GISENYI, RWANDA — Il y a déjà près de 10 ans, Patrick quittait la demeure familiale pour de bon.
Il a pris la route pour fuir une vie empreinte de maltraitance et de négligence, confie-t-il.
« Entre deux maux, j’ai choisi le moindre, embrassant ainsi la vie de la rue », raconte Patrick.
Âgé de 15 ans aujourd’hui, il dort sur des morceaux de carton sur des trottoirs devant des magasins de la ville. Aussi d’autres enfants âgés de 5 à 17 ans y ont-ils élu domicile.
Selon les autorités rwandaises, plusieurs enfants vivent seuls dans les rues de la ville, malgré la prise par la nation d’un arsenal de mesures importantes pour améliorer les conditions de vie des orphelins et d’autres enfants dont les parents sont incapables de les prendre en charge.
En 2012, le gouvernement a lancé un programme visant à permettre à tous les enfants de passer de l’encadrement institutionnel à un placement en milieu familial. Malgré l’absence de données précises, les représentants du gouvernement affirment que la majorité des enfants ont été placés dans des familles (Cliquez ici pour en savoir plus sur ce programme).
Or, au moment où ces enfants s’installent dans des familles, d’autres font le choix de quitter le toit familial pour vivre seuls. Il s’agit d’un problème persistant que reconnaît le gouvernement mais qu’il a du mal à résoudre. En plus, on ne peut même pas se faire une idée claire du nombre d’enfants en situation de rue.
« Le vrai problème n’est donc pas tant celui du mauvais choix des enfants, mais plutôt l’incapacité des parents à assumer leurs responsabilités », estime Marie Grâce Uwampayizina, vice-maire chargée des affaires sociales au district de Rubavu, dans l’ouest du Rwanda.
Le gouvernement a, en 2011, adopté une politique intégrée de protection des droits de l’enfant consistant en une vaste série d’orientations qui prévoient, entre autres mesures de protection, un certain nombre de garanties: le droit des enfants d’être enregistrés et de savoir qui sont leurs parents; celui d’être pris en charge, soit par leur propre famille, soit par une autre famille ou au moyen d’une autre option de placement; celui d’accès aux soins de santé et celui d’être protégés contre la maltraitance ou l’exploitation.
Toutefois, le processus de mise en œuvre de cette politique demeure lent. Le Bureau of International Labor Affairs du Département américain du Travail qui fait le suivi des questions ayant trait au travail des enfants dans le monde, déclare que les enfants rwandais sont parfois soumis à des conditions de travail terribles, notamment la fabrication de briques, le travail agricole ou la prostitution.
Comme l’indiquent la Plateforme de la société civile rwandaise et la Plateforme pour la protection sociale en Afrique dans leur rapport sur les programmes de protection de l’enfance mis en place par le pays, il existe une volonté politique d’aider les enfants de la rue, mais rares sont les lois qui protègent les enfants contre la maltraitance. La maltraitance des enfants, y compris la violence sexuelle et l’exploitation des enfants par le travail sont de graves problèmes dans le pays, lit-on dans le rapport.
Dans un rapport publié en 2012, la Commission nationale pour les enfants au Rwanda, organe chargé de la mise en œuvre de la politique intégrée de protection des droits de l’enfant, a déclaré qu’il existe très peu de documentation sur la question des enfants sans-abri au Rwanda. Quoique le rapport indique que le Sida et la violence domestique sont des causes possibles, il n’est pas toujours évident de comprendre pourquoi les enfants font le choix de la rue.
Des enfants de la rue, quant à eux, n’hésitent pas à se confier sur leurs raisons de leur choix.
Selon Musa, 14 ans, il est parti vivre chez sa tante après la mort de ses parents, mais sa tante et la famille de celle-ci n’étaient pas gentilles avec lui.
« Ils n’ont jamais voulu aller quelque part avec moi et j’étais traité comme un domestique », s’indigne-t-il.
Parallèlement, certains parents affirment que la gestion des enfants peut ne pas être chose facile.
« Les attraits de la ville étant nombreux, les enfants ne veulent plus vivre dans des villages », explique Christine Nyirahabimana, 36 ans, qui révèle que son enfant de 8 ans repart souvent vivre dans la rue. « Maintes et maintes fois, la police m’aide à ramener mon enfant à la maison, mais l’enfant fait vite de retourner dans la rue ».
Avec le concours des organisations locales, le gouvernement a ouvert de nombreux centres de transit pour loger, nourrir et éduquer les enfants de la rue. Aussi ces centres ont-ils pour objectif ultime de réunir les enfants de la rue avec leurs familles qui reçoivent un soutien économique et des conseils, témoigne Uwampayizina.
En cas d’incapacité des familles à récupérer leurs enfants, la prise en charge de l’enfant est confiée à une autre famille, baptisée « ange gardien ». Le district de Rubavu compte 85 anges gardiens, précise Uwampayizina.
L’aide aux enfants de la rue et à leurs familles a eu des retombées au niveau local.
Les parents dont les enfants tournent le dos à la rue pour regagner le toit familial sont aujourd’hui mobilisés autour d’une association grâce à laquelle ils peuvent chacun épargner 200 francs rwandais sur un compte bancaire afin de pouvoir, avec l’appui du district, démarrer de petits projets tels que des projets d’élevage et agricoles.
En mars 2016, le ministère du Genre et de la Promotion de la Famille a mis en place un programme baptisé Inshuti z’Umuryango – « Amis de la famille » en kinyarwanda. Le programme regroupe des bénévoles qui travaillent en binôme homme/femme pour la protection de l’enfance et de la famille. Ces bénévoles assurent la formation des chefs de village et des autorités locales sur la manière de protéger les enfants et de promouvoir leurs droits.
Onesphore Biryabanzi, agent de la promotion du genre et de la famille dans le district de Rubavu, déclare que le gouvernement entend faire don de téléphones portables au programme Inshuti z’Umuryango pour permettre aux gens de dénoncer facilement des cas de maltraitance d’enfants.
« Chaque cas de maltraitance d’un enfant doit faire l’objet d’alerte », dit Biryabanzi. « Nous travaillons sans relâche pour identifier dans les meilleurs délais tout cas d’enfant en danger ».
Selon Emmanuel Bizimana, 31 ans, membre du programme Inshuti z’Umuryango, les choses vont changer. Il n’est pas rare de voir des enfants qui, de toute évidence, deviennent indésirables après leur naissance, fait-elle savoir.
« Toutefois, la plupart de nos efforts se focalisent aujourd’hui sur la nécessité d’enseigner aux parents comment élever leurs enfants avec amour et, en conséquence, les choses commencent à s’améliorer », dit-elle.
Adapté à partir de sa version originale en français par Ndayaho Sylvestre, GPJ.