KIRUMBA, RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO – Quand une feuille de bananier flotte sur une petite hampe en bois, c’est signe de quelque chose.
Étant signe annonciateur d’un bar clandestin à la congolaise, elle véhicule un message: le kasiksi est en vente ici.
Aujourd’hui, ça fait huit ans que Vivuka Mumbere, 35 ans, vend du kasiksi, liqueur obtenue à base de bananes écrasées puis fermentées, dans sa maisonnette. Sa fierté est de créer un environnement de sérénité et de camaraderie pour plus de 40 clients qui fréquentent son bar chaque jour.
De la musique reposante et locale en kinande, langue bantoue parlée par l’ethnie Nande en RDC, voilà ce qui emplit la petite buvette. Pour ses clients, l’heure est aux bals, aux bavardages et aux rires comme si enfin les groupes armés responsables des enlèvements et des tueries s’étaient volatilisés dans la nature pour de bon.
Pour les habitants de cette région en proie à la violence, le kasiksi offre des moments attachants pour noyer leur infortune et se mettre à l’abri de la douloureuse réalité de l’insécurité devenue leur lot quotidien, confie Mumbere, ajoutant que le kasiksi, saveur locale ayant le vent en poupe, est devenue symbole de paix, de possibilité et de lien à Kirumba.
« Il y a bien longtemps, nos ancêtres reconnaissaient l’importance du kasiksi dans notre société », se rappelle Mumbere. « Notre bière de banane artisanale offre aux membres de notre communauté l’occasion de faire la fête ensemble. Je me suis vite rendu compte du besoin d’en faire un succès commercial ».
L’année dernière, c’était le boom de son business. À l’en croire, il vendait jusqu’à quatre jerrycans de kasiksi chaque jour. Mais l’âge d’or s’est éclipsé avec l’apparition de la souche invasive qu’est le wilt bactérien qui a décimé environ 75 pourcent des bananiers dans la région.
Le wilt bactérien est attribuable à la bactérie Xanthomonas campestris qui envahit les fleurs du bananier. Avec la propagation de la maladie dans toute la région, les brasseurs, vendeurs et clients locaux de cette bière locale sont hantés par la peur de perdre cette boisson spéciale qui est devenue symbole de paix et d’unité ici, soulignent-ils. À l’unisson, ils en appellent aux agronomes locaux de trouver de nouveaux moyens de parer à ce mal baptisé « Ebola du bananier », en raison du flétrissement et de la liquéfaction des bananes infectées.
Entre autres symptômes du wilt bactérien, figurent le flétrissement de feuilles, le dessèchement du bourgeon mâle, le murissement prématuré du fruit et l’émission de liquide jaunâtre.
Les cultures de bananes sont attaquées sauvagement, déclare Justin Kasereka Maneno Kanyabana, agronome au Programme d’Assistance aux Pygmées en RD Congo (PAP-RDC), une organisation œuvrant à l’appui des pygmées qui vivent dans les régions de cultures de bananes.
Kanyabana affirme que le wilt bactérien s’est déclaré pour la première fois dans la région en 2002 et s’est répandu dans une grande partie de la région. Aussi cette maladie est-elle courante en Ouganda.
« La maladie a atteint un niveau record en 2016 », révèle-t-il. « Le wilt bactérien ne faiblit pas surtout à cause de l’utilisation d’outils tranchants qui ne sont pas nettoyés après avoir coupé des plantes infectées ».
Ainsi donc, au moins 75 pourcent des cultures de bananes ont été infectées, explique-t-il.
Aux dires de Matabishi Kavugho, producteur de bananes dans la région, la maladie bactérienne est une véritable catastrophe.
« Cette maladie, nous l’avons surnommée – maladie à virus Ebola – car elle est très contagieuse et d’une impitoyable désolation, pour le plus grand malheur de nos bananes », dit-il. « Nous ne savons que faire pour trouver une issue à cette impasse. Et nous attendons que quelqu’un vole à notre secours ».
En l’absence de plants de bananier sains, la culture de kasiksi, cette marque de bière qui est utilisée en tout et partout – des rassemblements dans les quartiers aux rites d’intronisation de chefs coutumiers, reste exposée au péril. De l’avis des habitants, le bananier sert à de nombreuses autres fins, notamment de par l’utilisation de ses lanières séchées dans la construction des toits et de ses feuilles en lieu et place de matelas, ce bien rare dans la région.
Makasi Kasereka, enseignant au secondaire dans la région, affirme que les bananiers en général, et le kasiksi en particulier, revêtent une profonde signification pour la communauté.
« Aucun chef de village ne peut être intronisé en l’absence de kasiksi, et il en va de même pour les festivités du mariage », précise-t-il. « Dans toute nos fêtes, le kasiksi reste d’une importance capitale, car il est l’emblème même de notre culture et de nos valeurs ».
Même lamentations chez Kalumbi Paluku, un autre enseignant dans la région. Selon lui, les effets dévastateurs du wilt bactérien constituent un danger pour la culture.
« Je crains que la disparition de kasiksi n’aboutisse au dépérissement de notre solidarité, sonnant le glas pour nous tous », s’alarme-t-il, en référence à la violence qui reste endémique dans le pays, mais beaucoup moins ici.
Œuvrant au sein du PAP-DRC, Kanyabana affirme qu’ils se battent pour déraciner les bananiers infectés et les remplacer par d’autres variétés résistantes au wilt bactérien.
De retour au bar, Mumbere affirme espérer que les agriculteurs apprennent à combattre et enrayer la propagation de la maladie.
« Si l’on n’y prend pas garde, les vendeurs de la bière kasiksi vont fermer leurs buvettes pour de bon, ce qui entraînera inévitablement la perte totale de notre identité culturelle », avertit-il.
Adapté à partir de sa version originale en français par Ndayaho Sylvestre, GPJ.