KATMANDOU, NÉPAL : Les 12 femmes assises dans une salle de réunion du département de l’Immigration de cette capitale sont manifestement fatiguées. Elles pensaient avoir une chance de gagner un peu d’argent en travaillant comme femmes de ménage en Arabie saoudite.
Or, en début mai, lorsque le groupe a atteint l’aéroport de Dubaï, une importante plaque de transit aux Émirats arabes unis, il a été renvoyé au Népal. Elles étaient incapables de préciser leur destination aux responsables de l’immigration. Certaines ont dit qu’elles étaient persuadées d’aller en Arabie saoudite, mais leurs passeports indiquaient le contraire.
Les responsables étaient convaincus que les femmes faisaient l’objet d’un trafic qui les conduirait dans des situations de danger potentiel.
Les femmes ont déclaré qu’on leur avait dit qu’il n’y avait aucun coût associé à un départ à l’étranger pour les personnes qui avaient l’intention de travailler comme domestiques. Cette perspective était irrésistible pour des femmes originaires de régions où les emplois sont rares, où la pauvreté est extrême et où les parents n’ont souvent pas les moyens d’éduquer leurs enfants.
« J’ai soudainement accepté la décision sans rien comprendre lorsqu’on m’a demandé si je voulais partir à l’étranger », raconte Sunmaya Tamang, 40 ans.
Cette affaire a incité les législateurs népalais à discuter de l’élaboration d’une nouvelle politique qui exigerait la signature des accords de travail avec les pays étrangers avant que les femmes y exercent des fonctions de domestiques, et ce, dans le but d’éliminer la traite.
Les femmes ont réussi à se rendre à Dubaï malgré l’interdiction, promulguée le 13 avril, de délivrer des permis de travail aux femmes qui se rendent à l’étranger pour y travailler comme domestiques. Même les femmes qui sont revenues de ces emplois pour des vacances ou des visites prolongées ne sont pas autorisées à y retourner.
Les 12 femmes ont toutes passé la frontière indienne, puis ont pris un vol pour Dubaï. Elles disent qu’elles n’étaient pas au courant de l’interdiction.
Le gouvernement a également demandé à l’Inde de renvoyer les femmes népalaises si elles sont arrêtées dans les aéroports indiens sans les documents requis, a déclaré Ganga Ram Gelal, directeur général du département de l’Immigration.
Bien que la frontière entre le Népal et l’Inde soit ouverte, toute personne voyageant par le biais d’un aéroport doit être munie de documents officiels.
Prabhu Sah, président de la commission parlementaire des relations internationales et du travail, indique que la commission a demandé au ministère du Travail et de l’Emploi de signer des accords de travail avec les pays du golfe Persique afin de garantir que les femmes de ménage népalaises travaillant dans ces pays bénéficient d’avantages médicaux, d’un bon salaire, de la sécurité de l’emploi et d’un environnement de travail exempt de violence, le tout conformément à la loi népalaise sur l’emploi à l’étranger. Les femmes devraient être autorisées à travailler comme femmes de chambre à l’étranger dès que le Népal aura signé ces accords de travail.
La situation dans les pays du Golfe est particulièrement préoccupante, car les travailleurs étrangers sont soumis au système de la kafala, qui les oblige à solliciter l’autorisation de leur employeur avant de quitter un emploi ou le pays.
Selon le département de l’Emploi à l’étranger, un peu moins de 170 000 Népalaises sont parties travailler à l’étranger entre 2006 et juin de cette année. Environ un demi-million de permis de travail ont été délivrés à des travailleurs népalais, hommes et femmes, en partance pour l’étranger au cours de l’année 2014 – 2015 uniquement, à en croire les données de ce département.
L’interdiction actuelle n’est que la dernière d’une série d’actions visant à protéger les femmes de la traite.
La loi de 1985 sur l’emploi à l’étranger exigeait que les femmes obtiennent le consentement de leurs tuteurs avant de partir. En 1998, les femmes devaient obtenir l’autorisation du gouvernement en plus de celle de leurs tuteurs. Par la suite, il a été totalement interdit aux femmes de se rendre dans les pays du golfe Persique pour y travailler comme domestiques. En 2012, cette interdiction a été annulée, puis partiellement rétablie, lorsqu’une nouvelle règle a été adoptée pour interdire aux femmes de moins de 30 ans de se rendre dans ces pays pour y travailler comme domestiques.
