Haiti

Le vaudou, alternative bon marché à la médicine traditionnelle pour des Haïtiens désargentés

Outre leur croyance au surnaturel, ils sont de plus en plus nombreux à recourir aux prêtres vaudous plutôt qu’aux médecins pour chercher la guérison. Et pour cause, c’est là où le coût est maintenu au plus bas. Selon un ancien prêtre, les rituels de guérison ne diffèrent en rien de la psychothérapie.

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Cash-Strapped Haitians Find Voodoo a Cheaper Alternative to Traditional Medicine

Anne Myriam Bolivar, GPJ Haïti

À Haïti, les prêtres vaudous ou hougans usent des remèdes maison à base d’herbes et de plantes exotiques pour guérir leurs patients.

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PORT-AU-PRINCE, HAÏTI — « Alors dis-moi, à quoi bon d’aller où l’on doit dépenser pour ne rien trouver comme solution quand on est malade » ? demande Ranmolia Gentyl, malade depuis des mois. Aux dires de cette femme au foyer et mère âgée de 53 ans, elle ignore toujours ce qui est à l’origine du gonflement de ses pieds et de ses maux de tête graves, et ce, après maintes visites médicales avec des factures s’élevant à 10 000 gourdes haïtiennes.

L’espoir de trouver une solution et un traitement face à ce qu’elle pense être un état de santé étrange causé par des esprits maléfiques s’étant estompé, Gentyl s’est tournée vers un prêtre vaudou, connu localement sous le nom de « hougan ». Pour beaucoup de Haïtiens, affirme-t-elle, il n’y a rien d’étonnant dans ce choix, car ce dernier coûte bien moins cher que les factures des visites médicales qu’elle a dû régler.

Dans un pays où les services de santé de qualité restent hors de portée financière pour la majeure partie de la population, les pratiques religieuses et traditionnelles sont synonymes des médicaments. Le vaudou, une religion traditionnelle, est bien connu pour cette forme hybride de traitement. De l’avis de certains habitants, le vaudou réussit là où la médecine moderne échoue, mais cette religion est souvent mal vue.

Le secteur de la santé à Haïti souffrait de l’insuffisance de financement, avec des dépenses publiques de santé par habitant s’élevant à 13 dollars par an, lit-on dans un rapport de la Banque mondiale publié en 2017. Or, selon ce même rapport, la moyenne des dépenses dans d’autres pays à faible revenu se chiffre à 15 dollars par an. Aussi le financement offert par les organisations non gouvernementales, considérées comme des acteurs clés de longue date dans le secteur, a-t-il connu une baisse au cours des années qui ont suivi le séisme de 2010.

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Anne Myriam Bolivar, GPJ Haïti

Des hougans effectuent divers traitements sur des patients dans des temples vaudous comme celui-ci à Port-au-Prince, capitale d’Haïti.

Toutefois, le gouvernement s’emploie aujourd’hui à redresser ce secteur. En 2012, le gouvernement haïtien a élaboré un plan de 25 ans visant la réduction de la morbidité et de la mortalité liées aux grands problèmes de santé ainsi que l’accessibilité plus facile des soins de santé. Il existe cependant un fossé non négligeable entre la demande et l’offre des services de qualité. Le marché de l’assurance-maladie étant limité, certains Haïtiens recherchent des options de traitement bon marché ancrées dans leurs systèmes de croyance.

Près de 55 pourcent de la population est de confection catholique romaine, tandis que 28,5 pourcent pratiquent le protestantisme. Les croyants vaudous représentent environ 2,1 pourcent des Haïtiens. Mais d’après les experts, nombreux sont les gens qui, quelle que soit leur appartenance religieuse, ont des croyances qui proviennent du vaudou que le gouvernement a reconnu comme religion à part entière en 2003.

Selon Jean Yves Blot, anthropologue et professeur à l’Université d’État d’Haïti, ceux qui pratiquent cette religion croient que les causes de certaines maladies sont naturelles et que d’autres maladies s’expliquent par la sorcellerie ou des sorts maléfiques des esprits, localement appelés lwa.

« Les maladies naturelles ont les mêmes symptômes que les maladies surnaturelles », explique Patrick Destiné, qui sert de hougan depuis 12 ans. « Il y a des gens dans la communauté qui savent détecter si la maladie est naturelle ou surnaturelle. De là, on choisit soit la médecine conventionnelle, soit un hougan ».

Le secteur de la santé à Haïti souffrait de l’insuffisance de financement, avec des dépenses publiques de santé par habitant s’élevant à 13 dollars par an, lit-on dans un rapport de la Banque mondiale publié en 2017. Or, selon ce même rapport, la moyenne des dépenses dans d’autres pays à faible revenu se chiffre à 15 dollars par an.

Les hougans ont, depuis des années, traité des patients à l’aide des remèdes à base de plantes médicinales, y compris différentes sortes de thé à base de feuilles de plantes exotiques telles que le pois d’Angole, qui aident à guérir la douleur chronique et les blessures, déclare Blot. En revanche, les chefs religieux usent des pratiques rituelles pour sauver la vie des malades en phase terminale ou guérir ce qu’ils croient être des troubles mentaux, ajoute-t-il.

À certains égards, les pratiques rituelles, affirme Destiné, sont similaires à la psychothérapie. Mariant chansons et danses, le processus aide les patients à détendre leur esprit et à communiquer facilement avec les hougans. Les patients apprennent à connaître non seulement leur passé et leur avenir, mais aussi la cause de leur maladie, car les hougans sont capables de communiquer avec les esprits surnaturels, dit-il.

Toutefois, les gens sont de plus en plus nombreux à ne recourir qu’aux hougans parce que la facture de ces derniers est moins légère que celle des médecins.

Quelques mois avant que Gentyl ne tombe malade, confie-t-elle, son fils souffrait d’une maladie semblable à la sienne.

« Mon fils aîné est tombé malade et nous sommes allés voir un médecin qui n’a pu identifier sa maladie », déplore Gentyl. Peu de temps après, elle a amené son fils chez un hougan pour le traitement qui, dit-elle, l’a guéri. Elle a payé 500 gourdes, ce qui est un prix qu’elle considère abordable pour elle.

« Il est irremplaçable, car il offre le salut à de nombreuses gens qui ne peuvent se permettre des factures de la médecine moderne », dit Destiné à propos du traitement qu’il offre.

Malgré leur vogue, les traitements religieux sont une proie facile pour la stigmatisation sociale. À l’instar d’autres religions, le vaudou est nuancé et reste parfois mal vu par les non-croyants qui ne font que diaboliser les hougans, annonce Gentyl.

« On a souvent tendance à banaliser les choses et on pense aussi que nous sommes des superstitieux », lâche-t-elle. « Pourtant, la réalité est là ».

Adapté à partir de sa version originale en français par Ndahayo Sylvestre, GPJ.