Uganda

Des serviettes hygiéniques pour réfugiées en Ouganda retirées du marché à cause de leur qualité

Les serviettes hygiéniques de la marque MakaPads, à 95 % biodégradables, étaient auparavant offertes gratuitement aux réfugiées de l’Ouganda. Toutefois, la marque a été critiquée suite à une inspection gouvernementale qui s’est soldée par de mauvais résultats et l’absence de certification. Si le fabricant ougandais a été félicité pour ses efforts visant à aider les élèves filles pauvres qui manquaient les classes pendant leurs périodes de menstruation, certaines femmes et jeunes filles se sont plaintes de la qualité de la marque.

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Sanitary Pads for Refugees in Uganda Pulled Due to Quality Concerns

EDNA NAMARA, GPJ OUGANDA

Florence Namuwonge, travaillant chez elle, enlève la couche verte des roseaux de papyrus pour obtenir la fibre qu’elle broie pour en faire une pâte qu’elle livre à une usine MakaPads.

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KAMPALA, OUGANDA — Dans une des usines de cette capitale, des ouvriers mesurent le papyrus moulu qui est livré dans des sacs. Ils fabriquent de la pâte à papier qu’ils découpent en bandes et procèdent à la finition des serviettes hygiéniques, lesquelles sont considérées comme étant à 95 % biodégradables.

Ces serviettes hygiéniques, connues sous le nom de MakaPads, ont été inventées par Moses Kizza Musaazi, professeur de technologie à l’université de Makerere. Son objectif était de créer des serviettes biodégradables bon marché pour les élèves filles qui manquaient les classes pendant leurs périodes de menstruation parce qu’elles n’avaient pas les moyens de s’acheter des serviettes hygiéniques. Les serviettes hygiéniques MakaPads sont fabriquées à base de matières premières locales, et les personnes qui les fabriquent affirment qu’elles sont exemptes de produits chimiques.

« L’essentiel est que cette pauvre fille ne devrait pas manquer une classe à cause de la pauvreté », dit Musaazi, faisant allusion aux filles qui n’ont pas les moyens de se procurer des serviettes hygiéniques. Il a également ajouté : « Elle ne devrait pas être stigmatisée par une situation propre à son sexe ».

La société de Musaazi, Technology for Tomorrow, également connue sous le nom de T4T, a commencé à produire ces serviettes hygiéniques en 2006. Ces serviettes hygiéniques constituent l’un des rares produits fabriqués par l’entreprise. Depuis ce moment-là, Musaazi a été acclamé au sein des communautés de développement mondial et de l’innovation. Elles sont vendues à vil prix sur le marché libre. Pendant neuf ans, jusqu’à la mi-2015, la marque MakaPads a passé un contrat avec le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCNUR), grâce auquel les serviettes hygiéniques étaient fabriquées dans une usine située dans un camp de réfugiés et distribuées gratuitement aux femmes et aux jeunes filles de ce camp.

Le contrat s’est terminé comme prévu sans pour autant être renouvelé, explique Fred Kiwanuka, commandant de bureau au camp de réfugiés de Kyaka II. Kiwanuka travaille pour le bureau du Premier ministre ougandais, qui gère le camp en collaboration avec le HCNUR.

Selon Kiwanuka, les serviettes hygiéniques n’étaient pas efficaces. Les femmes et les jeunes filles du camp préféraient d’autres marques, a-t-il précisé.

Le contrat du HCNUR a pris fin à peu près au moment où les serviettes hygiéniques ont été déclarées non conformes lors d’une inspection du Bureau national ougandais des normes (UNBS), l’organisme chargé de veiller à ce que les produits fabriqués en Ouganda répondent aux normes de qualité. Au cours de cette inspection, les serviettes ont été « jugées déficientes », a déclaré Barbara Kamusiime, responsable des relations publiques à l’UNBS. Le HCNUR n’a pas précisé s’il avait refusé de renouveler le contrat en raison du rapport de l’UNBS.

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EDNA NAMARA, GPJ OUGANDA

Des plaques de MakaPads posées sur une table de travail dans une usine de MakaPads.

Selon Ben Manyindo, directeur exécutif de l’UNBS, l’inspection de 2015 était la première que MakaPads subissait depuis 2006.

Les serviettes hygiéniques MakaPads ont réussi l’inspection de 2006 et ont été certifiées cette année-là, mais Musaazi aurait dû soumettre les serviettes hygiéniques à une inspection annuelle et demander à ce que leur certification soit renouvelée depuis lors, explique Manyindo. Selon ce dernier, il est illégal de vendre des produits non certifiés.

Juliet Nakibuule, une responsable de T4T, affirme que le contrôle qualité est effectué en permanence en interne et que les serviettes hygiéniques sont inspectées chaque année par le gouvernement.

« Le contrôle qualité est toujours effectué à chaque étape du processus de fabrication afin de maintenir la qualité et de respecter les normes applicables aux MakaPads », explique Nakibuule.

