Democratic Republic of Congo

Autrefois leur passe-temps pendant la pandémie, il leur est pourtant interdit par la loi

En RD Congo, on voit des adolescents affluer vers des salles de jeux populaires pour parier sur le foot, et un tel engouement suscite l’inquiétude des autorités scolaires et des parents.

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KISANGANI, RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO :Debout au comptoir d’une salle de jeux de son quartier, Christian Lisungi regarde un match de foot sur un écran de télé, attendant son tour arriver pour parier. Son âge est de 15 ans.

Avant la fermeture des écoles en RDCongo au mois de décembre pour cause de coronavirus, jamais il n’avait parié sur le foot, pratique devenue un passe-temps connu sous le nom de « pari-foot », en argot local.

« Je n’ai rien à faire à la maison », précisait l’adolescent de grande et mince taille lorsque les élèves ne pouvaient toujours pas faire leur retour à l’école. Durant cette période, il passait des journées entières à jouer au pari-foot.

Quelques semaines avant la réouverture des écoles en RDCongo fin février, son père, Rodolphe Lisungi, a déclaré : « Je crains que même s’il y a la réouverture des écoles qu’il puisse encore retourner à l’école, parce qu’il est [si] emporté par ce jeu qu’il oublie même parfois de manger ».

Pari-foot–nom d’une société de jeux qui s’est transformé en un terme générique pour désigner des paris defoot –est interdit aux mineurs, mais des milliers d’enfants continuent d’y jouer. Et, comme si cela ne suffisait pas, ceux qui gèrent ces salles de jeux ne se sentent pas obligés de respecter la loi. Alors que les écoles ont rouvert leurs portes aujourd’hui, les parents et les éducateurs craignent que la passion pour le pari-foot n’empêche le retour à l’école de pas mal d’enfants.

« Nous constatons l’absence de certains enfants dans des écoles depuis la réouverture des écoles », confie Grégoire Kandolo, inspecteur de l’enseignement de la province de la Tshopo, où se trouve Kisangani. « Ils sont appuyés sur les comptoirs des salles de jeux de pari-foot ».

Ces dernières années, la popularité du pari-foot en RDC a explosé. En RD Congo, le football (connu sous le nom de soccer dans certains pays) reste le sport le plus populaire du pays, et les parieurs font des paris sur des matchs nationaux et internationaux. Certains quartiers de Kisangani ont attiré pas moins de 10 salles de jeux.

Des téléviseurs tapissent les murs des salles de jeux du pari-foot. Des cris de parieurs regardant des matchs en direct, pariant sur des rencontres, se font entendre dans ces salles de jeux colorées et bondées.

Il n’est pas rare de voir ces parieurs, dont la plupart de jeunes hommes adultes, affluer dans ces salles dès l’ouverture et y rester toute la journée.

« Il est [si] emporté par ce jeu qu’il oublie même parfois de manger ».

Mais aujourd’hui, des joueurs beaucoup plus jeunes se joignent à eux.

Une loi en vigueur depuis 2011 à Kisangani –à environ 2 324 kilomètres au nord-est de Kinshasa – capitale de la RD Congo, interdit la participation des mineurs à ce genre de jeux. Si un enfant est surpris en train de parier, la police émet un mandat d’arrêt contre ses parents, qui font l’objet d’une amende de 100 000 francs congolais.

« Malgré que cette mesure prise ne soit pas facile pour l’appliquer, mais nous nous forçons, car ce jeu de pari-foot les explose »pendant le confinement, déclare Jean-Louis Alaso, maire de Kisangani, alors que les écoles étaient encore fermées.

Selon lui, la ville n’a pas les moyens financiers de faire appliquer la loi.

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Matthieu Kanga, l’un des acteurs de la société civile de la province de la Tshopo, accuse les autorités elles-mêmes de ne pas prendre la loi au sérieux. « Si réellement il existait des mesures strictes pour respecter la loi qui interdit à tout mineur de jouer aux jeux qui ne sont pas adaptés à leur âge », se lamente-t-il, « nous ne pourrions pas voir le succès de tous ces guichets de pari-foot ».

Si les gestionnaires de salle de pari-foot laissent des enfants parier sur le foot, ils risquent six mois de prison et une amende de 500 dollars. Certains gestionnairesexploitent leurs salles de jeux en secret, tandis que d’autres piétinent publiquement la loi.

Avant la pandémie, Trésor Lombo, gestionnaire d’une salle de jeux, pouvait probablement recevoir cinq enfants par jour. Depuis la pandémie, les autorités de la RD Congo ont fermé les écoles à deux reprises pendant des mois d’affilée. Et quand les écoles ferment, glisse Lombo, sa salle de jeux attire environ 20 enfants par jour.

« Des enfants viennent jouer seuls », affirme Lombo. « Nous, nous sommes là pour gagner de l’argent grâce à nos activités ».

À en croire Christian, le gestionnaire de la salle de jeux qu’il fréquente le voit tous les jours mais ne lui demande jamais de quitter les lieux. Tant qu’il a de l’argent, révèle Christian, le gestionnaire le laisse jouer.

Selon Kandolo, l’inspecteur de l’éducation de la province de la Tshopo, a déclaré que les éducateurs avaient les mains liées pendant la fermeture des écoles. « Nous ne pouvons rien faire [parce que] nous restons aussi à la maison comme les élèves », déclarait Kandolo à l’époque.

Cela fait deux ans que Joel Kindala, 16 ans, joue au pari-foot. Il a dû décrocher de l’école parce que ses parents ne pouvaient pas défrayer les frais de scolarité. Il n’y est jamais retourné.

Kindala affirme n’avoir rien à faire à la maison. Même quand il n’a pas d’argent, il passe ses journées à la salle de jeux.

« Mon école est aujourd’hui la salle de jeux du pari-foot », fait-il savoir.

« Mon école est aujourd’hui la salle de jeux du pari-foot ».

Avant le dernier confinement lié au coronavirus, Christian faisait de l’école son favori. Il était en première année de secondaire, et jamais il ne ratait ses cours. Les mathématiques, elles, étaient sa matière préférée.

Un jour, après la fermeture des écoles, il se balada dans son quartier où une nouvelle salle de jeux attira son attention au point qu’il y entra.

Lorsque Lisungi, agent de l’État divorcé, a appris que son fils Christian passait ses journées à la salle de jeux, il l’a puni. Mais ce fut peine perdue.

Chaque jour, avant de partir au travail pendant la fermeture des écoles, Lisungi donnait à Christian 800 francs pour la bouffe. Et chaque jour, l’adolescent déboursait la somme dans la salle de jeux.

Christian promettait à son père qu’il allait rompre avec le pari-foot à la réouverture des écoles. Son père, lui, n’en était pas si sûr.

Les cours ayant repris aujourd’hui, Christian va bien à l’école. Mais chaque jour, après les heures de cours et un peu de repos, l’adolescent prend le chemin de la salle de jeux. Il y passe le reste de l’après-midi.

Françoise Mbuyi Mutombo est journaliste à Global Press Journal en poste à Kisangani, en République démocratique du Congo. Elle est spécialisée dans des reportages sur la santé.


NOTE À PROPOS DE LA TRADUCTION

Traduit par Ndahayo Sylvestre, GPJ.