Une autre interdiction, qui a duré entre mai 2014 et avril 2015, empêchait les femmes migrantes de moins de 25 ans de se rendre dans les pays du golfe Persique pour y travailler comme domestiques.
Lorsque deux journalistes népalaises de GPJ ont quitté le Népal en 2016 pour faire un reportage sur les questions relatives au travail des migrants au Qatar, les responsables de l’aéroport ont craint qu’elles n’aient pas assez d’argent liquide pour se soigner ou rentrer chez elles, et qu’elles puissent être appâtées par des trafiquants d’êtres humains. Ils ont exigé des journalistes du GPJ qu’elles retirent davantage d’argent liquide à un guichet automatique pour pouvoir prendre leur vol.
Les organisations de défense des droits de l’homme et les agences internationales reconnaissent largement que de nombreux Népalais sont vulnérables à la traite des humains, à des fins d’exploitation du travail ou d’abus sexuels.
Toutefois, si les interdictions de voyager peuvent empêcher les femmes d’accepter involontairement des emplois dans lesquels elles risquent d’être exploitées, les obliger à rester chez elles pourrait les pousser à franchir les frontières sans aucun document, expliquent les défenseurs des droits des femmes.
« Concluons les accords de travail dès que possible et empêchons les femmes de partir à l’étranger de manière illégale », déclare Sunita Danuwar, directrice exécutive de Shakti Samuha, une organisation qui lutte contre la traite des humains.
Un responsable du département de l’Emploi étranger a déclaré à GPJ que l’interdiction est susceptible de rendre la vie quotidienne difficile pour les femmes et leurs familles, ainsi que pour l’économie népalaise dans son ensemble. Le responsable a souhaité garder l’anonymat, puisqu’il n’est pas autorisé à s’exprimer sur cette question. En effet, la plupart de ces femmes viennent de régions où les emplois sont rares.
Les envois de fonds (l’argent envoyé par les travailleurs migrants à leurs familles restées au pays) ont contribué à réduire la pauvreté au Népal, selon les données de la Banque asiatique de développement. Plus de la moitié des ménages du pays reçoivent une sorte d’envois de fonds.
Selon les données de la Banque mondiale, cet argent en provenance de l’étranger représente plus de 30 % du produit intérieur brut du Népal, soit le pourcentage le plus élevé jamais enregistré et largement supérieur à celui de nombreux autres pays.
Les offres d’emploi à l’étranger sont parfois irrésistibles pour les femmes qui ne trouvent pas de travail au Népal. Dans la plupart des cas, les travailleurs migrants doivent payer divers frais avant même de quitter le Népal. Mais les 15 femmes qui ont été renvoyées de Dubaï affirment qu’on leur a dit qu’elles n’auraient pas à payer un centime en amont, une option courante pour les femmes de ménage, signe d’une éventuelle exploitation future.
« Elles ne dépensent pas une seule roupie pour aller à l’étranger », explique Sumitra Shrestha, responsable chez Maiti Nepal, une association à but non lucratif qui aide les femmes victimes de la traite, avant de conclure : « Elles sont comme une marchandise. »
La douzaine de femmes qui ont été renvoyées de Dubaï sont restées chez Maiti Nepal lorsqu’elles sont arrivées au Népal.
Shrestha dit que ces femmes étaient sur le point de faire l’objet d’un trafic. Elles ont été séduites par une offre de 25 000 roupies népalaises (environ 242 $), dit-elle.
Plusieurs de ces femmes ont fourni à GPJ le nom de la personne qui les a abordées avec des offres d’emploi. GPJ a appelé le numéro portable de cette personne, mais son téléphone était éteint.
De tels scénarios sont courants. Gelal, du ministère de l’Immigration, a déclaré à GPJ qu’environ 2 700 femmes ont été expulsées des aéroports du Koweït, de Bahreïn et d’Arabie saoudite rien qu’en 2016.
Mais pour certaines femmes, rentrer au bercail semble aussi sombre que de risquer l’exploitation à l’étranger. Tamang, la femme qui affirme avoir bondi sur l’occasion de quitter le Népal, est originaire de Dhangadhi, une ville de Kailali, un district situé à l’extrême ouest du pays. Là-bas, elle avait dû se battre pour nourrir ses trois enfants.
Lorsque son mari s’est mis à fréquenter une autre femme, elle a décidé de partir.
À présent, elle est retournée à sa case départ.
NOTE À PROPOS DE LA TRADUCTION
Traduit par Christelle Yota, GPJ.