GISENYI, RWANDA : La zone à proximité de la frontière du Rwanda avec la République démocratique du Congo regorge de piétons et d’enfants.
Un flux constant de personnes circule à la Petite Barrière, l’un des deux postes de contrôle entre les deux pays. Les femmes rwandaises des villages frontaliers représentent une grande partie de cette circulation piétonne.
Petites commerçantes, elles font la navette entre les deux pays portant sur la tête de grands paniers de fruits, de maïs et d’autres denrées alimentaires pour les vendre en RDC, où la demande de ces produits est plus forte.
Ainsi, la zone située tout près du côté rwandais de la frontière est une sorte de garderie, peuplée d’enfants allant des nourrissons aux adolescents. Ils sont déposés ici et obligés de se débrouiller seuls pendant la journée pendant que leurs mères quittent le pays pour vendre leurs marchandises. Les mères affirment que leur travail, qui nécessite de marcher dans les rues pendant des heures épuisantes, voire de se faire valoir dans des batailles de territoire, ne peut être effectué si leurs enfants sont avec elles.
À la frontière, certains enfants portent leurs jeunes frères et sœurs sur le dos. D’autres s’assoient dans la poussière et attendent.
Olive Murekatete, une mère célibataire, confie qu’elle n’a pas d’autre choix que de laisser ses enfants, âgés de 2 et 7 ans, seuls près de la Petite Barrière tous les jours.
« Je viens ici tous les matins avec mes enfants. Je les laisse ici avant de passer la frontière. Ce n’est que lorsque je finis de vendre mes légumes aux environs de 17 heures que je retourne les trouver ici », raconte Murekatete.
Sa fille surveille de près son jeune frère toute la journée.
Murekatete dit que la situation économique de sa famille ne lui laisse aucune autre option.
« Bien sûr, quand je laisse mes enfants seuls, j’ai franchement peur. Mais chaque matin, je prie pour que Dieu tout-puissant veille sur eux », dit-elle.
Des enfants de tous âges luttent pour surmonter les jours d’attente à la frontière.
« Ma mère a traversé la frontière pour vendre des concombres. Elle m’a laissé le bébé », raconte Monica Muragijimana, 11 ans, qui s’occupe de son frère de 18 mois, ajoutant : « quand le bébé pleure, j’essaie de le calmer en lui offrant un bout de banane ou un biscuit ».
Étant donné que davantage d’enfants rejoignent le groupe à la frontière, la Commission nationale rwandaise pour l’enfance (NCC) étudie les options d’un programme de développement de la petite enfance qui permettrait de mettre sur pied des garderies dans les communautés frontalières, explique Cartas Mukanyamwasa, un assistant social de la NCC à Gisenyi.
« Le programme permettra aux enfants de passer leurs journées dans des lieux conformes aux normes de sécurité et d’avoir accès à une éducation de base », explique Mukanyamwasa.
Grâce au programme envisagé, les enfants plus âgés qui ne vont pas à l’école actuellement parce qu’ils s’occupent de leurs frères et sœurs plus jeunes auront la possibilité de le faire, ajoute Mukanyamwasa.
Bien que le Rwanda offre un accès universel à l’enseignement primaire, certains parents disent qu’ils ne peuvent pas envoyer leurs enfants à l’école s’ils ne peuvent pas se nourrir. De plus, ils font remarquer que les enfants plus âgés doivent s’occuper des plus jeunes.
« Comment puis-je envoyer mon enfant à l’école alors qu’il n’y a rien à manger chez nous ? Ma priorité n° 1 est de trouver de l’argent pour nourrir mes enfants », souligne Murekatete.
Selon l’UNICEF, environ 11 pour cent de garçons et 12 pour cent de filles au Rwanda participent à des programmes d’enseignement préprimaire, qui comprennent la petite et la grande section. Ces faibles taux de participation sont dus à la pauvreté, selon les experts. Près de 30 % des enfants rwandais sont impliqués dans le travail des enfants.
Selon le Programme alimentaire mondial, les taux de malnutrition infantile au Rwanda ont diminué ces dernières années, quoique près de 37 % d’enfants rwandais de moins de cinq ans souffrent toujours de malnutrition chronique.
Le 26 mars, le président rwandais Paul Kagame s’est rendu dans le district de Rubavu, à la frontière avec la RDC, et a déclaré que les enfants en âge d’aller à l’école étaient privés d’éducation parce que leurs parents comptaient sur eux pour travailler ou s’occuper de leurs frères et sœurs plus jeunes.
Dans son discours, Kagame a déclaré que les parents et les enseignants doivent faire tout ce qui est en leur pouvoir pour garantir le plein accès des enfants à l’éducation. Le président a laissé entendre que les parents pourraient être sanctionnés pour ne pas avoir envoyé leurs enfants à l’école.
Les leaders locaux poussent également les familles à envoyer leurs enfants à l’école.
Claire Zaninka, secrétaire exécutive du secteur de Muhira, un village proche de Gisenyi, affirme que le Rwanda a connaissance du fait que les femmes laissent leurs enfants à la frontière et s’efforce de proposer des solutions. Les secrétaires exécutifs rendent compte au maire du district de ce qui se trame dans des communautés spécifiques, appelées cellules.
« Nous sensibilisons à la planification familiale, organisons des formations sur les moyens d’épargne et sensibilisons les gens à la nécessité d’envoyer les enfants à l’école », explique Zaninka.
Cependant, Murekatete estime que la situation est plus complexe que le simple fait d’aller ou de ne pas aller à l’école.
La nourriture, dit-elle, est son plus grand défi en tant que parent.
« Si j’avais les moyens, ma fille serait maintenant à l’école, mais je ne peux rien faire d’autre pour elle, car elle doit m’aider à élever son petit frère. Je dois m’assurer qu’ils ont quelque chose à manger », dit-elle.
Les écoles devraient fournir des déjeuners gratuits, estime-t-elle.
Alors que le Rwanda envisage d’ouvrir des centres de garde d’enfants, des filles plus âgées et de jeunes femmes gèrent de petites activités de baby-sitting près de la frontière.
Selon les baby-sitters, si une mère laisse un enfant plus jeune, elle peut payer jusqu’à 300 francs rwandais (environ 40 cents) à son retour. Les filles plus âgées qui font du baby-sitting admettent qu’elles s’occupent souvent de trois à cinq enfants par jour.
Mariam Nyirahabimana, 26 ans, fait du baby-sitting à la frontière, mais reconnaît que subvenir aux besoins des enfants est un défi.
« Quand la mère d’un enfant tarde à revenir, je lui donne de la bouillie froide ou de la bière de sorgo. Si l’enfant est trop jeune pour pouvoir manger, je lui donne de l’eau à boire en attendant que sa mère revienne », explique-t-elle.
Les mères qui laissent leurs enfants à la frontière disent avoir bon espoir que d’autres solutions verront le jour.
« Nous espérons que nous trouverons une solution qui nous permettra d’avoir les moyens d’envoyer nos enfants à l’école et de continuer à exercer nos activités commerciales habituelles pour pouvoir les nourrir », déclare Murekatete.
Ndayaho Sylvestre, GPJ, a traduit cet article du français.