolat sur la table.
Kalinda avait du mal à comprendre pourquoi ses voisins consommaient du chocolat importé alors qu’elle pouvait regarder par sa fenêtre et voir des rangées de cacaoyers. Son idée aujourd’hui, aller bien au-delà des frontières de sa communauté.
« Voir nos produits vendus aux États-Unis serait un rêve devenu réalité », avoue-t-elle. « Je suis sûre que nos chocolats battraient le record si nous avions la chance de les vendre sur le marché international ».
Noella Nyirabihogo est journaliste à Global Press Journal en poste à Goma, en République démocratique du Congo. Elle est spécialiste des reportages sur la paix et la sécurité.
Note à propos de la traduction
Traduit par Ndahayo Sylvestre, GPJ.