TERRITOIRE DU SUD DE LUBERO, RÉPUBLIQUE DEMOCRATIQUE DU CONGO — Il n’y a pas si longtemps, des marchés ici étaient connus pour la profusion de haricots, de maïs, de manioc, de courges, de bananes, de choux et de poireaux.
Des stands regorgeaient de produits impressionnants et les acheteurs flânaient sur les marchés, se régalant les yeux et remplissant leurs paniers avec les richesses de la région.
Aujourd’hui, l’abondance n’est que chose du passé.
Avec des saisons sans pluie, une bonne partie du potentiel agricole de cette région s’est asséchée. Des acheteurs guettent tout geste des agriculteurs qui acheminent des produits au marché pour se faire la course pour tout ce qui arrive.
Ezekiel Lewis, 38 ans, est un cultivateur de manioc. Le manioc, légume convoité ici, est servi presque à chaque repas, et sa farine sert à faire du fufu, aliment de base dans le pays. Et depuis les deux dernières saisons de culture, le temps n’est plus ce qu’il était: les pluies ne sont pas arrivées ou sont tombées au mauvais moment.
« La production agricole est en déclin ici depuis 2016. Je ne peux produire plus de deux sacs de farine de manioc », témoigne Lewis, ajoutant qu’il produisait 30 sacs de manioc sur un seul hectare. « Il ne me reste pratiquement rien à mettre sur le marché car nous sommes même incapables de produire suffisamment de nourriture pour notre subsistance. La sécheresse actuelle et le changement des tendances saisonnières en sont responsables ».
Faute d’autres industries, les habitants du sud de Lubero, région qui approvisionne les grandes villes comme Butembo et Goma, chef-lieu de la province du Nord-Kivu, doivent essentiellement leur survie à l’agriculture.
De l’avis des agronomes, le changement des tendances saisonnières sème la confusion chez les agriculteurs qui ne savent plus quelles cultures choisir, entraînant ainsi des pénuries alimentaires et la flambée des prix. Partout dans la région, les prix des produits ont triplé depuis 2015. Selon les experts, la menace de la malnutrition et même d’une famine plane dans toute la région. Entre-temps, certains habitants croient que la sécheresse est une malédiction causée par la violence qui frappe la région depuis des années.
Par le passé, les précipitations extrêmes étaient au rendez-vous en février et mars, tandis que la deuxième saison de culture s’invitait en août et en septembre. Mais en 2016 et 2017, ces pluies ne sont pas arrivées.
Bonheur Luhembo Kasereka, ingénieur technique agricole, déclare que les conditions météorologiques imprévisibles sont le signe manifeste du changement climatique. Et les conséquences dans cette région vont au-delà de l’agriculture.
« La sécheresse est mère de multiples problèmes dont l’abattage des arbres, les glissements de terrain et les incendies », explique Kasereka.
Pourtant, les avis des habitants divergent quant à la cause du changement des régimes climatiques.
« Le sang d’innocentes victimes qui a été versé sur notre sol est sans conteste à l’origine de l’épuisement de nos terres », remarque Katsuva Mufakiro, un sage de la région. « Quand nous étions encore jeunes, et ce, avant que les gens ne soient tués comme des mouches, nous jouissions d’un niveau de production sans précédent et d’une abondance de nourriture ».
« Les pluies ne peuvent être de retour qu’avec la pratique des rituels nous permettant de renouer avec nos ancêtres pour leur demander de voler à notre secours », souligne-t-il.
Kambale Wakalire, 34 ans, cultivateur de manioc, ne sait pas si les ancêtres peuvent venir en aide. Seulement, il est sûr d’une chose: la richesse lui souriait avant 2015.
Il pouvait régulièrement produire jusqu’à 1 000 kilos de manioc pour une seule récolte. Et gardant ce dont il avait besoin, il écoulait le reste sur le marché.
« Il n’y a pas si longtemps, la production agricole globale était satisfaisante », révèle-t-il. « J’ai réussi à construire une maison, à scolariser mes enfants et à répondre à tous mes autres besoins grâce à mes récoltes ».
Mais aujourd’hui, la production des agriculteurs se réduit, faisant flamber les prix au grand dam des acheteurs.
Avec sa joue prenant appui sur sa main, Muhani Kavira dit que les prix doublent régulièrement.
« Un tas de patates douces coûtait 200 francs congolais. Mais aujourd’hui, cette même quantité se vend jusqu’à 500 francs congolais. De même, un tas de légumes qui, autrefois, se vendait à 100 francs congolais double de prix, soit 200 francs congolais », renchérit-elle, disant qu’elle partage l’avis du sage. « La famine fera des dizaines de morts dans le sud de Lubero à moins que Dieu ne fasse des miracles ».
Faida Kyakimwe affirme que sa famille est déjà la proie de la faim.
« Nous faisons face à des pénuries alimentaires à cause de la sécheresse qui frappe notre communauté », s’alarme-t-elle. « Nous sommes obligés de sauter des repas pendant la journée à cause du manque de nourriture. Nous préférons manger le soir par peur de fringales pendant la nuit ».
Les saisons de culture ne cessent de changer, et les agronomes locaux apprennent aux agriculteurs à planter des haies antiérosives sur des pentes pour réduire le ruissellement et les invitent à éviter les feux de brousse.
« Nous avons déjà commencé à mettre en pratique les connaissances et les compétences que nous avons acquises auprès des agronomes », dit Lewis.
Il note toutefois qu’il ne peut pas attendre que les saisons reprennent leur cours normal. Récemment, il a dépoché son épargne pour prendre en location un champ au fond de la vallée.
« Quand j’ai vu que nos terres montagneuses devenaient de plus en plus sèches chaque jour, j’ai décidé de louer un champ dans la vallée où les cultures pouvaient survivre à la sécheresse, profitant des eaux qui se déversent dans la vallée en provenance des montagnes », dit-il.
Lewis espère faire sa première récolte au fond de la vallée la saison prochaine. Entre-temps, il dit qu’il est de ceux qui ont eu de la chance.
« Trouver un lopin de terre dans la vallée n’est pas une chance donnée à tout agriculteur dans notre communauté. Tout espoir de trouver des denrées alimentaires sur nos marchés locaux s’est réduit, même si pas tout à fait au néant », rappelle-t-il.
Adapté à partir de sa version originale en français par Ndayaho Sylvestre, GPJ.