L’usine MakaPads du camp de réfugiés de Kyaka II, qui employait des réfugiés et fabriquait les serviettes distribuées gratuitement par le HCNUR aux femmes et aux filles du camp, a été fermée en juillet 2015 afin que T4T puisse opérer un contrôle complet sur la qualité des MakaPads et renégocier les prix, explique Kiwanuka. Isaac Ocotoko, partenaire de programme affilié au HCNUR dans la colonie de Kyaka II, a confirmé que l’usine avait fermé en juillet.

Musaazi a déclaré à GPJ que T4T dispose de deux autres usines qui fabriquent les serviettes hygiéniques — une dans le district de Soroti, et une autre à Kawempe, une banlieue de Kampala, la capitale de l’Ouganda.

De 2009 à 2015, l’usine MakaPads a approvisionné plus de 16 millions de serviettes hygiéniques au HCNUR à l’intention des réfugiés, affirme Nakibuule. L’usine du camp Kyaka II a fabriqué le plus grand nombre de serviettes hygiéniques de toutes les usines MakaPads. Nakibuule a refusé de divulguer les chiffres du profit réalisé par T4T dans le cadre du contrat conclu avec le HCNUR.

Une analyse du marché et un rapport stratégique réalisés en décembre 2015 par deux étudiants diplômés de l’Université du Michigan ont noté que 95 % des ventes de MakaPads sont dues au contrat avec l’ONU. En outre, le rapport souligne que la distribution des serviettes hygiéniques dans le camp de réfugiés a cessé en mai 2015.

D’après Nakibuule, les usines sont en passe de produire un total de 4,4 millions de serviettes hygiéniques par an.

Il est de la responsabilité de chaque entreprise de soumettre ses produits à une inspection régulière, explique Patricia Bageine Ejalu, directrice exécutive adjointe des opérations techniques de l’UNBS.

« Nous contrôlons généralement l’état du produit pour nous assurer qu’il ne soit pas en dessous des normes, ce qui pourrait avoir des répercussions négatives pour les utilisateurs », explique Ejalu.

Certains entrepreneurs se soustraient à l’inspection annuelle parce qu’ils ne veulent pas payer les frais d’inspection, dit Ejalu. Selon Manyindo, directeur exécutif de l’UNBS, les frais d’inspection varient ; pour les MakaPads, ils s’élèvent à 800 000 shillings ougandais (230 $).

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EDNA NAMARA, GPJ OUGANDA

Les serviettes hygiéniques MakaPads sont empaquetées dans une usine MakaPads.

Les MakaPads ont également fait l’objet de critiques mitigées de la part des femmes.

« Je considère le fabricant des MakaPads comme un philanthrope, et non comme un homme d’affaires, car il a bon cœur pour la pauvre élève », déclare Brenda Zamukama, une élève de 17 ans qui fréquente le lycée de Bukoto.

Les serviettes hygiéniques sont vendues au prix de 500 shillings (environ 15 cents) par paquet de trois — le nombre dont Musaazi estime qu’une élève a besoin pour couvrir une journée d’école. Elles sont également vendues en gros.

Luhasa Muhakanire, 42 ans, une réfugiée qui vit dans le camp Kyaka II, affirme que les serviettes hygiéniques ne sont pas assez épaisses.

« J’ai eu du mal à les utiliser le deuxième et le troisième jour, car mon flux est plus important ces jours-là », dit-elle, avant de préciser : « Je me suis retrouvée à en utiliser environ cinq par jour. Un seul paquet ne pouvait pas me permettre de tenir tous les jours. »

Les réfugiées disent également que les serviettes hygiéniques ont une odeur de marécage, coulent lorsqu’elles sont pleines, sans compter que la bande étroite n’est pas bien ajustée.

Malgré l’absence de certification, la T4T continue de solliciter des contrats pour les MakaPads.

L’entreprise a signé un contrat de deux ans avec le Rotary club de Muyenga pour la fourniture de MakaPads dans certaines parties du district ougandais de Rakai. Le district en question figure parmi les premiers frappés par l’épidémie de VIH, d’où une pauvreté généralisée et un nombre élevé d’orphelins. Les responsables du Rotary club ont refusé de préciser la date de signature du contrat.

Le Rotary club prévoit de distribuer les serviettes hygiéniques dans les écoles du district en février, lorsque les cours reprendront cette année, indique John Mary Mpagi du Rotary club de Muyenga.

Huit Rotary clubs du monde entier se sont regroupé sous l’égide d’un seul club de Colombie-Britannique (Canada), le Rotary club de Whistler, pour collecter l’argent nécessaire à l’achat des serviettes hygiéniques, explique Mpagi.

Un jour, explique Musaazi, j’espère pouvoir vendre ces serviettes hygiéniques sur le marché international. En attendant, il travaille sur d’autres innovations. La première, dit-il, est une nouvelle sorte de couche pour bébé.

Edna Namara, GPJ, a traduit certaines interviews du swahili et du luganda. Apophia Agiresaasi, GPJ, a participé à la rédaction de cet article.